La politique fédérale canadienne sur le partage d’informations avec des partenaires étrangers était considérée par les militants des droits humains et de membres de l’opposition comme un soutien à la torture.

La politique fédérale canadienne sur le partage d’informations avec des partenaires étrangers était considérée par les militants des droits humains et de membres de l’opposition comme un soutien à la torture.Photo Credit: GI / Getty/AFP/James Lawler Duggan
Photo Credit: GI / Getty/AFP/James Lawler Duggan

Ottawa limite sans l’interdire l’utilisation d’informations obtenues par la torture

Le Canada cède aux pressions et renverse en partie une directive du précédent gouvernement de Stephen Harper adoptée en 2010 et qui permettait à cinq agences canadiennes de demander ou de partager de l’information avec des partenaires étrangers au sujet de certains détenus, même si cela risquait d’exposer ces individus à la torture.

Selon l’entente précédente, les services secrets canadiens, par exemple, pouvaient se décharger de toute responsabilité légale ou morale au sujet d’informations obtenues d’un détenu dans un autre pays s’ils recevaient la simple assurance que l’individu n’avait pas été ou ne serait pas par la suite torturé.

Le gouvernement conservateur de Stephen Harper avait décidé officiellement en 2010 de permettre l’échange d’information avec des pays étrangers, même s’il existait des risques connus de torture.

Une directive de deux pages, préparée en décembre 2010 par le ministre de la Sécurité publique Vic Toews, avisait les services secrets que dans des « circonstances exceptionnelles », lorsque des « vies sont en danger » ou la menace à la sécurité publique est substantielle, le Service canadien du renseignement peut remplir son mandat en utilisant de « l’information fournie par des agences étrangères qui auraient pu être obtenues grâce à la torture ou de mauvais traitements ».

Plusieurs groupes de défense des droits de la personne et le Nouveau Parti démocratique (NPD) avaient appelé le nouveau gouvernement libéral de Justin Trudeau à abroger ces directives, estimant qu'elles revenaient à cautionner la torture et à enfreindre les obligations internationales du Canada. Photo : iStock
Plusieurs groupes de défense des droits de la personne et le Nouveau Parti démocratique (NPD) avaient appelé le nouveau gouvernement libéral de Justin Trudeau à abroger ces directives, estimant qu’elles revenaient à cautionner la torture et à enfreindre les obligations internationales du Canada. Photo : iStock

Interdire en partie l’information obtenue sous le coup de la torture

Le ministre de la Sécurité publique, Ralph Goodale, a dévoilé de nouvelles directives qui limitent l’utilisation, par les services de sécurité canadiens, d’informations susceptibles d’avoir été obtenues par la torture. Photo : La Presse canadienne/Justin Tang
Le ministre de la Sécurité publique, Ralph Goodale, a dévoilé de nouvelles directives qui limitent l’utilisation, par les services de sécurité canadiens, d’informations susceptibles d’avoir été obtenues par la torture. Photo : La Presse canadienne/Justin Tang

Les nouvelles directives fédérales limitent l’utilisation, par les services de sécurité canadiens, d’informations susceptibles d’avoir été obtenues par la torture, sans pourtant l’interdire complètement.

Les directives annoncées lundi interdisent de dévoiler ou de demander des informations à des agences étrangères lorsqu’il y a un risque important que ce geste entraîne la torture d’un individu.

Pour empêcher un éventuel attentat terroriste, la Gendarmerie royale du Canada, le Service canadien du renseignement de sécurité et l’Agence des services frontaliers du Canada pourront cependant toujours utiliser des renseignements en sachant qu’ils ont été soutirés par la torture afin de « prévenir la perte de vies humaines ou que des gens soient blessés ».

Les nouvelles règles interdisent toutefois l’utilisation d’informations obtenues par la torture si celles-ci ne visent qu’à prévenir des dommages envers des biens matériels.

Écoutez

Réactions aux mesures annoncées

Matthew Dubé
Matthew Dubé © PC/Sean Kilpatrick

Pour le porte-parole du NPD en matière de sécurité publique, Matthew Dubé, il ne s’agit que de « modifications sémantiques ». « Bien qu’elle dise les bonnes choses, cette directive continue de permettre l’utilisation d’informations obtenues sous la torture dans certains cas avec une très faible obligation de rendre des comptes », a déclaré M. Dubé.

Amnistie internationale Canada a qualifié pour sa part les nouvelles consignes « d’amélioration significative » par rapport aux précédentes. « Toutefois, précise Amnistie internationale, des failles et un manque de précision sur certains points pourraient maintenir la porte ouverte à des cas de complicité de torture et à l’encouragement tacite de la torture aux mains d’autorités étrangères. »

« Utiliser toute information obtenue sous de mauvais traitements encourage certainement les tortionnaires à continuer à perpétrer leurs crimes, sachant qu’il y a des agences de renseignement prêtes à la recevoir et à s’en servir », dit Alex Neve, le secrétaire général d’Amnistie internationale Canada.

Le cas de Maher Arar

Maher Arar
Maher Arar © La Presse canadienne

Le Canadien d’origine syrienne Maher Arar avait été détenu à New York en septembre 2002 et renvoyé en Syrie par les autorités américaines.

Se retrouvant dans une prison aux allures de donjon à Damas, soumis à la torture, il avait fait de fausses confessions à propos d’une supposée implication au sein d’Al-Qaïda.

En 2006, la commission d’enquête qui s’était penchée sur le cas de Maher Arar concluait que le Canada devait prendre les grands moyens pour s’assurer de ne jamais être complice de la torture à l’étranger.

En 2008, une commission d’enquête fédérale, menée par le juge Dennis O’Connor, concluait que des informations erronées fournies par la GRC aux Américains après les attentats du 11 septembre 2001 avaient fort probablement causé le terrible cauchemar vécu en Syrie par Maher Arar.

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Interrogé en 2014 sur le rapport du Sénat américain accablant sur les techniques de torture utilisées par la CIA durant les années de pouvoir de l’administration Bush, le premier ministre canadien Stephen Harper affirmait que toute cette affaire « n’a rien à voir en quoi que ce soit avec le gouvernement du Canada. »

Stephen Harper. Photo crédit : José Luis Magana

Stephen Harper. Photo crédit : José Luis Magana

RCI avec La Presse canadienne et la contribution de Michel C. Auger, Claude Bernatchez, Céline Galipeau et Anne-Marie Dussault de Radio-Canada.

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