La ministre canadienne des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, a emboîté le pas aux alliés britannique et américain en condamnant le 19 mars dernier l'attaque russe. Photo : Reuters/Christinne Muschi

La ministre canadienne des Affaires étrangères Chrystia Freeland est souvent en première ligne dans les batailles que mène Ottawa contre Washington.(Reuters/Christinne Muschi)

Expulsion de près de 120 diplomates russes en Occident, dont 4 au Canada

Washington mène, et de loin, le mouvement d’expulsion avec la plus importante expulsion d’« espions » russes de son histoire et la fermeture du consulat de Russie à Seattle.

« Les États-Unis sont prêts à coopérer pour bâtir une meilleure relation avec la Russie, mais cela ne peut se produire que si le gouvernement russe change d’attitude », a commenté la Maison-Blanche.

Le président américain s’était jusque-là montré moins catégorique. Son appel à Vladimir Poutine pour le féliciter de sa réélection, la semaine dernière, a même été critiqué aux États-Unis, car Donald Trump avait évité ce sujet délicat, préférant évoquer une possible rencontre pour désamorcer des tensions sans précédent depuis la fin de la guerre froide.

L’administration Obama avait expulsé 35 agents russes fin 2016 pour punir Moscou de son ingérence présumée dans l’élection présidentielle américaine, démentie par Moscou.

Expulsion modérée au Canada et conversation téléphonique entre Trump et Trudeau

Les deux victimes : Yulia Skripal et son père Sergei Skripal demeurent dans un état grave.

Les deux victimes : Yulia Skripal et son père Sergei Skripal demeurent dans un état grave.

Le Canada a pour sa part annoncé lundi l’expulsion de quatre diplomates dans le cadre de ces représailles coordonnées des pays occidentaux après l’empoisonnement d’un ex-agent russe au Royaume-Uni, attribué par Londres à Moscou.

De plus, par solidarité avec le Royaume-Uni, trois demandes supplémentaires de personnel diplomatique présentées par Moscou au Canada seront rejetées, a ajouté la ministre canadienne des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, dans un communiqué.

La Chambre des communes avait déjà adopté une résolution attribuant à Moscou l’attentat à l’agent neurotoxique perpétré contre l’ancien espion Sergueï Skripal, à Salisbury, en Angleterre.

« Nous expulsons quatre membres du personnel diplomatique de la Russie travaillant à l’ambassade à Ottawa ou au consulat général à Montréal, a précisé la ministre Freeland. Il a été établi que ces quatre personnes sont des agents du renseignement ou des personnes qui ont utilisé leur statut diplomatique pour compromettre la sécurité du Canada ou s’immiscer dans sa démocratie. »

« L’attentat à l’agent neurotoxique perpétré est un acte méprisable, odieux et irresponsable qui aurait pu mettre en danger la vie de centaines de personnes, affirme la ministre Freeland. Ces mesures ne visent pas le peuple russe, avec lequel les Canadiens entretiennent depuis longtemps des relations fructueuses. Le Canada demeure déterminé à dialoguer et à coopérer avec la Russie en ce qui a trait aux enjeux communs à nos deux pays. »

Le dossier a d’autre part fait l’objet d’un entretien téléphonique, lundi soir, entre le premier ministre Justin Trudeau et Donald Trump.

« Les dirigeants ont discuté des mesures prises par le Canada et les États-Unis pour soutenir notre allié commun contre la Russie », indique par communiqué le bureau du premier ministre.

Trois des quatre diplomates russes qui seront expulsés du Canada d'ici 10 jours travaillent dans cet édifice qui habrite le consulat de Russie à Montréal. Photo: Reuters

Trois des quatre diplomates russes qui seront expulsés du Canada d’ici 10 jours travaillent dans cet édifice qui abrite le consulat de Russie à Montréal. Photo: Reuters

Ailleurs en Occident

Malcolm Turnbull - Getty Images

Malcolm Turnbull – Getty Images

L’Australie s’est jointe mardi au mouvement, en annonçant l’expulsion de deux diplomates russes. Cela portait à au moins 116 le nombre de diplomates russes qui doivent être expulsés dans 23 pays, dont 16 de l’Union européenne.

Le premier ministre australien Malcolm Turnbull croit que l’attaque de Salisbury participait d’un « schéma de comportement dangereux et délibéré de l’État russe qui constitue une menace croissante pour la sécurité internationale ».

La France, l’Allemagne et la Pologne ont demandé chacune à quatre diplomates russes de partir, suivies notamment par les pays baltes, la Hongrie ou encore l’Espagne. L’Ukraine, en guerre avec des séparatistes prorusses depuis 2014, en a chassé 13, et plusieurs autres pays, membres de l’OTAN pour la plupart, en ont déclaré d’autres persona non grata.

Le président du Conseil européen Donald Tusk a prévenu que de nouvelles expulsions n’étaient pas exclues après cette opération concertée.

L’Islande a de son côté annoncé, à l’instar de Londres, un boycottage diplomatique de la Coupe du monde de soccer en Russie en juin-juillet.

L’impact réel de ces expulsions

Le Royaume-Uni, qui avait déjà expulsé 23 diplomates russes, a salué la réponse extraordinaire de ses alliés. Cela « constitue le plus grand mouvement d’expulsion d’agents russes de l’histoire », s’est réjoui le chef de la diplomatie britannique Boris Johnson, tandis que la première ministre Theresa May a estimé que la Russie était ainsi avertie qu’elle ne peut plus « bafouer le droit international ».

L’expulsion imminente de diplomates russes par une quinzaine de pays occidentaux, dont le Canada et les États-Unis, constitue cependant « un coup d’éclat » à l’impact limité, selon des experts.

Ferry De Kerckhove Photo : Radio-Canada

Ferry De Kerckhove Photo : Radio-Canada

L’ex-ambassadeur canadien Ferry De Kerckhove estime qu’au-delà des décisions annoncées lundi, les relations diplomatiques ne risquent pas de s’envenimer au point de faire cesser les échanges commerciaux. « La Russie en a vu bien d’autres », fait valoir M. De Kerckhove, dans une entrevue accordée à Radio-Canada. Selon lui, cette réaction coordonnée traduit possiblement un « ras-le-bol » face au comportement de la Russie sur la scène internationale, mais il n’est pas dit que les relations entre la Russie et les pays occidentaux vont continuer à se détériorer pour autant.

M. De Kerckhove note en outre que les réactions courroucées de certains pays peuvent aussi s’expliquer par des problèmes internes que vivent leurs dirigeants. Il donne en exemple la fragilité politique de la première ministre britannique, Theresa May, et les ennuis du président américain, Donald Trump, englué dans l’enquête du procureur Robert Mueller sur l’ingérence russe et dans des scandales sexuels.

L'ancien ambassadeur du Canada en Chine, Guy Saint-Jacques - Photo : Radio-Canada

L’ancien ambassadeur du Canada en Chine Guy Saint-Jacques – Photo : Radio-Canada

L’ancien ambassadeur du Canada en Chine Guy Saint-Jacques considère cette vague d’expulsions comme étant « exceptionnelle », car « habituellement, ce sont des expulsions qui se font sur un front bilatéral », précise-t-il. Depuis l’invasion de la Crimée, M. Saint-Jacques estime que la Russie s’en est tirée sans grandes conséquences de la part de la communauté internationale. Il souligne que se sont ajoutés l’intervention dans les élections américaines, les bombardements en Syrie et maintenant l’empoisonnement au gaz innervant de M. Skripal.

« Je pense que la coupe commençait à déborder et qu’il fallait envoyer un message. Aussi, le produit utilisé est un produit chimique et l’utilisation d’un tel produit contrevient à une convention internationale sur les armes chimiques. [Sur] ça aussi, je crois qu’on voulait réagir pour que la Russie comprenne très bien les conséquences de ce geste-là », a dit Guy Saint-Jacques en entrevue à Radio-Canada.

La Russie se défend

Anatoli Antonov - REUTERS/Sergei Karpukhin

Anatoli Antonov – REUTERS/Sergei Karpukhin

Déplorant un « grave coup à la fois quantitatif et qualitatif » à la présence russe aux États-Unis, l’ambassadeur de Russie Anatoli Antonov a estimé sur le site d’information public Sputnik que Washington avait « réduit à néant le peu qu’il restait encore des relations russo-américaines ».

Moscou, qui nie être à l’origine de l’empoisonnement de Sergueï Skripal et de sa fille Ioulia, a immédiatement dénoncé un « geste provocateur » et promis de riposter à son tour. « La Russie n’a jamais eu rien à voir avec cette affaire », a répété le Kremlin.

Recommandé pour vous:
Les fausses nouvelles des trolls russes visaient aussi Justin Trudeau et notre pétrole

 https://www.rcinet.ca/fr/2018/03/19/les-fausses-nouvelles-des-trolls-russes-visaient-aussi-justin-trudeau-et-notre-petrole/ Justin Trudeau pose pour un selfie alors qu'il participe à un rassemblement à Ottawa le mardi 20 octobre 2015. Crédit photo: PC / Sean Kilpatrick

Justin Trudeau pose pour un égoportrait à un rassemblement à Ottawa le mardi 20 octobre 2015. Crédit photo: PC / Sean Kilpatrick

RCI avec l’Agence France-Presse, La Presse canadienne, Reuters et Radio-Canada

En complément

Diplomates russes expulsés : un coup d’éclat à l’impact limité – Radio-Canada

Chrystia Freeland: La grosse pointure canadienne aux Affaires étrangères qui dérange la Russie – RCI

La ministre canadienne des Affaires étrangères restera frappée d’une interdiction de voyage en Russie – RCI

Catégories : International, Politique
Mots-clés : , , , , , , , , ,

Vous avez remarqué une erreur ou une faute ? Cliquez ici !

Pour des raisons indépendantes de notre volonté et, pour une période indéterminée, l'espace des commentaires est fermé. Cependant, nos réseaux sociaux restent ouverts à vos contributions.