Des enfants autochtones malades du Nord québécois continuent d’être évacués en solitaire

Le petit Pelle Jr Loon (ici avec son père Pelle), originaire du Nord-du-Québec, est arrivé seul à Montréal en avion-ambulance. (Laurence Niosi/Radio-Canada)
Six mois après l’annonce du ministre de la Santé du Québec, Gaétan Barrette, sur la fin des évacuations médicales en solitaire, des parents originaires du Nord-du-Québec se sont vu interdire d’accompagner leur fils de six ans à bord d’un avion-ambulance la semaine dernière. Et ce cas n’est pas isolé.

Originaires de la communauté crie de Waswanipi, Valerie-Lynn Gull et Pelle Loon ont pris la route du Centre de santé de Chibougamau quand leur fils de six ans a commencé à se sentir malade. Une fois sur place, le personnel médical a informé les parents que le jeune Pelle Jr souffrait de saignements intestinaux et qu’il devait être évacué d’urgence par avion-ambulance vers Montréal (sud du Québec), où il serait traité.

Sauf que le petit Pelle Jr ferait le trajet seul.

« Les infirmières à Chibougamau disaient qu’elles essaieraient de faire monter l’un de nous à bord de l’avion, mais finalement elles nous ont dit que c’était impossible, que la décision ne relevait pas d’elles », raconte son père, Pelle Loon.

Effrayé, le garçon a supplié sa mère de ne pas faire le voyage seul. « Ils ne devraient pas laisser les enfants malades monter dans l’avion seuls sans leur maman ou leur papa. Maman, dis-leur que j’ai seulement six ans. Je ne peux pas faire ça tout seul », a dit en sanglotant le petit Pelle Jr, juste avant de s’envoler pour Montréal au petit matin, vendredi.

« Ça m’a brisé le coeur de le voir malade et seul », raconte sa mère Valerie-Lynn Gull, à qui l’on a offert de prendre un vol vers Montréal seulement le lendemain.

En pleine nuit et sans faire de bagages, Valerie-Lynn Gull et son mari sont plutôt montés dans leur voiture et ont conduit une dizaine d’heures pour rejoindre leur fils au Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine, à Montréal, où il est toujours hospitalisé.

« Quand je suis arrivée, il ne voulait pas me parler. Il ne faisait que pleurer », affirme sa mère.

Pas un cas isolé

En février, le ministre de la Santé et des Services sociaux Gaétan Barrette a annoncé qu’il reverrait cette pratique qui affecte en grande proportion les enfants autochtones après que des évacuations en solitaire, particulièrement depuis le Nunavik, eurent été dénoncées dans les médias. Des avions seraient reconfigurés afin d’être en mesure d’accueillir un parent pour accompagner les enfants, avait-il indiqué.

Trois mois plus tard, des médecins déploraient, dans une lettre au premier ministre Philippe Couillard, que la situation n’avait toujours pas changé. Des enfants étaient toujours évacués sans leurs parents à bord de l’appareil Challenger, qui sert d’avion-hôpital dans la plupart des évacuations médicales.

Le 29 juin, Évacuations aéromédicales du Québec (EVAQ), l’organisme gouvernemental qui gère les avions-ambulances, a finalement rendu publique sa nouvelle politique d’évacuation.

Or, deux mois plus tard, des parents comme ceux de Pelle Jr se voient encore refuser d’accompagner leurs enfants sur des vols. Sur les 97 demandes d’évacuations médicales pédiatriques depuis le 30 juin, 22 ont été refusées, indique l’EVAQ à Radio-Canada. La raison la plus souvent évoquée, selon l’organisme : des avions quasi pleins qui doivent changer d’itinéraire à la dernière minute pour aller chercher un patient.

Le ministre de la Santé et des Services sociaux du Québec, Gaétan Barrette. (Jacques Boissinot/La Presse canadienne)

Le ministre Barrette mentionne quant à lui « des règles de sécurité en aviation civile ». « Ces règles sont telles que le pilote ou l’équipe au sol peuvent dans certaines circonstances refuser l’accompagnement pour des raisons constatées sur place », a-t-il indiqué à Radio-Canada mercredi.

Selon le ministre, le dossier des évacuations est clos. « En ce qui me concerne, c’est réglé, puisque la règle a été changée et les choses ont été établies de façon claire. La formation a été donnée à tout le monde », ajoute-t-il.

Le ministère des Tranports confirme par ailleurs que son appareil Challenger « relève », qui dépanne quand le principal appareil est en réparation, a été modifié afin de permettre l’ajout de deux places assises.

« Racisme institutionnel »

À l’origine de la campagne #TiensMaMain, qui vise à faire changer la politique gouvernementale, l’urgentiste pédiatrique Samir Shaheen-Hussain dénonce une situation « inacceptable » et « dangereuse » dans ce cas-ci, autant pour l’enfant que pour les parents, qui ont dû conduire en pleine nuit.

« C’est quand même scandaleux que cette situation persiste plus de six mois après la première annonce du ministre Barrette, le 15 février », s’insurge le médecin, l’un des cosignataires d’une lettre envoyée au gouvernement en décembre dernier dénonçant cette pratique.

« Six mois après l’annonce d’une politique “Tiens ma main” et deux mois après qu’elle eut été rendue publique, si le ministre de la Santé se soucie véritablement de la santé et du bien-être des enfants autochtones vivant dans les régions éloignées, il doit assurer qu’elle soit mise en place de façon systématique, transparente et imputable. Sinon, on doit se demander quel rôle le racisme institutionnel joue au sein du ministère pour qu’une pratique archaïque perdure aussi longtemps », renchérit-il dans un courriel envoyé à Radio-Canada.

Laurence Niosi, Radio-Canada

Pour d’autres nouvelles sur les Autochtones au Canada, visitez le site d’Espaces autochtones.

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