Sur les traces de l’économie de l’Empire romain dans la glace du Groenland

Des pièces de monnaies anciennes. (iStock)
Des chercheurs ont réussi à transformer des carottes glaciaires du Groenland en livre comptable pour suivre la prospérité économique des civilisations de l’Antiquité européenne. Si les Grecs et les Romains ne se sont pas rendus eux-mêmes à ces latitudes polaires pour y laisser des traces, leur pollution l’a fait pour eux.

L’écriture est le moyen de communication par excellence pour remonter le fil de l’histoire.

Quand les écrits manquent, les chercheurs peuvent évaluer l’état d’une civilisation en étudiant les ruines ou les objets qu’elle a laissés derrière elle.

Toutefois, grâce à une étude publiée dans la revue PNAS, les archéologues peuvent maintenant compter sur un nouvel outil pour évaluer la prospérité d’une civilisation : le plomb.

Et l’utilisation de ce matériau par les grands empires d’Europe a laissé des traces jusque dans les glaces du Groenland.

Le plomb, indicateur économique

Le plomb est un métal facile à obtenir et à manier, ce qui le rendait très utile pour les civilisations de l’Antiquité. Les Européens s’en servaient pour fabriquer des canalisations pour l’eau potable ou pour protéger les coques des bateaux.

Son lien le plus important avec l’économie réside toutefois dans la fabrication de pièces de monnaie. Toutes les pièces de l’époque étaient en argent, métal qui n’existe pas à l’état pur dans la nature.

Souvent, on le retrouve combiné au plomb et au cuivre. Les Grecs, les Phéniciens et surtout les Romains avaient d’importantes fonderies pour séparer ces métaux. Les vapeurs produites par la fonte du métal créaient beaucoup de pollution atmosphérique pour l’époque.

Ce plomb en suspension s’est propagé plus au nord, où il s’est mélangé à la neige, puis s’est figé dans la glace, année après année, enregistrant ainsi les hauts et les bas de l’économie européenne.

Une mesure approximative

Les chercheurs soulignent que le plomb n’est pas un parfait indicateur de la prospérité de l’époque.

Il permet toutefois une bonne approximation de l’état de l’économie, surtout à l’apogée de l’Empire romain, où les pièces d’argent représentaient une méthode standardisée pour acheter des biens et des services d’un bout à l’autre de l’Europe.

Il faut spécifier que ce continent n’était pas le seul endroit au monde où l’on procédait à la fonte du plomb pendant l’Antiquité. Dans ce domaine, la Chine avait aussi une industrie majeure.

C’est ici que le Groenland devient important, car les modèles atmosphériques montrent que les particules produites en Chine à l’époque auraient eu beaucoup de difficulté à atteindre cette région du cercle arctique.

De plus, en observant la composition du plomb trouvé dans la glace, les chercheurs ont identifié des isotopes caractéristiques de ceux retrouvés en Espagne et dans le sud de l’Europe.

Vue aérienne de la glace du Groenland. (Mario Tama/Getty Images)
Les hauts et les bas d’un empire figés dans la glace

Les chercheurs ont utilisé une carotte glaciaire prélevée à une profondeur de 159 à 580 mètres et couvrant 2500 ans d’histoire.

En faisant fondre la glace au rythme de cinq centimètres par minute, ils ont réussi à doser le plomb qui y était emprisonné. Avec une moyenne de douze mesures par année enregistrée dans la glace, les chercheurs ont obtenu un relevé continu des émissions de plomb de l’an 1100 avant notre ère jusqu’au 8e siècle.

La première chose qu’ils ont remarquée est que la concentration de plomb coïncidait avec des événements historiques déjà documentés, comme les épidémies ou les guerres.

Par exemple, plusieurs guerres ont eu lieu entre Rome et sa rivale Carthage. Chaque fois qu’un conflit survenait dans les régions productrices d’argent en Espagne, il y avait une baisse de plomb dans la glace à la même période.

À un autre moment, Rome a été obligée de dévaluer sa monnaie, dont chaque pièce était constituée à 100 % d’argent. Le métal a alors été fondu pour refaire plus de pièces à 80 % d’argent.

Durant cette période, moins de mines étaient en activité, étant donné qu’on réutilisait le métal déjà en circulation, et cela s’est reflété dans les couches de glace. Finalement, on obtient un bilan de la situation économique en Europe antique.

Des fonderies il y a 3000 ans

On voit l’apparition des premières fonderies avec l’arrivée des riches marchands phéniciens 10 siècles avant notre ère. La production monte ensuite jusqu’à la pax romana, cette période de 200 ans sans guerre entre l’an 0 et le 2e siècle.

Tout s’effondre ensuite avec la chute de Rome, et on ne revoit pas de niveau de plomb aussi élevé avant le début de la révolution industrielle au 18e siècle.

L’étude montre comment les traces de notre passé ne se trouvent pas seulement dans nos constructions et nos écrits : notre pollution peut aussi révéler l’état d’une civilisation.

Renaud Manuguerra-Gagné, Radio-Canada

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