Robert Lepage a défendu sa pièce vendredi et rejeté les accusations de racisme portées contre lui.

SLĀV : Robert Lepage dénonce « l’affligeant discours d’intolérance » qui a eu raison de sa pièce

Robert Lepage est sorti de son silence, deux jours après l’annulation de son spectacle SLĀV par le Festival international de jazz de Montréal (FIJM). Le metteur en scène dénonce « l’affligeant discours d’intolérance » qui a entouré la présentation de sa pièce.  Et le fait que la controverse ait eu raison de SLĀV est « un coup porté à la liberté d’expression artistique ».

SLĀV devait être l’un des spectacles phares de l’édition 2019 du FIJM. La pièce, présentée comme « une odyssée théâtrale à travers les chants traditionnels afro-américains, des champs de coton aux chantiers de chemins de fer, des chants d’esclaves aux chansons de prisonniers » se voulait « un hommage hautement visuel à la musique comme outil de résilience et d’émancipation ».

Mais seulement voilà : certains y ont vu une appropriation culturelle, et pire, une pièce raciste. L’esclavage, épisode hautement traumatisant pour les descendants de personnes déportées d’Afrique et pour les Noirs de façon générale est un sujet sensible, voire tabou. Lorsqu’en plus, des esclaves sont jouées par des actrices majoritairement blanches, alors que des actrices noires auraient pu être incluses, le malaise a dégénéré en colère. Or, disent les protestataires, on aurait pu faire d’une pierre deux coups : répondre à la critique de la sous-représentation des minorités ethnoculturelles dans l’espace médiatico-culturel québécois et se montrer fédérateur dans un sujet qui divise et soulève des passions.

Selon certaines personnes, la pièce SLAV exploite un épisode traumatisant de l’histoire des Noirs.

Tant les concepteurs de la pièce, les organisateurs du Festival que les spectateurs ont été accusés de racisme. La controverse a pris une dimension internationale lorsque le chanteur californien Moses Sumney a annulé sa présence. Sur Twitter, il s’est dit « déçu » d’apprendre que SLĀV, un spectacle « dans lequel un groupe de chanteurs majoritairement blancs, dirigés par un metteur en scène blanc québécois, reprennent des chansons d’esclaves afro-américains, parfois costumés en esclaves et travailleurs de champs de coton », était présenté au FIJM.

L’artiste afro-américain est allé plus loin dans sa critique, après que le FIJM eut réitéré son soutien à l’œuvre de Robert Lepage et de Betty Bonifassi. « Quand j’ai appris que le Festival continuait de défendre ce spectacle publiquement, même après de virulentes manifestations – au cours desquelles l’une des spectatrices (en majorité blanches, évidemment) a giflé une femme de couleur qui protestait contre le spectacle – je savais que je ne pouvais plus proposer ma musique au même festival en bonne conscience». Le lendemain, mercredi, le FIJM annonçait l’annulation de SLĀV et présentait ses excuses aux personnes offensées par la pièce.

Robert Lepage s’explique et contre-attaque

Dans sa réaction à la controverse, le principal intéressé, Robert Lepage, reconnaît que dès le départ, son équipe et lui étaient conscients que le sujet « était sensible et qu’il était donc de notre devoir d’agir et de créer ce spectacle de manière respectueuse, réfléchie, informée, honnête et intègre ».

Robert Lepage revendique le droit à l’erreur, mais n’accepte pas de se faire traiter de raciste

Lepage reconnaît aussi que « tout nouveau spectacle comporte son lot de maladresses, de ratés et de mauvais choix ». Mais la beauté du théâtre est que loin d’être figé, il est plutôt un « art vivant qui permet à une œuvre d’être en constante évolution, en perpétuelle réécriture au contact du public et de ses réactions, et de corriger le tir au fil des représentations ». Autrement dit, des ajustements n’étaient pas à exclure, au fur et à mesure des présentations.

Cela dit, Robert Lepage rejette la critique de l’appropriation culturelle. Depuis toujours, rappelle-t-il, le  théâtre a toujours consisté à « jouer à être quelqu’un d’autre. Jouer à l’autre. Se glisser dans la peau de l’autre afin d’essayer de le comprendre et, par le fait même, peut-être aussi se comprendre soi-même ». Cela signifie, selon le metteur en scène, que « l’on emprunte à l’autre son allure, sa voix, son accent et même à l’occasion son genre ».

Incompréhension

Robert Lepage souligne aussi qu’en 40 ans de carrière, il a consacré des spectacles à la dénonciation d’injustices subies par des groupes culturels spécifiques, sans que des acteurs ces groupes fassent partie de la distribution. Ce qui ne lui a pas valu des accusations de racisme. Le problème dans le cas de la traite négrière et de l’esclavage est qu’on a affaire à un sujet hautement sensible pour les communautés noires.

La controverse autour de SLAV a été caractérisée par un dialogue de sourds.

Mais la controverse a enflammé les médias sociaux, avec d’un côté ceux qui défendent la liberté de création de Lepage, et déplorent l’épiderme sensible des protestataires, et de l’autre, ceux qui dénoncent l’effacement médiatique des Noirs même dans des situations où leur présence aurait pu aller de soi.

La controverse, les invectives de part et d’autre et les procès d’intention n’ont pas permis de faire ce qui, au dire de M. Lepage, se fait au théâtre : « se glisser dans la peau de l’autre ». Ce petit exercice d’empathie aurait sans doute permis aux premiers de ne pas sous-estimer ou banaliser la peine des seconds et aux seconds de prendre des choix artistiques pour ce qu’ils sont avant tout : un ensemble de décisions qui n’ont aucune prétention à la perfection.

Lire aussi

Les Canadiens doivent prendre conscience de leur racisme envers les personnes noires, lance Justin Trudeau

Racisme : une juge en résidence de l’Université de Calgary démissionne

D’où venez-vous? Est-ce une curiosité bienveillante ou du racisme systémique?

Catégories : Arts et divertissements, Immigration et Réfugiés, International, Santé
Mots-clés : , , , ,

Vous avez remarqué une erreur ou une faute ? Cliquez ici !

Pour des raisons indépendantes de notre volonté et, pour une période indéterminée, l'espace des commentaires est fermé. Cependant, nos réseaux sociaux restent ouverts à vos contributions.