Diamants : la face cachée de la prospérité

Centre-for-northern-families-buildingSOMBA K’E/YELLOWKNIFE, Territoires du Nord-Ouest – Bien que la prospérité générée par l’industrie des diamants dans les Territoires du Nord-Ouest ait permis à des milliers de familles de sortir de la pauvreté, elle a empiré les choses pour un certain nombre d’autres, qui croulent sous les dettes ou sont aux prises avec des problèmes d’abus d’alcool ou d’autres drogues, déclare Arlene Haché, ancienne directrice générale du Centre for Northern Families à Yellowknife.

Mme Haché fait observer que les gens n’étaient tout simplement pas prêts à composer avec la prospérité soudaine engendrée par l’arrivée d’emplois bien rémunérés lorsque l’exploration et le boum minier dans le secteur des diamants ont commencé dans les Territoires du Nord-Ouest en 1991, après que les géologues Chuck Fipke et Stewart Blusson eurent découvert des diamants dans la toundra de la région du lac de Gras, qui se trouve à environ 310 kilomètres au nord-est de la capitale des Territoires, Yellowknife.

« Quand vous passez de la pauvreté à l’abondance, vous voulez réellement vivre comme les autres vivent depuis longtemps. Vous voulez donc des voitures, des maisons et tout ce que les autres possèdent », mentionne Mme Haché, depuis son bureau situé dans une maison du centre-ville de Yellowknife, qui a été convertie en maison de refuge pour femmes. « En fait, les gens sont tellement enthousiastes parce que des emplois deviennent disponibles en grand nombre dans les communautés que, dans certaines communautés, on voit des marchands de voitures qui établissent leurs commerces au beau milieu de la communauté. Il est frappant de constater que les membres d’une communauté entière conduisent tous le même type de camion ».

Cependant, même de courtes périodes d’interruption de travail, comme les fermetures temporaires de mines, ont mis un grand nombre de familles dans une situation de crise, parce qu’elles n’avaient rien planifié en prévision des jours où elles pourraient se retrouver sans emploi, indique Mme Haché. Maintenant, un grand nombre d’entre elles sont forcées de venir demander de l’aide au centre.

« Par exemple, nous avons une famille qui compte dix enfants. Elle a acheté une maison. Elle a obtenu 50 000 $ de notre gouvernement pour faire l’achat de cette maison. Elle s’est acheté des véhicules, des meubles et elle a perdu tout cela en un clin d’œil, » dit Mme Haché. « La différence, c’est que ces gens se retrouvent maintenant avec des dettes de centaines de milliers de dollars qu’ils n’avaient pas auparavant. »

« Beaucoup de personnes ne savent pas comment gérer la dette qu’elles ont contractée, parce qu’elles pensaient que leur emploi allait durer pour toujours, observe Mme Haché.

« Maintenant, nous voyons le revers de la médaille, nous voyons des familles qui perdent tout et qui veulent juste retourner dans leurs petites communautés et simplement ignorer toutes les dettes qu’elles ont contractées et fermer les yeux sur la situation, parce qu’elles ne savent tout simplement pas comment composer avec la situation, comment la gérer », ajoute Mme Haché. « Sauf que, maintenant, il y a des gens qui les harcèlent pour qu’elles paient leurs factures et remettent de l’argent qu’elles ne possèdent tout simplement pas. »

La prospérité soudaine alimente de vieux problèmes

« La prospérité soudaine attribuable à la création d’emplois bien rémunérés dans le secteur des mines de diamants a accentué certains problèmes sociaux qui existaient depuis longtemps avant que les mines de diamants ne fassent leur apparition », mentionne Roy Erasmus Jr, président et chef de la direction de Det’on Cho Corporation, la branche du développement économique de la Première Nation des Yellowknives Dénés.

L’abus d’alcool ou d’autres drogues s’est accru dans les communautés autochtones en raison d’un accès plus facile à l’argent.

« Nous avons un grand nombre de gens qui terminent leur quart de travail avec beaucoup d’argent dans les poches. En principe, ce devrait être une bonne chose, » dit M. Erasmus. « Mais lorsque des gens qui n’avaient pas l’habitude de disposer de grosses sommes d’argent et de gérer de l’argent se trouvent soudainement avec beaucoup d’argent sous la main, il arrive parfois que les choses tournent mal. »

Les statistiques sur le crime compilées par le gouvernement des territoires entre 1998, année où l’exploitation de la première mine de diamants a commencé, et 2010 confirment un bon nombre de ces observations.

StatistiquesEntre 1998 et 2010, il y a eu une hausse de 43 % du nombre de crimes violents enregistrés sur le territoire, selon les statistiques du gouvernement. Il y a également une hausse de 65 % du nombre d’incidents impliquant une conduite avec facultés affaiblies au cours de la même période. Il y a eu une hausse de 155 % de nombre d’incidents impliquant une possession de cannabis et presque quatre fois plus d’infractions impliquant une possession de cocaïne.

Les représentants de chacune des trois sociétés d’exploitation des mines de diamants dans les Territoires du Nord-Ouest – BHP Billiton, Diavik Diamond Mine et De Beers – disent qu’elles ont  toutes des programmes spéciaux et des travailleurs sociaux formés pour aider les employés à composer avec les problèmes financiers et sociaux. Les sociétés minières ont également investi des millions dans divers programmes sociaux et éducatifs au sein des communautés autochtones – et cela couvre un large spectre : de la construction de centres communautaires à l’encouragement de la lecture.

Le travail par quart : difficile pour les familles de mineurs

Families_watch_Dene_Hand_GamesLe travail par quart dans les mines est un autre facteur qui a eu des conséquences négatives pour plusieurs familles du Nord, mentionne M. Erasmus. La plupart des mineurs travaillent par quart de deux semaines : ils se rendent en avion pour travailler dans des camps miniers isolés et passent ensuite deux semaines avec leurs familles.

« Si un membre de votre famille ou votre conjoint travaille à la mine, vous devenez, pour ainsi dire, monoparental durant la période où votre conjoint est absent », mentionne M. Erasmus.

Les enfants en ressentent les effets également, ajoute M. Erasmus.

« Lorsque maman ou papa revient à la maison, cela a une incidence, positive ou négative, sur les enfants », dit M. Erasmus. « Ils se couchent plus tard lorsque maman ou papa revient à la maison parce qu’ils sont heureux de voir leurs parents. Leur train-train quotidien est alors un peu dérangé. »

Franky Nitsiza affirme que son travail à la mine Ekati de BHP Billiton procure de meilleures possibilités à sa famille et à ses deux enfants, mais il dit que c’est un équilibre difficile à maintenir.

« Il y a beaucoup de sacrifices à faire », dit M. Nitsiza. « Vous devez être équilibré. Vous devez à la fois faire de l’argent pour subvenir aux besoins de votre famille, planifier l’avenir de vos enfants et avoir une vie familiale. »

M. Nitsiza dit que ses deux enfants, âgés de six et de deux ans, s’ennuie beaucoup de lui quand il part pour effectuer son quart de travail.

« Évidemment, c’est difficile pour moi aussi quand je m’en vais. Je ne veux pas qu’ils me voient partir le matin. Il faut quelques journées pour s’habituer à cela », explique M. Nitsiza.

Cette période d’absence représente du temps de vie familiale que, malgré tous ses efforts, il ne parvient pas à rattraper lorsqu’il revient pour son séjour de deux semaines à la maison, dit M. Nitsiza

« Une perte est une perte, n’est-ce pas? », dit-il. « Je suppose que ça fait partie de la vie qu’on mène partout dans le monde : faire des sacrifices, gagner de l’argent et offrir une vie meilleure à sa famille et à ses enfants. »

M. Nitsiza dit que la mine l’a également obligé à abandonner certaines de ses activités traditionnelles.

« Je ne trappe plus. Le trappage demande qu’on passe deux mois à l’extérieur de la communauté, sur le territoire. La période de deux semaines que je passe maintenant à la maison est tout simplement trop courte », dit M. Nitsiza. « Alors, ce que je fais à la place, c’est partir trois jours à la chasse aux caribous ou aller un peu à la pêche sur la glace, mais pas trop souvent. »

M. Nitsiza dit qu’il espère que tous ces sacrifices porteront leurs fruits à long terme en lui procurant un revenu stable et une pension.

Correction: Ce texte de reportage a été attribué à son auteur original qui est Levon Sevunts et non à Khady Beye comme indiqué précédemment.

Levon Sevunts, Radio Canada International

Originaire d’Arménie, Levon a commencé sa carrière en journalisme en 1990 en couvrant les guerres et les conflits civils au Caucase et en Asie centrale.

En 1992, Levon a immigré au Canada après que le gouvernement arménien eut mis fin au programme télévisé pour lequel il travaillait. Il a appris l'anglais avant de poursuivre sa carrière en journalisme, d'abord dans la presse écrite puis à la télévision et à la radio. Les affectations journalistiques de Levon l'ont mené du Haut-Arctique au Sahara en passant par les champs de la mort du Darfour, des rues de Montréal aux sommets enneigés de Hindu Kush, en Afghanistan.

De son parcours, il dit : « Mais surtout, j’ai eu le privilège de raconter les histoires de centaines de personnes qui m’ont généreusement ouvert la porte de leur maison, de leur refuge et de leur cœur. »

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