Parcourir l’Arctique pour la réconciliation avec les Autochtones : « C’est un processus intense »

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Une réunion sur le pont du brise-glace du projet Canada C3. (Marie-Laure Josselin/Radio-Canada)
Depuis début juin, un brise-glace relie Toronto à Victoria par le Grand Nord, pour 150 jours d’expédition. Et dès que possible, les Canadiens qui ont pris part à certaines parties de l’aventure se sont arrêtés pour aller à la rencontre de communautés autochtones avec comme but la réconciliation. Mais le thème revêt de nombreuses significations et les discussions ont été chargées en émotion.

Regards en coin, petits sourires, quelques échanges timides : lorsque les participants embarquent à bord du Canada C3 chaque semaine, l’heure est toujours à la découverte. Ils ne le savent pas encore, mais dans quelques heures, l’intimité va devenir un autre concept pour eux. Et on ne parle pas d’intimité physique, mais plutôt d’intimité émotionnelle. Lors du voyage d’une semaine, pleurs, rires, colère, joie, frustration et partage vont se mélanger au travers d’histoires entendues, de confrontations vécues.

« C’est un voyage pour le futur », lance le chef d’expédition Geoff Green, à l’origine de cette idée qu’il qualifie de « simple ». Relier le Canada par les côtes en passant par le Grand Nord et faire en sorte que les gens se rencontrent et découvrent « ce qui s’est passé dans les 150 dernières années ».

On a fait beaucoup d’erreurs aussi et c’est une histoire presque secrète, alors ce voyage est l’opportunité d’avoir une meilleure connaissance d’où on vient, où on est et où on veut aller.

 Geoff Green, chef de l’expédition Canada C3
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Deux aînées à bord du Canada C3 (Radio-Canada)

Pour permettre ces échanges, le brise-glace fait des arrêts dans des communautés, notamment à Iqaluit, Qikiqtarjuaq, Clyde River ou encore Pond Inlet, situées le long de l’île de Baffin, au Nunavut. Les discussions se font au hasard des rencontres dans la rue ou de manière plus organisée. Au centre communautaire Ilisaqsivik de Clyde River, des personnes âgées de la communauté, dont la majorité ne parle qu’inuktitut, attendent les participants pour une partie de jeux locaux.

À Clyde River, les anciens initient les participants de Canada C3 à des jeux faits à partir d’ossements, dont une espèce de bilboquet.

« Au début, on n’avait pas vraiment de points communs, donc on ne savait pas comment s’approcher », raconte Émile Maheu, 21 ans. « Et puis, on a commencé à jouer, à rire ensemble. Le rire, c’est universel. Et la réconciliation passe notamment par ces petits gestes. C’est beau les grands discours, mais les échanges, c’est mieux. »

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Émile Maheu et Mylène Paquette, deux participants du Canada C3 dans la communauté de Clyde River (Marie-Laure Josselin/Radio-Canada)

Difficile tout de même dans un temps si court, avec la barrière de la langue, d’aller en profondeur dans les discussions. C’est finalement sur le brise-glace que cela va se passer, parfois dans la douleur.

Dans le salon du patrimoine, pièce dédiée sur le brise-glace à la réconciliation, au milieu d’objets donnés par les communautés autochtones croisées pendant l’expédition, Jeannie, une aînée de Qikiqtarjuaq, allume son qullik, une lampe à huile en pierre. Une entrée en matière en douceur avant une semaine qui ne laissera personne insensible.

Comment trouver les bons mots?
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Jeannie, une aînée de Qikiqtarjuaq allumant son qullik, à bord du brise-glace du projet Canada C3 (Marie-Laure Josselin/Radio-Canada)

Assise dans un canapé bleu-gris, Aluki Kotierk s’apprête à prendre la parole, la gorge nouée. Cette femme de 42 ans a accepté de monter sur le bateau à la dernière minute pour être une des voix de sa communauté. Elle ne s’attendait à rien en venant, elle savait juste « qu’il y avait des Canadiens de partout ».

Alors Aluki prend la parole, d’abord dans sa langue, l’inuktitut. Ses boucles d’oreilles en forme d’uluk, une sorte de couteau inuit, rappellent sa fierté d’être Inuite. D’ailleurs, quand la présidente de Nunavut Tunngavik Incorporated parle de fierté, les larmes coulent sur ses joues, alors que le silence se fait de plus en plus lourd dans la petite pièce.

Je veux que mes enfants grandissent dans un endroit où nous serons fiers d’être Inuits. Nous sommes toujours là, résilients, flexibles. On n’aura jamais honte d’être qui on est.

 Aluki Kotierk, 42 ans

Puis, rapidement, Aluki Kotierk explique sa définition de la réconciliation. Pas celle dont tout le monde parle, celle entre Autochtones et non-Autochtones, mais celle à l’intérieur de son peuple. Un argument repris plus tard par Robert Comeau, jeune Inuit de 22 ans: « C’est aussi important qu’on parle à nos enfants des expériences vécues par la génération de mes parents, de comment la vie a changé si rapidement et comment on s’attend à ce qu’on tourne déjà la page. »

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Aluki Kotierk, femme inuite de 42 ans (Marie-Laure Josselin/Radio-Canada)

Les expériences évoquées par cette femme généralement souriante se résument au pensionnat autochtone vécu par son père, à l’arrachement de Jeannie à son camp pour l’installer dans une communauté, aux chiens tués de Sam et sa famille pour les enraciner. Autant de traumatismes toujours présents.

Lors des discussions, il y a eu des applaudissements, des moments de gêne, des personnes qui ont même quitté la pièce et un malaise qui s’est installé. Comment trouver les bons mots quand on est sur un brise-glace de 67 mètres et que les échappatoires à la discussion sont bien minces?

C’est un processus intense que d’être ensemble avec des étrangers pendant sept jours. On a eu des conversations profondes, des craques ont été ouvertes, des questions ont émergé. Cet espace a définitivement été créé pour que les gens explorent les idées et soient un peu bouleversés, c’est un bon apprentissage.

 Diz Glithero, chargée du programme éducatif du Canada C3
« Connaître la vérité »
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La salle du patrimoine du brise-glace du projet Canada C3 (Marie-Laure Josselin/Radio-Canada)

Pour Robert Comeau, la réconciliation est un luxe. « C’est un luxe de pouvoir penser à ça. Je ne me lève pas le matin en me demandant comment je vais réussir cette réconciliation, car chaque partie de ma vie est de la réconciliation. Dans le nord, on a d’autres priorités : mettre à manger sur la table, augmenter nos taux d’éducation, aider à être fier d’être Inuit. » Robert est lui-même le fruit d’une mère inuite et d’un père blanc. Et il cherche encore « à savoir ce que c’est que d’être Inuit ».

Et si chacun a cherché au début à ménager l’autre, les confrontations ont eu lieu. Un sacré apprentissage pour tous. Charlotte Riley, enseignante à Halifax, s’était pourtant préparée à ce voyage. Elle avait lu. Mais est-ce qu’une telle préparation est possible? « Je ressens de la culpabilité. Mais c’est bien d’être confrontée et bousculée, c’est ça être humain. Maintenant, je me demande comment je vais réussir à amener ça à mes étudiants, ma famille. L’expérience a été très forte. »

Surtout, que personne ne se sente coupable, mais que tout le monde s’écoute. C’est le cri du cœur entendu pendant le voyage. Et pour cela, il faut « connaître la vérité », précise Diz Glithero. Ce n’est que récemment qu’elle a vraiment appris l’histoire des peuples autochtones. Jamais elle n’en avait entendu parler en grandissant.

Pour permettre cette éducation, sur le pont, dans le hangar, plusieurs présentations ont été effectuées. Dont celle de David Lawson, ancien agent de la GRC, de retour aux études et président de l’association Embrace Life, qui lutte contre le suicide.

Peu de gens dans le Sud connaissent le Nord ou ses problèmes. J’étais content de partager ces connaissances et de voir que les gens voulaient en savoir plus. Ça ne va pas faire grand-chose de plus pour la réconciliation, mais, au moins, éduquer les gens, ça aide.

David Lawson, ancien agent de la GRC et président de l’association Embrace Life

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L’Inuit David Lawson, président de l’organisme Embrace Life et ancien agent de la GRC (Marie-Laure Josselin/Radio-Canada)

« J’espère que dans le futur, les gens et le gouvernement feront plus pour le Nunavut. Je n’ai jamais autant entendu parler de réconciliation que cette année, mais on a besoin de voir les actions. Et c’est mon point principal : que le gouvernement investisse en nous et ne nous voit pas comme une dépense ». La réconciliation, pour lui, passe par les actions du gouvernement et un accès aux mêmes services que dans le Sud.À la sortie de la présentation de David Lawson, Tammy Scott, une participante, s’interroge par rapport aux 150 ans que l’on veut célébrer. « Ce n’est pas un anniversaire pour tout le monde. Pour certains, c’était vraiment une histoire très difficile. »

« C’est un voyage, ajoute Aluki Kotierk. Et parfois, je me dis que c’est une personne à la fois. S’il y en a une qui a une meilleure compréhension de qui on est, elle pourra le transmettre aux autres. Et doucement, tout le monde apprendra à se connaître. Ça marche dans les deux sens. Nous devons aussi comprendre comment les gens nous perçoivent et d’où ça vient, car on est tous les produits de notre histoire. »

Marie-Laure Josselin, Radio-Canada

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