Étude des restes autochtones fossilisés : des chercheurs demandent un code d’éthique

Des restes humains déterrés en début d’année dans la région de Lambayeque, au Pérou. Ils ont été trouvés dans un lieu où des cérémonies du peuple Mochica auraient été tenues il y a plus de 1500 ans. (Douglas Juarez/Reuters)
Tenir davantage compte des sensibilités autochtones lors de l’étude de vestiges humains permettrait d’obtenir des résultats plus fiables, estiment des chercheurs qui réclament que le domaine de la paléogénétique se dote d’un code d’éthique.

Cette discipline de la biologie, qui s’intéresse à l’ADN des organismes du passé, s’est développée à pas de géant au cours des dernières décennies, mais les chercheurs sont encore aux prises avec certains des dilemmes éthiques qu’elle soulève.

Par exemple, « les données paléogénomiques peuvent révéler des informations sur les groupes autochtones modernes qui peuvent être stigmatisantes, telles que les susceptibilités génétiques à certaines maladies », écrivent les auteurs d’un article publié dans la revue Science, dont Jessica Bardill, professeure adjointe au département d’anglais de l’Université Concordia, à Montréal. Quelques-uns des auteurs sont eux-mêmes autochtones.

Compte tenu des conséquences potentielles pour les communautés autochtones, il est essentiel que les chercheurs considèrent leurs obligations éthiques avec plus de soin que par le passé. Jessica Bardill, de l’Université Concordia, et ses collègues dans leur article

Effectuer des recherches sur de l’ADN sans demander la coopération des groupes à qui appartiennent les terres où il a été prélevé ne fait que perpétuer une tendance colonialiste néfaste, affirme en entrevue l’auteure principale de l’article, Jessica Bardill.

Cela laisse aussi croire qu’on considère que les restes humains peuvent être étudiés et manipulés comme n’importe quels artefacts, dit-elle. La loi américaine les considère d’ailleurs comme tels.

Le grand problème, c’est que des dépouilles ont été traitées comme des objets plutôt que respectées comme des humains, des ancêtres, des parents de gens bien vivants qui peuvent consentir et même participer à des travaux de recherche. Jessica Bardill, de l’Université Concordia, en entrevue à Espaces autochtones

« Dans ce contexte, il est crucial de porter attention au lieu des fouilles, car les Autochtones qui résident à proximité et ceux qui ont des liens ancestraux avec la région pourraient vouloir parler au nom de leurs ancêtres », insistent Mme Bardill et ses collègues dans leur texte.

Quand les restes ne peuvent pas être clairement liés à des groupes modernes, c’est souvent parce que les éléments qui auraient pu permettre d’établir des liens ont été détruits au moment où ils ont été déplacés, selon Mme Bardill. Elle est d’avis que les préférences des Autochtones devraient donc être respectées même lorsqu’il est impossible de confirmer de tels liens.

Des données plus complètes

« Il ne s’agit pas simplement de rectitude politique », signale Mme Bardill.

Ce que nous voulons faire ressortir, c’est que non seulement la participation des communautés aura un impact positif sur elles, mais que cela aura un impact positif sur nos connaissances aussi. Jessica Bardill, de l’Université Concordia, en entrevue à Espaces autochtones
Elle assure que les données rassemblées dans ce contexte seront plus riches et les conclusions plus fiables.

La tradition orale et le savoir des aînés, dans les collectivités autochtones, peuvent aider à répondre à de nombreuses questions – et ainsi pointer les chercheurs dans la bonne direction – quand les données scientifiques et la connaissance encyclopédique ne suffisent pas, soutient Mme Bardill.

« Si les chercheurs se penchent sur l’alimentation des anciens habitants d’un territoire, les communautés actuelles peuvent leur dire quelles plantes y sont disponibles ou l’ont été dans le passé et quels aliments leur paraissent inusités, explique-t-elle. Et cela s’ajoute à ce qui est déjà disponible dans les bases de données. »

« Une communauté pourrait aussi se poser des questions auxquelles les chercheurs n’auraient pas pensé », poursuit-elle.

La recherche génétique peut avoir une influence sur une foule de questions importantes.

Lier des restes anciens à un groupe plutôt qu’à un autre pourrait par exemple avoir des implications sur des revendications territoriales. « La recherche peut être utilisée à la fois pour miner et pour appuyer ces revendications ou d’autres différends juridiques », dit Jessica Bardill.

Les législations sont différentes d’un endroit à l’autre, tout comme les préoccupations des résidents.

Notre objectif n’est pas ici de préconiser une approche universelle, mais de fournir une orientation éthique applicable à de nombreux contextes et communautés. Jessica Bardill, de l’Université Concordia, et ses collègues dans leur article

Les auteurs énumèrent donc une série de questions que les scientifiques devraient se poser. Parmi celles-ci :

  • À qui devrions-nous nous adresser pour entamer des discussions sur les analyses?
  • Quels sont les pièges éthiques potentiels de cette recherche et quels sont les dommages qui pourraient affecter la communauté?
  • Comment la communauté bénéficiera-t-elle des travaux?
  • Comment la communauté pourrait-elle contribuer à la conception de l’étude et à l’interprétation des résultats, et comment ses représentants souhaitent-ils être crédités?
  • Que se passe-t-il après la fin du projet? Qui aura accès aux données? Comment les échantillons seront-ils traités, stockés, retournés ou réenterrés?
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