Prison dans le sud du Québec : le pont aérien liant Amos et le Nord-du-Québec est-il compromis?

Des avions stationnés à l’aéroport Magny d’Amos, en Abitibi-Témiscamingue. (Émilie Parent-Bouchard/Radio-Canada)
Depuis l’annonce de la construction d’un nouveau centre de détention à Amos, il a été avancé d’instaurer un pont aérien entre le Nunavik (région inuite du Nord-du-Québec) et Amos (en Abitibi-Témiscamingue, au sud du Nunavik) et de concentrer la population carcérale issue du Nord-du-Québec, notamment inuite, dans le nouveau centre de détention.

Cette liaison aérienne pourrait être compromise, puisque le regroupement des détenus inuits serait maintenant redirigé vers l’établissement de Saint-Jérôme, près de Montréal. Le tout, au grand dam de la communauté amossoise qui se mobilise depuis des années pour la réalisation du projet.

En plus de coûter cher, le transfert de détenus via Montréal occasionne des délais considérables dans les procédures judiciaires. Comme l’illustre le Protecteur du citoyen dans son rapport d’enquête spéciale sur l’administration de la justice au Nunavik, un prévenu de Puvirnituq prend par exemple l’avion jusqu’à Montréal, est transféré par fourgon cellulaire jusqu’à la prison de Saint-Jérôme, puis vers celle d’Amos, avant de comparaître devant un juge du district d’Abitibi, auquel il appartient.

La bâtonnière de l’Abitibi-Témiscamingue et du Nord-du-Québec, Me Nathalie Pelletier. (Émilie Parent-Bouchard/Radio-Canada)

« Je crois fondamentalement que s’il y avait un pont aérien entre le Nunavik et l’Abitibi-Témiscamingue, on pourrait beaucoup mieux défendre, représenter et assurer les droits des justiciables, fait valoir la bâtonnière de l’Abitibi-Témiscamingue, Me Nathalie Pelletier, rappelant que la Cour itinérante, elle, se déplace directement vers le Nord plusieurs fois par année. Je vois mal pourquoi on est obligé de passer par Montréal pour s’en venir en Abitibi. »

« C’est comme si les personnes qui ont pris cette décision-là n’étaient pas au courant de toute l’offre de services qui était mise en place pour le futur projet. »

Me Nathalie Pelletier, bâtonnière de l'Abitibi-Témiscamingue
Des millions investis

Plus de 4 millions de dollars, c’est la somme que la Ville d’Amos a investie à l’aéroport Magny depuis 2015, entre autres pour être en mesure d’assurer le transfert des prévenus et des détenus inuits en provenance du Nunavik vers la nouvelle prison.

Une piste de l’aéroport Magny d’Amos, en Abitibi-Témiscamingue. (Émilie Parent-Bouchard/Radio-Canada)

« On met beaucoup d’argent pour améliorer notre infrastructure, fait valoir le maire, Sébastien D’Astous. Ce qu’on souhaite, c’est que les prévenus et les détenus transitent directement via notre aéroport. Il n’y a aucune raison d’atterrir à Montréal et [de les véhiculer] avec les agents nécessaires. C’est une question de sécurité publique, de coûts. Le pont aérien, on y croit, on le valorise et on travaille dans ce sens-là. »

Des services adaptés développés en vain?

Des secteurs de la nouvelle prison devaient effectivement être réservés aux Autochtones et spécifiquement aux Inuits. Des services adaptés ont donc été développés spécialement pour eux. C’est le cas notamment au Centre résidentiel communautaire de l’Abitibi-Témiscamingue et du Nord-du-Québec (CRCATNQ), qui planche depuis deux ans sur l’élaboration du programme anglophone « Vers ma communauté » qui doit être prêt cet automne.

Le centre résidentiel communautaire de l’Abitibi-Témiscamingue et du Nord-du-Québec (CRCATNQ). (Émilie Parent-Bouchard/Radio-Canada)

« Ce qu’on nous avait dit, il y aurait au-delà de 100 détenus inuits [à Amos], rappelle la directrice générale de cette maison de transition, Chantal Lessard, qui dessert la clientèle de l’ensemble de la population carcérale de l’Abitibi-Témiscamingue, mais aussi du Nord-du-Québec. Je suis très déçue. On a déployé beaucoup d’énergie. Ça dépasse le simple fait d’offrir un programme à la détention, c’est l’embauche de personnel bilingue, c’est la formation du personnel pour assurer une sécurisation culturelle, etc. ».

« Je trouve que c’est un recul et je me questionne sérieusement. Que le ministère ne voie plus la pertinence [du pont aérien] parce que les longues et les moyennes sentences vont être transférées de toute façon à Saint-Jérôme pour les Inuits, c’est déplorable. »

Chantal Lessard, directrice générale du CRCATNQ
Le Protecteur du citoyen veut l’heure juste

Le ministère de la Sécurité publique réplique que les discussions sont toujours en cours entre les partenaires. La directrice générale adjointe du réseau correctionnel de l’Ouest-du-Québec au ministère de la Sécurité publique, Line Fortin, indique que des compagnies aériennes qui desservent le Nord sont notamment impliquées.

La Protectrice du citoyen, Marie Rinfret en compagnie de son adjoint exécutif Me Robin Aubut Fréchette. (Anouk Lebel/Radio-Canada)

« C’est du travail de longue haleine parce qu’on fait justement affaire avec des compagnies aériennes et tout ça. C’est quelque chose qui est encore à se travailler en ce moment, note Mme Fortin. [Ce sont] des travaux qui ont quand même nécessité plusieurs rencontres et l’expertise de l’établissement de détention de St-Jérôme étant reconnue pour la qualité de ses programmes, le nombre [élevé] de personnes à héberger aussi, a fait en sorte que ces décisions-là ont été prises. »

Pour le Protecteur du citoyen, les jeux ne sont cependant pas encore faits. La Protectrice du citoyen, Marie Rinfret, concède qu’on lui a rapporté qu’entre 2016 et aujourd’hui, les projections quant au volume de personnes qui seraient incarcérées à la prison d’Amos ont beaucoup augmenté, ce qui fait en sorte qu’il ne serait plus raisonnable de penser pouvoir les regrouper à Amos.

« On est insatisfaits [en ce qui concerne notre recommandation sur l’établissement d’un pont aérien] parce qu’au moment où on se parle, on est toujours en attente des meilleurs moyens pour réduire au minimum les transports difficiles. C’est ce qu’on demande : de nous donner l’assurance que dans le cadre du projet d’entente qui est en discussion, on nous garantisse la mise en place de moyens pour limiter les transports, que ce soit le moins coûteux et rendre le plus faciles les déplacements des détenus. »

Elle veut ainsi s’assurer que l’établissement d’un pont aérien vers Amos ne soit pas sacrifié au détriment d’intérêts extérieurs. C’est pourquoi elle s’attend à obtenir ces solutions alternatives d’ici le 30 septembre. Elle veut aussi obtenir du ministère « les données sur le transport de toutes personnes sous [sa] responsabilité depuis ou vers une communauté du Nunavik – son mode de transport, les coûts, les dates et les heures [de départ et d’arrivée] ».

« Tout ça va nous permettre de documenter et d’être en mesure d’évaluer si les alternatives proposées au lien aérien rencontrent l’objectif souhaité. »

Marie Rinfret, Protectrice du citoyen
Un enjeu électoral?

Chose certaine, la communauté amossoise ne semble pas vouloir lâcher le morceau.

« Le Nord est dans mes top priorités, fait valoir la bâtonnière, Me Nathalie Pelletier. Actuellement, on travaille à colliger l’information pour concrétiser la chose. Parce que les élections provinciales s’en viennent et [on veut] concrétiser les 36 recommandations du mémoire que le Barreau du Québec a déposé dans le cadre de la commission Viens. On va profiter des élections provinciales pour rappeler certaines situations dans le Grand Nord. Parce qu’on représente des justiciables qui vivent là. »

L’actuel ministre de la Sécurité publique, qui ne sera plus en poste pour voir les premiers détenus arriver à la nouvelle prison d’Amos comme nous le révélions lundi, n’a pas donné suite à nos multiples demandes d’entrevue.

Émilie Parent-Bouchard, Radio-Canada

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