#MoiAussi : grandeurs et tribulations d’une onde de choc planétaire

Lancé en 2017, le mouvement #MeToo est très vite devenu un phénomène planétaire. (JUNG HAWON/AFP/Getty Images)

Rediffusion −Tout est parti d’une enquête du New York Times publiée le 5 octobre 2017. L’enquête intitulée « Harvey Weinstein Paid off Sexual Harassment Accusers for Decades» (Harvey Weinstein a payé des accusatrices de harcèlement sexuel pendant des décennies) détaille les allégations d’inconduite sexuelle du producteur à Hollywood. Le texte explosif de Jodi Kantor et de Megan Twohey va déclencher un séisme planétaire que personne n’a vu venir. Avec la force d’un torrent longtemps contenu, les langues vont se délier et des têtes vont tomber, y compris au Canada.

Le mot-clé #MeToo, lancé par la militante afro-américaine Tarana Burke en 2007 pour dénoncer les violences sexuelles à l’encontre des minorités ethnoculturelles prend une nouvelle résonance avec l’enquête du quotidien. L’actrice et productrice américaine Alyssa Milano donne une nouvelle vie à ce mot-clé en le tweetant le 15 octobre 2017 afin d’encourager les femmes victimes d’agressions sexuelles à faire part de leurs expériences.

Au Canada, le mouvement #MeToo/#TimesUp movements/#MoiAussi déclenche aussitôt une avalanche de dénonciations d’inconduites sexuelles qui n’épargne personne. Politiques, artistes, religieux, enseignants, entraîneurs, collègues, amis et même parents sont dénoncés. Bref, aucun milieu ni groupe n’est épargné.

Agressions sexuelles selon le Code criminel canadien
  • Niveau 1 (agression sexuelle simple) : Tout contact physique de nature sexuelle posé sans le consentement de la personne, allant des attouchements à la relation sexuelle complète.
  • Niveau 2 (agression sexuelle armée) : l’agresseur porte, utilise ou menace d’utiliser une arme ou une imitation d’arme; menace d’infliger des blessures à une personne autre que la victime; inflige des blessures (lésions) corporelles à la victime; ou quand plusieurs personnes commettent une agression sexuelle sur la même personne.
  • Niveau 3 (agression sexuelle grave) : la victime a été blessée, mutilée, défigurée ou encore que sa vie a été mise en danger par l’agresseur.

La classe politique canadienne ébranlée

Patrick Brown, alors chef du Parti progressiste-conservateur de l’Ontario (PPCO), est emporté par des accusations d’inconduite sexuelle en janvier 2018, à quelques mois des élections législatives. Celui qui se voyait déjà premier ministre de la plus importante province canadienne, tant les sondages lui étaient favorables, disparaît de la scène politique du jour au lendemain.

Il refait surface comme maire de la ville de Brampton en banlieue de Toronto, en octobre 2018. Mais sa déchéance du PPCO est une situation inespérée pour l’ancien conseiller municipal de Toronto Doug Ford, qui remporte la course à l’investiture du parti, organisée in extremis. M. Ford préside désormais aux destinées de l’Ontario, fort d’une victoire qui a laminé le Parti libéral au pouvoir dans la province pendant 15 ans.

Patrick Brown, chef du Parti progressiste conservateur de l’Ontario, a été l’une des premières victimes politiques du mouvement #MeToo au Canada. (REUTERS/Mark Blinch)

La démission de Patrick Brown coïncide avec celle d’un autre chef du Parti progressiste-conservateur, cette fois de la Nouvelle-Écosse. Jaimie Baillie a été forcé de se retirer pour des allégations de comportement inapproprié, notamment de harcèlement sexuel.

À Ottawa, pendant ce temps, le ministre fédéral des Sports et des Personnes handicapées, Kent Hehr, est accusé de harcèlement. Plutôt que de nier les accusations, M. Hehr a préféré démissionner sans attendre les conclusions de l’enquête.

Même le premier ministre Justin Trudeau n’est pas épargné. Une affaire datant de 2000, alors qu’il avait 28 ans et aucune responsabilité politique, refait surface dans les médias. Une journaliste allègue que le premier ministre du Canada se serait comporté de manière inappropriée lors d’un festival de musique, à Creston, en Colombie-Britannique.

Aux journalistes qui voulaient avoir sa version des faits sur cet incident présumé, Justin Trudeau ne s’est pas défilé. « Je me souviens bien de cette journée à Creston, a-t-il assuré. J’ai passé une bonne journée ce jour-là. Je n’ai aucun souvenir de la moindre interaction négative. »

Le milieu artistique sous le choc

Au même moment, au Québec, c’est la descente aux enfers pour de nombreuses personnalités publiques. L’animateur-vedette de télévision Éric Salvail est épinglé par 11 personnes qui affirment avoir été victimes ou témoins d’inconduites sexuelles de sa part. Le producteur et fondateur du groupe d’humour Juste pour rire, Gilbert Rozon, est accusé par au moins 10 femmes de harcèlement ou d’agression sexuelle. M. Rozon a été contraint de démissionner de la présidence de son entreprise, de son poste de commissaire aux Célébrations du 375e de Montréal et de la vice-présidence de la Chambre de commerce du Montréal Métropolitain.

L’éditeur montréalais Michel Brûlé est aussi accusé d’inconduites sexuelles par sept ex-employées. L’écrivaine québécoise Jill Côté leur emboîte le pas en révélant qu’en 2014, M. Brûlé l’avait agressée sexuellement. En octobre 2018, un mandat d’arrêt du Service police de la Ville de Québec a été délivré contre Michel Brûlé.

Parmi les nombreuses personnalités québécoises visées par des poursuites ou des allégations d’agression sexuelle, on peut mentionner l’ancien entraîneur de gymnastique Michel Arsenault, l’ancien journaliste Michel Venne ou encore le chef d’orchestre et ancien directeur artistique de l’Orchestre symphonique de Montréal (OSM), Charles Dutoit. Mais l’enquête interne de l’OSM au sujet du maestro est déclarée non-concluante.

Gilbert Rozon (à droite) a perdu son empire de l’humour après les dénonciations et plaintes de femmes pour ses inconduites sexuelles. (REUTERS/Fred Thornhill )

Du côté des victimes à présent, quelques célébrités ont osé briser le silence. C’est le cas des animatrices de télévision Julie Snyder et Pénélope McQuade ainsi que de la comédienne Patricia Tulasne. Toutes les trois accusent Gilbert Rozon d’agressions sexuelles. Patricia Tulasne fait par ailleurs partie d’une association de femmes, créée pour la circonstance, dénommée « Les Courageuses », qui intente une action collective contre l’ex-patron de Juste pour rire.

Au Canada anglais, les actrices Kelly McCormack, Marni Van Dyk et Cara Gee font état du harcèlement sexuel et du sexisme dont elles ont été l’objet au sein de l’industrie cinématographique canadienne. Au banc des accusés, des personnalités tout aussi connues comme l’acteur, scénariste et réalisateur Chris Craddock qui a admis avoir touché des femmes sans leur permission.

Une autre célébrité canadienne, le chef cuisinier Matt Carmichael, a aussi reconnu avoir harcelé sexuellement des femmes avec des commentaires inappropriés. Dénégation vigoureuse en revanche pour Michael Coleman, acteur et producteur vancouvérois, accusé de harcèlement sexuel sur des étudiants dans ses cours de théâtre. L’allégation remontait à 2009, avant que Coleman ne cofonde la SchoolCreative Institute de Vancouver, une institution de formation en théâtre avec laquelle il a depuis rompu tout lien.

Michael Crowe, l’entraîneur-chef de l’équipe canadienne de patinage de vitesse sur longue piste, a quant lui été limogé par Patinage de vitesse Canada. Il lui est reproché d’avoir eu des relations sexuelles avec ses athlètes lorsqu’ils séjournaient aux États-Unis. Un comportement proscrit par la politique de sa fédération.

Les centres d’aide aux victimes débordés

Un fait est indéniable : les inconduites sexuelles, habituellement peu dénoncées, semblent l’être davantage depuis le lancement du mouvement #MoiAussi. Le nombre d’agressions sexuelles rapportées par les corps policiers au pays est passé de 59 par jour avant le début du mouvement à 74 un an plus tard, soit une hausse de 25%.

Et c’est au Québec que l’augmentation a été la plus importante, soit 61%. Selon Statistique Canada, on est passé de 12,4 à 20 victimes par tranche de 100 000 habitants dans la province. Dans le même temps, les centres d’aide aux femmes et aux victimes de viols sont débordés partout. On parle d’une hausse des appels de 553 % en quelques mois au Québec. Le gouvernement a dû d’ailleurs débloquer une aide d’urgence de 1 million de dollars pour ces centres.

Stéphanie Tremblay, porte-parole du Regroupement québécois des centres d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (RQCALACS), donne quelques précisions sur les effets directs de #MoiAussi sur le travail de l’organisme dans la province.

En Alberta les appels dans des organismes du même type ont doublé en un rien de temps. Le Kawartha Sexual Assault Centre, qui vient en aide aux victimes d’agressions sexuelles en Ontario, a noté une multiplication par cinq du nombre d’appels téléphoniques reçus comparativement à l’année précédente. La constatation est presque identique dans la capitale canadienne, Ottawa.

À Vancouver, en Colombie-Britannique, le Centre de crise contre le viol des femmes et contre la violence (WAVAW) croule littéralement sous le poids des sollicitations depuis le lancement de #MeToo. Le Centre qui offre soutien et guérison aux femmes ayant subi une forme de violence sexuelle dispose maintenant d’une liste d’attente qui s’étale sur 18 mois.

Toujours en Colombie-Britannique, des cas de discriminations fondées sur le sexe sont de plus en plus rapportés. Les tribunaux ont été saisis pour 187 affaires au cours des 12 derniers mois, comparativement à 163 l’année précédente.

En Nouvelle-Écosse, les demandes de renseignements relatifs aux questions de discrimination sexuelle ont augmenté d’environ 50 % par rapport à l’année dernière. Même son de cloche au Manitoba où les responsables locaux constatent une augmentation des demandes de renseignements, même s’ils n’en fournissent pas des détails.

Pour sa part, le Conseil du statut de la femme de Saint-Jean, à Terre-Neuve, a relevé une hausse de 30 % du nombre de femmes qui demandent de l’aide afin de gérer des séquelles de violence sexuelle. Des femmes qui ont longtemps souffert en silence, gardant pour elles-mêmes le lourd secret du drame dont elles avaient été victimes.

Des demandes d’éducation et de formation sur le harcèlement sexuel en milieu de travail se multiplient également au pays. De nouveaux cours sur le sujet sont désormais offerts au Manitoba, en Nouvelle-Écosse et à l’Île-du-Prince-Édouard.

Autant dire que le mouvement #MoiAussi a permis de lever le voile sur un problème qui, malgré sa gravité, demeure encore tabou. Mais surtout, il continue de servir de thérapie collective, de cri du cœur et d’appel à la prise de conscience.

Dorothy Alexandre, la présidente du Conseil des Montréalaises, se réjouit de cette prise de parole, même si elle souhaite que le mouvement soit plus inclusif et plus représentatif de toutes les catégories de femmes.

Peu de plaintes
  • 12 % des victimes d’agression sexuelle ne signalent pas l’incident de peur de déshonorer leur famille.
  • Une agression sexuelle sur 20 est signalée à la police.
  • 78 % des victimes qui n’ont pas signalé l’incident à la police estiment que celui-ci était trop anodin pour valoir la peine d’être signalé.
Source : Enquête sociale générale (ESG) de 2014

Le silence assourdissant du monde professionnel

En février 2018, un sondage de l’Institut Angus Reid révélait que la moitié des Canadiennes ont été victimes de harcèlement sexuel au travail. Plus du quart d’entre elles (28 %) disaient avoir eu des contacts sexuels sans consentement dans leur milieu professionnel. Et la majorité d’entre elles n’ont pas osé signaler ces incidents.

Dans une enquête publiée le 12 décembre 2017, le groupe de recherche Gandaf de Toronto faisait état du décalage entre les perceptions des dirigeants et la réalité des employés en matière de harcèlement sexuel en milieu de travail. Plus de 9 dirigeants canadiens sur 10 (94 %), selon l’enquête, estiment que le harcèlement sexuel n’est pas un problème dans leur entreprise.

Une proportion presque identique de dirigeants (93 %) disent avoir une culture d’entreprise qui prévient le harcèlement sexuel. Et presque 7 dirigeants sur 10 (69 %) affirment que le harcèlement sexuel est un problème moins grave qu’il y a 15 ans.

Pourtant, selon un rapport du gouvernement fédéral rendu public début novembre 2017, 60 % des Canadiens disent avoir été victimes de harcèlement au travail, tandis que 30 % ont été harcelés sexuellement. Fait significatif, 94 % des personnes ayant déclaré avoir été harcelées sexuellement étaient des femmes. En outre, 21 % des répondants au sondage ont été victimes de violence générale et 3 % de violence sexuelle.

Le rapport du gouvernement fédéral recommande la formation et une éducation soutenues afin d’aider les employeurs à comprendre ce qui se passe sur leur lieu de travail et à y répondre adéquatement.

La plupart des répondants au sondage du gouvernement fédéral ont déclaré que, même si leur lieu de travail était doté de politiques de prévention du harcèlement sexuel et de la violence, ils n’avaient pas reçu de formation à ce sujet. Les trois quarts des répondants au sondage (76 %) ont en effet indiqué que leur employeur disposait d’une politique en matière de harcèlement sexuel. Mais seulement un peu plus de quatre employés sur dix (43 %) avaient participé à une formation sur cette politique.

Beaucoup reste donc à faire sur le plan de la sensibilisation et sur la perception des changements dans ce dossier. Toutes les données le montrent, il existe encore un gouffre entre la réalité des inconduites sexuelles et les efforts pour les endiguer.

« Certains hommes ne me rencontreront pas seule »

Selon le rapport d’Ottawa, non seulement les incidents de harcèlement et de violence sexuelle en milieu de travail sont sous-déclarés, mais ils sont souvent traités de manière inefficace lorsqu’ils sont signalés. Il faut donc encore beaucoup de travail et de persévérance pour assainir les environnements de travail au Canada.

Malgré cela, le mouvement #MoiAussi, catalyseur des changements observés au cours des derniers mois, suscite déjà des inquiétudes. Ses contrecoups commencent à se faire sentir dans certains milieux professionnels. Selon une enquête de La Presse canadienne publiée en août 2018, les femmes dans les entreprises observent un « effet paralysant » sur leurs relations avec leurs collègues et superviseurs masculins.

Outre une baisse notable des invitations à des réunions, à des voyages d’affaires et à des dîners qui sont autant d’activités considérées comme précieuses pour l’avancement d’une carrière, les femmes notent aussi des hésitations des cadres supérieurs à épauler les employées. Les femmes craignent de ne plus pouvoir rester seules avec leur patron pour un travail, observe Lori McIntosh, fondatrice et chef de la direction de Vim and Vixin, une société basée à Toronto qui aide de plus en plus les femmes à occuper des postes de direction.

Panorama agressions sexuelles au Canada
  • En 2014, les Canadiens ont déclaré un total de 6,4 millions d’actes criminels, dont 10 % étaient de cas d’agression sexuelle.
  • L’agression sexuelle est le seul crime dont le taux est demeuré relativement stable (22 incidents pour 1000 habitants) au cours des 10 dernières années.
  • 71 % des agressions sexuelles étaient des attouchements. 20 % des cas d’agressions sexuelles impliquaient la force physique.
  • Dans 9 % des cas d’agressions sexuelles déclarées en 2014, la victime n’était pas en mesure de consentir à une activité sexuelle (droguée, intoxiquée ou manipulée sans violence physique).

Source: Enquête sociale générale (ESG) de 2014, [/su_note]

Les dénonciations des derniers mois ont servi de thérapie à certaines femmes. Mais elles ont aussi ravivé de vieilles blessures. REUTERS/Andy Clark

« Certains hommes ne me rencontreront pas seule », ajoute Mme McIntosh, qui dit avoir déjà subi les effets pervers du mouvement #MeToo. Elle en veut pour preuve un incident récent au cours duquel le PDG d’une entreprise d’une valeur de 1 milliard de dollars avait fait spécifiquement allusion à #MeToo après avoir demandé à un tiers d’être présent à une réunion avec elle.

Le phénomène n’est pas exclusivement canadien. Même aux États-Unis, des sondages de cadres d’entreprises indiquent qu’un nombre croissant d’hommes se disent mal à l’aise ou redoutent de travailler seuls avec une femme. Quant aux hommes âgés, ils hésitent de plus en plus à encadrer des femmes plus jeunes ou à les inclure dans des activités telles que les voyages d’affaires ou les dîners avec des clients. Traduction : les hommes ont peur d’être accusés à tort de harcèlement sexuel.

« La liberté d’importuner, indispensable à la liberté sexuelle »

Une enquête du site Internet américain VOX réalisée en mars 2018 révélait que 63 % de femmes interrogées étaient très ou assez inquiètes au sujet de fausses accusations et 56 % s’alarmaient que les auteurs d’inconduites sexuelles reçoivent quasiment la même sanction ou le même traitement indépendamment de la gravité des cas.

Une centaine de femmes connues en France, dont l’actrice Catherine Deneuve (à gauche), ont dénoncé ce qu’elles considèrent comme les dérives du mouvement #MeToo. (REUTERS/Stephane Mahe)

Selon une étude du Pew Research Center d’avril 2018, toujours aux États-Unis, 31 % des sondées affirment que les femmes qui se prétendent victimes de harcèlement sexuel ou d’agression sexuelle constituent aujourd’hui un problème majeur.

En France, une centaine de femmes ont exprimé leur malaise dans ce qui, à leurs yeux, est une dérive du mouvement #MeToo et #BalanceTonPorc. Le 9 janvier 2018, elles ont publié dans le quotidien Le Monde une tribune intitulée « Nous défendons une liberté d’importuner, indispensable à la liberté sexuelle ».

Ces femmes, dont l’actrice Catherine Deneuve, la journaliste Élisabeth Lévy et l’écrivaine Catherine Millet, ont dénoncé les « mises en accusation publiques d’individus qui, sans qu’on leur laisse la possibilité ni de répondre ni de se défendre, ont été mis exactement sur le même plan que des agresseurs sexuels. Cette justice expéditive a déjà ses victimes, des hommes sanctionnés dans l’exercice de leur métier, contraints à la démission ».

Cette défense des hommes a provoqué la réaction outrée de certains groupes féministes pour qui dénoncer les avances insistantes ou les commentaires sexistes n’a rien à voir avec la « haine des hommes » ni avec la « liberté sexuelle », mais a tout à voir avec une volonté d’autonomie, de liberté, de respect et de rejet de la prédation.

L’initiatrice du mot-clé #BalanceTonPorc en France, la journaliste Sandra Muller, en dresse d’ailleurs un bilan plutôt acerbe. « La France, dit-elle, n’a rien compris au mouvement #MeToo qui a été vu comme une menace à la liberté sexuelle. » Or, insiste-t-elle, ce mouvement n’a jamais été une offensive contre la drague, la séduction ou le sexe. Son objectif demeure simplement de dénoncer le fait que certains hommes usent de leur pouvoir pour abuser des femmes en situation de subordination.

Sandra Muller note au passage, pour s’en désoler, qu’en France, à peine 20 à 30 personnalités ont été accusées publiquement d’agression sexuelle, contre « plus de 240 aux États-Unis ». Donc, alors que des têtes tombent aux États-Unis, en France, regrette-t-elle, on fait le procès des victimes.

Cela dit, d’autres célébrités du septième art comme le cinéaste autrichien Michael Haneke, gagnant d’un Oscar et de deux Palmes d’or ont jugé utile de dénoncer l’« hystérie de dénonciation précoce » qui entoure le mouvement #MoiAussi. Il l’a qualifiée de « dégoûtante ». Selon lui, le scandale des inconduites sexuelles à Hollywood n’est rien d’autre qu’une « chasse aux sorcières » qui provoque « un nouveau puritanisme hostile aux hommes ».

Tout en saluant les effets bénéfiques de #MeToo, la sexologue et psychothérapeute Sylvie Lavallée met néanmoins en garde contre les larges tentacules du mouvement qui pourraient nuire à la séduction, aux rapports hommes-femmes, aux relations au travail, etc.

Écoutez

Le réalisateur et scénariste autrichien Michael Haneke fait partie des pourfendeurs du mouvement MeToo. (REUTERS/Mario Anzuoni)

Le juge Brett Kavanaugh, #HimToo et l’inversion des rôles

La confirmation par le Sénat américain du juge Brett Kavanaugh à la Cour suprême alors que celui-ci avait été accusé d’agression sexuelle par trois femmes a laissé un goût amer au mouvement #MeToo. L’organisation féministe Equality now y a vu un message clair et démoralisant envoyé aux Américains qui se résume ainsi : « Si vous êtes agressé sexuellement, il vaut mieux rester silencieux. »

Très remonté, l’organisme Human Rights Campaign a promis que les choses n’en resteraient pas là. HRC a appelé les millions d’Américains ayant mené le combat acharné contre ce candidat de Trump de « faire entendre leur voix en novembre et au-delà en élisant des législateurs qui défendront nos droits plutôt que de nous vendre ».

Bien avant le dénouement de l’affaire Kavanaugh, le président Trump, lui-même accusé d’abus sexuels, a pris fait et cause pour les hommes qui, à ses yeux, sont les victimes d’une nouvelle croisade. « C’est une époque vraiment terrifiante pour les jeunes hommes en Amérique, a-t-il déclaré le 2 octobre. Vous pouvez être coupable de quelque chose dont vous n’êtes pas coupable. »

Lors d’un rassemblement public quelques jours plus tard, Donald Trump a pris à partie l’accusatrice du juge Brett Kavanaugh, Christine Blasey Ford, raillant les trous de mémoire de l’universitaire lors de son audition devant les sénateurs. Pour Clara Wilkins, chercheuse en psychologie sociale à l’Université Washington à Saint-Louis, interrogée par l’AFP, « en présentant le juge Kavanaugh comme accusé à tort, Trump va renforcer la croyance des hommes qu’ils sont des victimes ».

Des centaines d’activistes américains ont protesté contre la candidature de Brett Kavanaugh à la Cour suprême des États-Unis et manifesté leur soutien à Christine Blasey Ford, professeure d’université qui avait accusé Kavanaugh d’agression sexuelle en 1982. (REUTERS/Stephen Yang)

« Chercher justice n’est pas crier vengeance »

On le voit, malgré la noblesse de son objectif, le mouvement #MeToo est loin de faire l’unanimité. D’un côté, on évoque des dénonciations infondées, des condamnations sans procès, alors que de l’autre, on brandit le mépris de la douleur des victimes et le déni de crédibilité de celles-ci.

Pour recadrer le débat, des Québécoises ont lancé le mouvement #EtMaintenant (voir encadré ci-dessous) qui se veut la voix de la sagesse et de la mise en perspective. Pour ces femmes, il faut dépassionner le débat. « Chercher justice n’est pas crier vengeance », écrivent-elles. À la question « Et maintenant? », leur réponse est claire : il faut continuer sur la trajectoire lancée, par #MoiAussi, avec les hommes à leurs côtés.

Selon elles, « tellement reste à faire afin que les politiques publiques, la culture des entreprises et des institutions, les contenus médiatiques – eh oui, les relations amoureuses et sexuelles – évoluent dans le sens d’une véritable égalité entre les genres ».

Une chose est certaine, et diverses études le démontrent, le contexte médiatique actuel favorise les victimes. Les médias sociaux servent à la fois de caisse résonante et de trait d’union entre elles. Elles peuvent plus aisément parler de leurs expériences, se soutenir et attirer l’attention sur un phénomène qui est tout sauf anecdotique.

#EtMaintenant?

Au-delà d’Hollywood, cet élan, insufflé d’abord par la militante Tarana Burke il y a 10 ans, est celui des travailleuses à bas revenu, des mères de famille, des femmes célèbres ou marginalisées, des adolescentes et des sexagénaires. Leur parole a soulevé partout un vent de reconnaissance, d’empathie, d’espoir fabuleux… et certains débats. Tant mieux. Qui voudrait, en démocratie, de la pensée unique?

Le constat est néanmoins troublant. Partout dans la société, les femmes sont exposées aux diverses formes de violence ou d’agression sexuelles. Comment se fait-il qu’au terme de décennies de lutte pour l’égalité entre les sexes, tout cela continue de miner l’existence des femmes?

Nous savons faire les nuances nécessaires. Oui, il y a une différence entre un commentaire sexiste et une agression sexuelle. Mais un acte a-t-il besoin d’être criminel pour être inapproprié? S’il est posé sans le consentement de la personne, s’il se répète, si le refus entraîne des représailles, cet acte est un abus de pouvoir. Il n’a pas pour but de séduire, mais d’asseoir une domination.

Les femmes n’acceptent plus d’être réduites au statut d’objets du désir masculin. Elles veulent poser leurs limites, dire « non » sans craindre le renvoi, l’insulte ou la violence. Il ne s’agit pas de jouer à la police des mœurs, d’empêcher le jeu de la séduction… ou de lancer une chasse aux sorciers. Chercher justice n’est pas crier vengeance.

Les choses changent et les révolutions suscitent toujours de l’inconfort. Néanmoins, les retombées de #MoiAussi sont positives. La réflexion et le dialogue se sont amorcés, positivement, dans l’intimité comme dans l’espace public. Tant de femmes et tant d’hommes y voient un souffle et de l’espoir. Ce n’est pas de victimisation dont il est question, mais d’une force qui enfin s’affiche.

Et maintenant? Nous voulons continuer sur cette lancée, les hommes à nos côtés. Tellement reste à faire! Afin que les politiques publiques, la culture des entreprises et des institutions, les contenus médiatiques – eh oui, les relations amoureuses et sexuelles – évoluent dans le sens d’une véritable égalité entre les genres. Nous vous invitons à vous joindre à ce mouvement pour que désormais les « non » s’élèvent quand il le faut. Pour que ce soit à nos désirs et à nos amours qu’ensemble, hommes et femmes, nous disions « oui». Plus de 33 000 personnes au Québec et à l’extérieur de la province l’ont fait.

Instigatrices de la déclaration: Aurélie Lanctôt, Léa Clermont-Dion, Josée Boileau, Francine Pelletier, Françoise David, Elisabeth Vallet

Les femmes autochtones sont parmi les plus touchées par les violences sexuelles au Canada.. REUTERS/Andy Clark

Consentement sexuel en fonction de l’âge selon le Code criminel canadien
  • Depuis 2008, l’âge de consentement est fixé à 16 ans. Il faut avoir 18 ans pour consentir à une activité sexuelle avec une personne en position d’autorité, de confiance ou avec qui il y a un lien de dépendance
  • De 12 à 17 ans, une personne ne peut avoir de contact sexuel avec un proche, un/une gardien/ gardienne, enseignant/ enseignante, etc.
  • Une personne de moins de 12 ans ne peut pas légalement consentir à un contact sexuel.
  • Une personne de 12 ou 13 ans peut avoir un partenaire sexuel d’au maximum deux ans de plus. Donc, si une ou un mineur a 12 ans, son partenaire doit être âgé de 14 ans maximum; si elle/il a 13 ans, le/la partenaire doit avoir 15 ans maximum.
  • Une personne de 14 ou 15 ans peut avoir un/une partenaire sexuel d’au maximum cinq ans de plus. Donc si une ou un mineur a 14 ans, son partenaire doit être âgé de 19 ans maximum; et si elle/il a 15 ans, le partenaire doit être âgé de 20 ans maximum). [/su_list]

(Sources consultées : AFP, La Presse canadienne, VOX, Le Monde, Statistique Canada, Regroupement québécois des centres d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel)

1ère diffusion: 10 novembre 2018

Catégories : International, Politique, Société
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