Expédition Franklin en Arctique : les épaves sont loin d’avoir livré tous leurs secrets

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Les équipes de recherche ont retrouvé la cloche du HMS Erebus, l’un des navires de l’expédition Franklin disparue depuis 1845. (Justin Tang/La Presse canadienne)
L’une des expéditions polaires les plus connues reste sans doute celle qui a été menée au milieu du 19e siècle par le Britannique Sir Franklin. Disparue en laissant peu de traces, cette mission doit surtout sa célébrité aux nombreuses expéditions de recherche envoyées pour la retrouver. Et plutôt que de sceller le destin de ce mythique voyage, la découverte récente des épaves de l’expédition suscite de nombreuses questions.

Il y a exactement six mois, Parcs Canada annonçait en grande pompe avoir repéré l’épave du HMS Terror, le deuxième navire de la célèbre expédition de Sir Franklin. Cette découverte, deux ans après celle du HMS Erebus, venait conclure huit années de recherches intensives pour retrouver ces navires perdus depuis 1845.

Des connaissances à revoir
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Le parcours possible de l’expédition. (Wikimedia Commons/Creative Commons 3.0)

Marc-André Bernier est gestionnaire de l’équipe d’archéologie subaquatique à Parcs Canada. Il oeuvre depuis le début dans ce programme de recherche.

Il explique que les historiens savaient globalement ce qui était arrivé à l’expédition de Franklin. Une note retrouvée en 1859 avait révélé que les navires avaient été abandonnés en 1848 et que les hommes étaient morts les uns après les autres.

Selon lui, la découverte des épaves a fait réaliser aux équipes qu’elles ne connaissaient à peu près rien de l’histoire des équipages après qu’ils eurent abandonné les navires en 1848.

Les recherches initiales laissaient penser qu’après avoir abandonné leurs bateaux les hommes s’étaient dirigés vers le sud. Des témoignages d’Inuits recueillis au 19e siècle parlaient également d’un retour aux navires.

Avec la découverte des épaves, on peut dire que les témoignages des Inuits étaient fondés, mais aussi que l’histoire est beaucoup plus complexe qu’on ne l’aurait cru. Il y aurait pu y avoir un deuxième abandon, même un troisième, parce que les navires ont été retrouvés très loin de leur point d’origine.

Marc-André Bernier, gestionnaire de l’équipe d’archéologie subaquatique à Parcs Canada
Une expédition dans l’air du temps

Né en 1786, Franklin a effectué son premier périple polaire en 1819.

Lorsqu’il a quitté l’Angleterre le 19 mai 1845 pour l’Arctique, il en était déjà à son troisième voyage vers cette région peu accueillante.

C’était alors une période de grande exploration pour les Britanniques.

Les guerres napoléoniennes étaient terminées et les États avaient à nouveau de l’argent à investir pour explorer la planète.

Les pôles : des zones à découvrir
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Représentation d’objets et d’outils de Sir John Franklin. (DeAgostini/Dea Picture Library/Getty Images)

La recherche du passage du Nord-Ouest, un objectif que l’on tentait d’atteindre depuis 300 ans, est revenue au coeur des préoccupations.

Les innovations techniques comme les moteurs à vapeur ont par ailleurs facilité ces voyages.

C’était non seulement l’aventure qui motivait ces marins, mais aussi la volonté de mieux comprendre le monde qui les entourait.

« On a commencé à monter des expéditions qui étaient des expéditions de découverte, mais aussi scientifiques. On essayait de mieux comprendre la géographie, mais aussi le magnétisme terrestre, important pour la navigation. On faisait aussi collection de spécimens de toute sorte, c’était l’époque de la Royal Geographical Society où on essayait de mieux comprendre le monde dans lequel on vivait », raconte Marc-André Bernier.

Une troisième mission pour Franklin

Malgré les conditions difficiles, les premiers voyages de Franklin lui ont permis de cartographier la côte nord du Canada et la côte arctique.

Fort de ces expériences, il a abordé sa troisième mission prêt à affronter le froid et la disette.

L’Amirauté britannique lui a confié deux navires qui avaient passé trois ans en Antarctique sous le commandement de James Clark Ross.

Le HMS Erebus et le HMS Terror étaient équipés pour faire face au climat polaire et à la pression des glaces. Des plaques de fer et des poutres avaient notamment été ajoutées à l’intérieur des parois de la coque.

Pas moins de 134 officiers et marins accompagnaient le commandant Franklin et son adjoint, Francis Crozier. Des vivres pour tenir trois ans ont aussi été embarqués.

Un objectif : trouver le passage du Nord-Ouest

L’expédition devait aussi servir à effectuer diverses études zoologiques, botaniques, magnétiques et géologiques.

En août 1845, deux baleiniers ont croisé les navires de Franklin qui attendaient que les conditions météorologiques soient propices à la traversée du détroit de Baffin vers le détroit de Lancaster.

C’était la dernière fois que Franklin et son équipage ont été vus vivants par des Européens.

De nombreuses opérations de recherche
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Lady Jane Franklin a affrété plusieurs expéditions dans l’espoir de retrouver son mari. (Hulton Archive/Getty Images)

Après trois années sans nouvelles, l’Amirauté a lancé plusieurs expéditions de sauvetage. La femme de Franklin, Lady Jane Franklin, a également financé plusieurs missions.

C’était la première fois qu’une mission arctique échouait de la sorte. Si des bateaux et quelques hommes avaient disparu auparavant, les explorations polaires n’avaient jamais conduit à des pertes totales.

Plus de 40 voyages de recherche ont été organisés pour tenter de retrouver les membres de l’expédition ou, à tout le moins, de recueillir des indices sur ce qui leur était arrivé.

Des connaissances de l’Arctique enrichies

Cet effort considérable de recherche allait permettre d’en savoir plus sur le destin de Franklin et de ses hommes, mais surtout d’améliorer les connaissances du territoire arctique.

C’est ainsi qu’en 1853, Robert McLure lancé à la recherche de Franklin a découvert une des voies navigables du passage du Nord-Ouest.

À la même époque, l’explorateur John Rae recueillait des témoignages d’Inuits et des objets ayant appartenu aux marins qui laissaient penser que tout l’équipage était mort.

Une note révélant le décès de John Franklin
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En 1859, une note retrouvée sur l’île du Roi-Guillaume lève le voile sur le destin tragique de l’expédition. (Universal History Archive/Getty Images)

En 1859, on a découvert un message sur l’île du Roi-Guillaume lors d’une mission de William Robert Hobson et Leopold McClintock.

Le document révélait que John Franklin était décédé le 11 juin 1847 en même temps que 23 membres de l’équipage alors que les deux navires étaient prisonniers des glaces.

La note dévoilait également que la centaine de survivants avait abandonné les bateaux à pied en direction du sud vers la rivière Back le 22 avril 1848. Ils auraient ensuite tous péri.

Des opérations se poursuivent, notamment celles des Américains Charles Francis Hall et Frederick Schwatka, sans grands résultats, à part la découverte de quelques artefacts et restes humains.

Les recherches qui ont continué au 20e siècle ont permis de découvrir des ossements.

Dans les années 1980, les corps de trois marins ont été exhumés sur l’île Beechey par une équipe menée par l’anthropologue Owen Beattie et des chercheurs de l’Université de l’Alberta. L’analyse des tissus a révélé la présence de scorbut et de fortes concentrations de plomb.

D’autres ossements découverts dans les années 1990 sur la côte ouest de l’île du Roi-Guillaume présentaient aussi des taux de plomb élevés ainsi que des signes de cannibalisme.

Des épaves qui changent la fin de l’histoire
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Cette image de l’épave montre la barre du HMS Terror. (Thierry Boyer/Parks Canada/La Presse canadienne)

La découverte de l’Erebus et celle du Terror viennent brouiller les cartes et apportent un éclairage nouveau sur l’issue de l’expédition Franklin.

Les endroits où les navires ont été retrouvés obligent à réinterpréter le déroulement des événements, souligne Marc-André Bernier.

Le scénario initial laissé dans la note de 1859 a évolué. Les équipages auraient donc survécu plus longtemps qu’on ne le pense et peut-être amené les deux navires plus loin au sud avant de les abandonner une nouvelle fois.

Marc-André Bernier, gestionnaire de l’équipe d’archéologie subaquatique à Parcs Canada

Ces nouveaux renseignements soulèvent par ailleurs de grandes questions sur ce qu’étaient parvenus à accomplir Franklin et son équipage.

« Quels sont les objectifs qu’ils ont réussi à atteindre à partir des ordres qu’ils avaient reçus au début? Est-ce qu’ils ont navigué jusque là où ils ont été découverts, ce qui veut dire qu’ils auraient franchi une bonne partie du passage du Nord-Ouest? Qu’est-ce que la mission est parvenue à découvrir? On espère découvrir des indices dans les épaves », dit Marc-André Bernier.

Faire parler les artefacts

Jusqu’à maintenant, les équipes de Parcs Canada ont récupéré une cinquantaine d’objets sur les épaves. Pami eux, la cloche de l’Erebus.

Plusieurs éléments parlent également de la vie à bord des marins, notamment des assiettes, des bottes, mais aussi des contenants pharmaceutiques et de l’équipement scientifique.

« Chaque objet a une histoire individuelle. Maintenant, on doit regarder l’ensemble, on pourra savoir si ces navires ont été amenés là par des hommes ou par les glaces et ce qui est arrivé aux hommes », indique M. Bernier

Les chercheurs veulent également connaître le rôle des Inuits dans l’histoire : « On sait par leurs témoignages qu’ils sont allés à l’intérieur, mais que cherchaient-ils? »

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Les membres de l’expédition Franklin ont eu des contacts avec des Inuits. (Universal Images Group/Getty Images)

L’urgence dans l’immédiat est d’intervenir sur l’Erebus qui est en eau peu profonde. Les prochaines recherches vont se porter sur les cabines des officiers.

Toutefois, pour que les épaves révèlent tous leurs secrets, les équipes doivent procéder méthodiquement.

Si on fait comme il faut, on va pouvoir trouver des indices pour élucider tous ces mystères.

Marc-André Bernier, gestionnaire de l’équipe d’archéologie subaquatique à Parcs Canada

Grande source d’inspiration pour les explorateurs qui sont venus après lui, Sir Franklin reste un symbole dans la mémoire collective des expéditions dans l’Arctique.

Avec des informations de Parcs Canada

Marine Lefèvre, Radio-Canada

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