Blogue – Qui financera les projets de câbles internet dans l’Arctique?

Le satellite, grandement subventionné par les gouvernements, ne correspond plus aux besoins internet des communautés de l’Arctique. (iStock)
L’internet haut-débit est reconnu à travers le monde circumpolaire comme un élément-clé pour le développement économique.

Mais avec une faible population souvent dispersée sur de vastes territoires, le financement de tels mégaprojets est loin d’être acquis.

Le financement public est-il la seule voie possible pour connecter l’Arctique au reste du monde?

Une solution de rechange au satellite

Les communications par satellite, en place depuis longtemps déjà dans l’Arctique, sont extrêmement utiles, notamment pour la navigation maritime et pour toutes les activités impliquant des déplacements dans cette région qui compte peu d’infrastructures. Beaucoup des populations isolées de l’Arctique, principalement en Amérique du Nord, sont connectées par ce moyen de télécommunication, car il permet d’avoir accès à internet, sans avoir besoin de tirer des câbles depuis le sud urbanisé des pays arctiques, comme en Alaska et au Nunavut, et prochainement en Russie.

Le satellite répond à un besoin, mais ne correspond pas à un usage plus intensif et massif d’internet, car il est lent (maximum 5 Mb/s au Nunavut et 15 Mb/s au Nunavik), limité en volume de données et cher, malgré le fait qu’il soit très subventionné par le gouvernement, notamment canadien. Autrement dit, à court terme, l’internet par satellite est une solution, qui reste loin d’être idéale pour les besoins des populations du Nord, notamment du fait de la demande soutenue en Arctique pour un internet plus rapide et plus performant.

En octobre 2011, un bogue de satellite de la compagnie Telesat a causé l’interruption, pour plusieurs heures, de tous les services de communication des territoires du Nord canadien. L’accès à la fibre optique pourrait offrir aux communautés nordiques un réseau de télécommunications plus robuste, ce qui réduirait les effets d’une panne du service satellite. Sur cette photo, des satellites au siège social de Telesat, à Ottawa, dans le sud-est du Canada. (Fred Chartrand/La Presse canadienne)

À long terme, les câbles de fibre optique semblent être le meilleur moyen de répondre aux besoins des populations de la région pour amener l’internet haut-débit (soit une vitesse de transfert d’au moins 50 Mb/s avec un forfait illimité pour le haut-débit fixe selon les critères du CRTC). Néanmoins, il ne faut surtout pas opposer satellite et câbles de fibre optique, les deux étant complémentaires et participant à la robustesse du réseau, rendant le réseau redondant et permettant ainsi de se reposer sur l’un ou l’autre en cas de problème.

Les câbles sous-marins plus économiques

Une étude originale réalisée par le gouvernement régional de Kativik (l’administration régionale chargée d’offrir les services publics à la population du Nunavik, dans le Nord du Québec) et présentée en 2016, nous éclaire sur les apports de la technologie de la fibre optique. Celle-ci prend en compte tous les coûts sociaux de l’utilisation des câbles sous-marins plutôt qu’uniquement le satellite. Allant bien au-delà de la simple comparaison des coûts d’installation et de mise en œuvre de chacune des technologies, ce serait ainsi près de 529 millions de dollars d’économies qui seraient réalisées pour la seule région du Nunavik sur 25 ans.

Cette économie repose essentiellement sur les performances beaucoup plus importantes de la technologie de la fibre optique. Cela profiterait aux services gouvernementaux, premiers utilisateurs de bande passante, en permettant de réduire les coûts des déplacements en les remplaçant par des vidéo-conférences, notamment pour les soins à distance et pour la cour de justice itinérante.

Un câble de fibre optique est défait pour un test à Haines, en Alaska. Les fibres sont isolées au sein d’un tube de cuivre entouré d’acier. (Michael Penn/The Juneau Empire/Associated Press)
Des infrastructures dépendantes des financements publics

Plusieurs projets de réseaux de télécommunication n’ont pu voir le jour que grâce au soutien financier accordé par les différents niveaux de gouvernements, améliorant grandement la connectivité des populations concernées tout en faisant baisser les prix des forfaits internet.

Par exemple, depuis plusieurs années au Groenland, deux câbles sous-marins permettent de connecter certaines communautés de la côte ouest à l’internet haut-débit ; dans le Centre-Ouest du Québec c’est grâce au Réseau de Communications Eeyou (RCE) mis en place en 2011 ; enfin, dans les Territoires du Nord-Ouest, certaines communautés sont reliées depuis 2017 grâce au Mackenzie Valley Fibre Link.

D’autres projets attendent des financements publics. C’est le cas du projet hybride du Gouvernement Régional de Kativik, qui doit mettre en place un réseau de télécommunication associant câbles sous-marins, tours à micro-ondes et renforcement de la capacité de communication par satellite. Ainsi que le projet de l’entreprise québécoise Nuvitik, créée dans un but social, pour apporter l’internet haut-débit aux 24 communautés du Nunavut par un câble sous-marin de fibre optique, appelé Ivaluk Network.

De la nécessité du soutien étatique

Le choix fait par le gouvernement fédéral canadien de soutenir en priorité le satellite plutôt que les câbles sous-marins au Nunavut, semble à long terme beaucoup plus onéreux et moins adapté à la demande toujours croissante de capacités et de performances des accès à internet des populations du Nord.

Avec plusieurs fonds créés spécifiquement pour améliorer les connexions haut-débit au Canada dans les régions rurales et enclavées, représentant un budget cumulé de 1,5 milliard de dollars (Brancher pour innover 500 millions $, CRTC 750 millions $, Canada branché 305 millions $), sans compter les autres subventions, le gouvernement canadien montre qu’il a la volonté et se donne les moyens d’agir dans tout le pays, y compris dans l’Arctique. Encore faut-il que cet argent soit investi dans les technologies les mieux adaptées, même si l’investissement de départ est important.

Une affaire de fraude en Alaska

C’est dans ce contexte que le 12 avril 2018, l’ancienne présidente de Quintillion, Elizabeth Pierce, s’est rendue au FBI à New York après avoir été accusée de fraude par la cour fédérale de Manhattan. Il lui est reproché d’avoir falsifié des signatures sur plusieurs contrats passés avec des entreprises de télécommunications d’Alaska entre 2015 et 2017, dans le cadre de la pose d’un câble sous-marin de fibre optique devant apporter l’internet haut-débit en Alaska. Il lui est également reproché d’avoir promis à ses investisseurs un retour sur investissement surévalué à un milliard de dollars sur toute la durée du contrat. Cela permettant d’attirer des investisseurs qui ont soutenu le projet de câble sous-marin de Quintillion à hauteur de 250 millions de dollars.

Un câble dans l’Arctique, un objectif difficile à mettre en œuvre

Depuis le début des années 2000, l’entreprise russe Polarnet a tenté de faire passer son câble ROTACS par le passage du Nord-Est, pour connecter l’Europe à l’Asie via l’Arctique russe. Le projet sera abandonné après 2013 par manque de financements, malgré l’octroi d’une subvention du Ministère des télécommunications russe en janvier 2013.

Dans le même temps, deux projets nord-américains ont été annoncés. D’abord, celui d’Arctic Link en janvier 2010, qui prévoyait de connecter l’Asie à l’Europe via l’Amérique du Nord à travers le Passage du Nord-Ouest, pour un montant estimé à un milliard de dollars. Malgré une demande de soutien faite auprès de l’État fédéral américain, à hauteur de 350 millions de dollars, le projet n’a jamais pu trouver assez de financements et fut abandonné.

Ensuite, en 2011, le projet d’un entrepreneur canadien Arctic Fibre est annoncé avec un schéma similaire, tout en connectant l’Alaska et le Nunavut. Arctic Fibre sera ensuite racheté en mai 2016 par ce qui n’était au départ qu’un sous-traitant devant réaliser le segment de câble au large des côtes de l’Alaska, l’entreprise Quintillion, dirigée alors par Elizabeth Pierce depuis sa création en 2012.

Quintillion est à ce jour le seul des projets cités à avoir abouti dans l’Arctique, seulement un an et demi après le rachat d’Arctic Fibre, puisque le câble fut déclaré RFS (Ready For Service) le 1er décembre 2017. Le câble connecte désormais la région pétrolifère de Prudhoe Bay et les villages de Nome, Utqiaġvik, Wainwright, Point Hope et Kotzebue.

Un câble de fibre optique sur un rouleau à Pérouse, en Italie, en 2017. (Alessandro Bianchi/Reuters)
Des projets trop chers et non viables?

Le manque de financements et l’incapacité à attirer les investisseurs sont un point commun partagé par toutes ces entreprises, alors même que presque toutes ont demandé et pour certaines reçu de l’argent public, ce qui s’avérera toutefois insuffisant au vu des sommes importantes à engager. ROTACS, le plus cher des projets, était évalué à 1,9 milliard de dollars ; Arctic Fibre, le moins cher à environ 640 millions de dollars.

Par ailleurs, des craintes ont été exprimées très tôt sur la faisabilité de ces projets de câbles en ne comptant que sur des financements privés. Ainsi, Mia Bennett prévient dès 2012 : “Many are skeptical, though, that such an investment would be profitable. Given the huge price tag and the low population in the High North, it’s likely the project would have to be heavily subsidized by the government.” (Plusieurs sont sceptiques, toutefois, sur la rentabilité d’un tel projet. Considérant son coût élevé et la faible population du Grand Nord, le projet nécessiterait probablement d’importantes subventions gouvernementales.).

La révélation d’une possible fraude pour attirer des investisseurs afin de financer le câble Quintillion nous rappelle à quel point il est difficile de mener des projets d’infrastructures dans le Nord et doit faire réfléchir sur le rôle que l’on attend du marché et des États dans le financement de ces infrastructures. En analysant le problème en fonction de l’impact social et non plus seulement financier, on peut donc voir à quel point il est primordial qu’il ne doit pas être laissé au seul secteur privé, c’est-à-dire au marché, la lourde tâche d’investir dans ces projets d’infrastructures indispensables pour le développement des régions arctiques.

Enfin, on peut se demander si cette procédure judiciaire ne va pas refroidir le peu d’investisseurs privés prêts à miser sur les projets de câbles, alors même que les besoins en bande passante internet ne cessent de croître dans la région.

Michael Delaunay

Michael Delaunay est chercheur associé au Centre Interuniversitaire de Recherche sur les Relations Internationales du Canada et du Québec (CIRRICQ), rattaché à l'Ecole Nationale d’Administration publique (ENAP) à Montréal. Doctorant en sciences politiques à l’Université de Versailles-Saint-Quentin, il prépare une thèse sur la question du rôle que jouent les télécommunications dans l’Arctique nord-américain pour les États et les populations autochtones, notamment au Nunavut. Ses thèmes de recherche principaux sont la géopolitique et les télécommunications dans l’Arctique.

Une réflexion sur “Blogue – Qui financera les projets de câbles internet dans l’Arctique?

  • mercredi 20 juin 2018 à 08:20
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    Analyse intéressante de la situation actuelle qui met en relief toutes les difficultés à développer de façon intelligente le Nord canadien. Je m’interrogeais sur ces mêmes questions dans mon premier article publié il y a 20 ans. Force est de constater que les choses évoluent très lentement. Mais elles méritent d’être soulignées, particulièrement le fait que le retour sur l’investissement n’est pas seulement financier, mais aussi — et surtout — social.

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