Pourquoi les émissions de CO2 des forêts sont-elles exclues des inventaires de GES?

Les feux de forêt records de 2017 et de 2018 en Colombie-Britannique seraient responsables de l’émission de 190 millions de tonnes de gaz à effet de serre par année. (Darryl Dyck/La Presse canadienne)
Conformément aux normes internationales, les émissions de carbone liées aux forêts sont exclues des totaux dans les inventaires de gaz à effet de serre du Canada et des provinces. Cette façon de présenter les données est-elle justifiée ou contribue-t-elle à cacher une partie des émissions?

Dans un rapport publié lundi dernier, le Sierra Club de la Colombie-Britannique (ouest du Canada) soutient que plus de 200 millions de tonnes d’émissions de CO2 liées aux forêts seront « ignorées » dans les inventaires de la province pour 2017 et 2018, dont 190 millions de tonnes sont attribuables aux feux de forêt records des deux derniers étés.

Inclure ces émissions dans le total de la province ou du Canada pourrait toutefois nuire à la lutte contre les changements climatiques, selon le professeur Jean-François Boucher, directeur des programmes en écoconseil de l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC).

« Lorsqu’on tombe dans de grandes années d’émissions relatives aux perturbations naturelles [… ], ça devient un effet pervers de l’inventaire », dit-il.

« On laisse les émissions d’origine naturelle créer un bruit de fond terrible sur tout ce qui peut se faire sur le territoire aménagé et ça démotive toute action. »

Jean-François Boucher, directeur des programmes en écoconseil de l’UQAC
Une exclusion conforme aux pratiques internationales

Pour les pays signataires de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, c’est le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) qui établit la façon de présenter les rapports d’inventaire de gaz à effet de serre.

Les émissions doivent être divisées en cinq secteurs d’activité, soit l’énergie, les procédés industriels, l’agriculture, les déchets et l’aménagement des terres et des forêts.

Les normes internationales prévoient toutefois que ce dernier secteur soit exclu du total des émissions, puisqu’il est soumis aux perturbations naturelles, comme les feux de forêt et les épidémies d’insectes.

Jean-François Boucher souligne que les inventaires de gaz à effet de serre visent à calculer les émissions attribuables à l’humain. « C’est ce sur quoi on a une prise », affirme le professeur.

Il explique que la décision d’exclure les forêts aménagées des totaux a été prise à l’époque du protocole de Kyoto, entré en vigueur en 2005. Il était impossible, à l’époque, de distinguer les émissions d’origine naturelle de celles d’origine attribuables à l’humain pour ce secteur d’activité.

Depuis 2016, les émissions liées à l’aménagement des terres et des forêts présentées dans le rapport national excluent toutefois l’impact des perturbations naturelles graves.

En Colombie-Britannique, les émissions des feux de forêt sont indiquées dans l’inventaire « par souci de transparence », selon le ministre de l’Environnement de la province, George Heyman. Elles ne sont toutefois pas comptabilisées dans les émissions totales ni par la province ni par le Canada, conformément aux lignes directrices du GIEC.

« C’est une question de temps, croit Jean-François Boucher. On a ce qu’il faut, les chiffres sont disponibles, mais on ne le fait pas encore. »

Des perturbations naturelles amplifiées par l’activité humaine

Même s’il considère que les émissions d’origine naturelle doivent être exclues des inventaires de gaz à effet de serre, le directeur des programmes d’écoconseil de l’UQAC reconnaît que les phénomènes auxquels elles sont attribuables peuvent être amplifiés par l’activité humaine.

« Les émissions du passé de la Russie, des États-Unis, du Brésil, du Canada et des autres, qui ont réchauffé le climat, ce sont elles qui font en sorte que les perturbations naturelles sont plus importantes aujourd’hui, partout sur la planète », explique Jean-François Boucher.

« Elles causent plus de feux de forêt au Canada, plus d’épidémies d’insectes, et donc, oui, plus d’émissions indirectement attribuables à l’humain, mais à l’échelle mondiale, pas à l’échelle canadienne. »

Jean-François Boucher, directeur des programmes en écoconseil de l’UQAC

Puisqu’il s’agit d’un réchauffement planétaire, les émissions qui y sont liées ne doivent donc pas être incluses dans l’inventaire d’un territoire précis, soutient le professeur.

« Quand on annonce des émissions relatives au transport, c’est le transport qui a lieu sur le territoire canadien, avec des combustibles fossiles que nous brûlons sur le territoire canadien, illustre-t-il. C’est logique de présenter ces émissions-là […], dont on est [directement] responsable et sur lesquelles on peut agir. »

Il précise que les données concernant les émissions d’origine naturelle sur le territoire canadien demeurent disponibles et qu’elles sont « tout à fait pertinentes et intéressantes ».

Le Sierra Club croit quant à lui que la Colombie-Britannique devrait produire un rapport distinct pour les émissions de gaz à effet de serre des forêts, incluant les émissions causées par les incendies.

L’organisme aimerait que des données plus détaillées y soient présentées et propose de séparer les informations en fonction des régions, des types de forêts et des pratiques d’aménagement.

Le ministre George Heyman reconnaît que les conséquences des émissions dues aux feux de forêt sont « impossibles à ignorer » et dit qu’il étudiera de plus près la façon dont elles sont présentées dans les rapports de la province.

Michaële Perron-Langlais, Radio-Canada

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