La montée du tourisme menace-t-elle les coutumes du Nord canadien?

Les chutes Alexandra, dans les Territoires du Nord-Ouest, en août 2013. (Sean Kilpatrick/La Presse canadienne)
Le kayakiste d’eau vive Alec Voorhees admet qu’il ne connaissait pas l’importance culturelle des chutes Alexandra, dans les Territoires du Nord-Ouest, avant de s’y rendre au début du mois.

« Il semble que beaucoup de personnes étaient choquées, mais il faut dire qu’il y a peu de panneaux d’interprétation qui expliquent l’importance historique ou culturelle des chutes. J’étais bien navré d’apprendre que les gens étaient choqués. […] Mais j’étais vraiment fier d’avoir réussi. »

L’Américain de 21 ans rêvait d’accomplir l’exploit depuis plusieurs années. « À cause du record mondial » établi en 2007. Les chutes Alexandra arrivent troisièmes pour la hauteur dans le territoire, à 31,5 m.

« Irrespectueux », dit un membre d’une Première Nation
Doug Lamalice, de la Première Nation Katlodeeche, demande que les visiteurs soient respectueux de son territoire traditionnel. (Jacob Barker/Radio-Canada)

L’affaire a d’abord causé des critiques après que deux de ses compagnons se furent blessés, ce qui a forcé les autorités à effectuer une opération de sauvetage. Plus récemment, c’est la voix de Doug Lamalice, de la Première Nation Katlodeeche, qui s’est élevée. L’exploit était, selon lui, une insulte au caractère sacré de l’endroit.

« C’est notre église. Quand on passe par ici, c’est un moment de prière, un moment de méditation. »

Doug Lamalice, Première Nation Katlodeeche

Doug Lamalice a occupé par le passé le poste de gardien de parc, et était notamment responsable des chutes Alexandra. Selon lui, ces chutes sont particulièrement importantes pour l’identité dénée.

Alec Voorhees, qui arrivait directement en kayak d’une autre rivière en Colombie-Britannique, croit que des panneaux d’interprétation lui auraient été utiles pour mieux comprendre la signification de l’endroit. « Quand on arrive devant les chutes, il y a une plateforme d’observation et n’importe qui peut s’y rendre et prendre des photos. »

« Comme entrer dans la maison de quelqu’un »

La chercheuse Allison Holmes a élaboré, à l’Université de Waterloo (en Ontario, dans l’est du Canada), un code de conduite pour les visiteurs du territoire traditionnel de la Première Nation Lutsel K’e Dene.

« Vous allez sur la terre de quelqu’un d’autre, dans sa maison. Si quelqu’un vient chez vous et fait ce qu’il veut, c’est un problème. Même s’il n’y a pas quatre murs, cela ne signifie pas que ce n’est pas sa maison. »

Allison Holmes, chercheuse

Elle croit que le voyageur a la responsabilité de prendre contact avec des autorités locales, par exemple le conseil de bande, pour s’assurer de respecter la culture et les coutumes locales. « Quand on voyage quelque part, on fait généralement des recherches sur les cultures et les coutumes et sur les moyens de les respecter. »

L’exemple de Carcross, au Yukon
Le village de Carcross au sud de Whitehorse, la capitale territoriale, attire de plus en plus de visiteurs, étrangers comme Yukonnais. (Claudiane Samson/Radio-Canada)

Le village de Carcross, au sud de Whitehorse (nord-ouest du Canada), vit de son côté, depuis quelques années, une explosion touristique qui a surpris même ceux qui en sont responsables.

Andy Carvill, Khà Shâde Héni [chef] de la Première Nation Carcross\Tagish, explique qu’au départ ils ont voulu miser sur le tourisme pour relancer l’économie du village. Mais la popularité actuelle engendre un nombre important de problèmes, dit-il. Il est d’autant plus inquiet que le train de la White Pass and Yukon Route a été vendu au géant des croisières Carnival, dont l’intention est d’augmenter encore davantage le nombre de visiteurs.

« Avec les sentiers de vélo de montagne et la visite du couple princier, le tourisme a décollé, mais sans qu’il y ait eu de réflexion avec la communauté sur ce qu’on voulait voir. […] Les endroits traditionnels où les gens du coin cueillent des plantes médicinales ou chassent ne sont plus fréquentables, tant il y a des gens dans la montagne. »

Andy Carvill, Khà Shâde Héni, Première Nation CarcrossTagish

Le problème principal tient au fait, selon le chef, que la région est vaste, et les ressources, celles de sa Nation, les agents de conservation de la faune du territoire ou les agents de Parcs Canada, trop peu nombreuses pour faire appliquer les règlements.

Grand et vaste, le Nord
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La région du bassin versant de la rivière Peel, au Yukon. (Mike Rudyk/Radio-Canada)

La taille du territoire est probablement le plus grand défi, admet la chercheuse Allison Holmes. À l’heure d’un tourisme grandissant, il peut devenir difficile pour les touristes de s’y retrouver dans les coutumes particulières de chaque communauté. Des campagnes de sensibilisation dans les aéroports, par exemple, peuvent s’avérer utiles, ou encore mieux, dit-elle, l’embauche d’un guide local. « Ces gens ont les connaissances traditionnelles. »

« Le potentiel de faire beaucoup de tort aux petites collectivités est là. Il faut que les voyagistes informent leurs clients pour qu’ils sachent comment être respectueux, et découragent les comportements néfastes. »

Allison Holmes, chercheuse

Andy Carvill recommande quant à lui aux communautés de prendre en charge très tôt leur développement touristique : « [Il faut] des comités d’organisation avec d’autres niveaux de gouvernement, l’élaboration de lois traditionnelles pour les endroits sacrés, et les moyens de les faire respecter. »

Mais le kayakiste Alec Voorhees aurait-il renoncé à son rêve s’il avait su? « Non, je ne crois pas », répond-il.

« Je ne cherchais pas à manquer de respect. C’est une façon d’apprécier les chutes comme d’autres prennent des photos. […] C’est dommage que les gens croient que c’est irrespectueux parce que les kayakistes sont en fait de grands défenseurs de rivières saines et protégées. »

Alec Voorhees, kayakiste

Radio-Canada

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