De nombreux journaux américains souffrent des taxes sur les importation du papier canadien. (REUTERS/Shannon Stapleton - S1AEULWFVDAB)

Les tarifs américains font mal aux… journaux américains

L’administration américaine voulait punir le Canada en imposant des tarifs douaniers de 30 % sur le papier. Mais les premiers punis par cette mesure protectionniste sont… les journaux américains.

Donald Trump, on le sait, n’a jamais été un grand ami des médias, exception faite bien sûr de Fox News. S’il n’en tenait qu’à lui, les New York Times et Washington Post de ce monde, qu’il qualifie de « fake news », pourraient disparaître et cela ne lui ferait ni chaud ni froid. Mais le malheur qui s’abat sur les journaux américains est loin d’être le résultat de cette animosité entre Trump et les fausses nouvelles.

Le département américain du Commerce avait décrété en début d’année des tarifs augmentant d’environ 30 % le prix du papier canadien importé aux États-Unis. Or, le Canada est la première source d’approvisionnement en papier de la presse américaine. La mesure répondait à la plainte d’une papetière de l’État de Washington. La North Pacific Paper Company (Norpac) dénonçait les subventions offertes aux industriels canadiens, source, selon elle, d’un avantage concurrentiel indu.

Un heureux parmi de nombreux mécontents

Lors d’une audition devant la Commission américaine du commerce international (ITC), le 17 juillet, le PDG de Norpac, Craig Anneberg, avait fait valoir que si l’industrie canadienne représentait environ 70 % du marché américain, elle le devait avant tout « à l’aide massive » qu’elle recevait « des provinces et de l’État fédéral ». Il a expliqué que depuis l’instauration des tarifs douaniers, sa papetière avait pu rouvrir une usine et rappeler 60 salariés qu’il avait dû licencier.

On pourrait bientôt assister à la recomposition complète du paysage de la presse écrite américaine en raison de nombreux facteurs économiques. (REUTERS/Shannon Stapleton)

L’ennui c’est que ces taxes ont alourdi les charges de la plupart des autres acteurs de la presse. Les petits titres locaux et régionaux sont ceux qui en souffrent le plus. À ces mesures protectionnistes s’ajoutent la montée en puissance du numérique, la perte de revenus publicitaires et un lectorat vieillissant. Un cocktail qui menace la survie de nombreux titres de presse aux États-Unis.

Ce nouveau coup dur fait mal à une industrie déjà chancelante, qui a vu ses effectifs passer de 400 000 personnes en 2001 à 173 000 en 2016, selon des chiffres publiés par le gouvernement américain. En réaction à l’instauration de ces tarifs douaniers, de nombreux membres de l’association ont déjà gelé les embauches et réduit leur pagination ou la taille de leurs éditions.

Petits groupes de presse menacés de disparition

Même si plusieurs journaux américains ont accentué leur présence sur Internet ces dernières années, les publications locales dépendent encore des éditions imprimées comme source de revenus. Andrew Johnson, éditeur de trois hebdomadaires dans le Wisconsin et président de l’Association des journaux américains (NNA), dit avoir perdu des abonnés ces dernières années. Il ne peut pas répercuter une nouvelle hausse dans le prix de vente à l’unité de ses journaux sans nuire à ses activités.

Plusieurs journaux américains ont des difficultés financières, à l’instar du New York Daily News qui vient de réduire de licencier 50% de son personnel journalistique (REUTERS / Brendan McDermid )

Plusieurs journaux américains ont des difficultés financières, à l’instar du New York Daily News qui vient de licencier 50% de son personnel journalistique. (REUTERS / Brendan McDermid )

Le New York Daily News, longtemps l’un des 10 titres phares aux États-Unis, a licencié lundi près de la moitié de sa rédaction. Elle ne compte plus désormais qu’une petite quarantaine de journalistes.

« Après la masse salariale, notre plus gros poste de coûts est le papier et nous taillons là aussi », a déclaré Paul Tash, PDG du Tampa Bay Times, quotidien de Floride, lors d’une récente audition.

Si les tarifs perdurent, certains éditeurs disent envisager d’arrêter certains journaux ou de les vendre à de plus grands groupes de presse Andrew Johnson, président de l'Association des journaux américains (NNA)

Pour Penelope Abernathy, professeure d’économie des médias à l’Université de Caroline du Nord, le maintien des tarifs douaniers pourrait « sonner le glas » de nombreux journaux, qui rejoindraient les quelque 60 quotidiens et 1800 hebdomadaires disparus depuis 2004.

Des salles de nouvelles jadis occupées sont maintenant désertes dans des médias de moyenne et de petite tailles. © Will Steacy/ exposition Deadline

Le mal est fait

Pour sa part, Paul Boyle, vice-président de la News Media Alliance, autre organisation professionnelle représentant quelque 2000 journaux, dénonce le fait que la réclamation d’une seule entreprise, la Norpac, ait bouleversé une industrie, malgré elle. « D’autres papetiers et leur organisation professionnelle se sont opposés à cette démarche, de même que tous les éditeurs et les imprimeurs », affirme-t-il.

Quoi qu’il en soit, on redoute à présent que les dégâts causés par les taxes douanières aux groupes de presse, mais aussi à l’édition en général, ne réduisent la demande et touche l’industrie papetière américaine. Le département américain du Commerce doit se prononcer le 2 août sur l’éventuel maintien des tarifs douaniers sur le papier canadien. Même s’il choisissait de les conserver, l’ITC, qui se prononcera fin août sur le dossier, pourrait encore les annuler.

Pour Paul Boyle cependant, même une issue favorable devant la Commission américaine du commerce international ne pourra pas réparer les pots cassés. « Le mal a déjà été fait, les journaux ne récupéreront pas leur argent », se désole-t-il.

(Avec l’AFP et Reuters)

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