Les pensionnats autochtones, « pas une réalité québécoise », selon l’ancien ministre Denis Vaugeois

L’historien et ancien ministre québécois Denis Vaugeois. (Christian Côté/Radio-Canada)
Les pensionnats autochtones, outil de génocide culturel des premiers peuples, selon la Commission de vérité et réconciliation, « ne sont pas une réalité québécoise », a affirmé mercredi l’ancien ministre et éditeur Denis Vaugeois sur les ondes de Radio-Canada. Des historiens et des Autochtones dénoncent des propos « révisionnistes », voire « dangereux ».

L’ancien ministre des Affaires culturelles dans le gouvernement de René Lévesque était de passage mercredi à l’émission Plus on est de fous, plus on lit! animée par Marie-Louise Arsenault pour parler de sa carrière, mais aussi d’histoire du Québec.

Dans l’entrevue, Denis Vaugeois affirme d’emblée que l’histoire des Autochtones au Canada « reste à être réécrite ». « Ce qu’on répète, c’est que les Européens « sont coupables de », mais ce n’est pas comme ça que ça s’est passé en Nouvelle-France », indique l’ancien politicien, évoquant les alliances entre les premiers colons français et les Premières Nations.

Interrogé sur les pensionnats autochtones, M. Vaugeois répond que ces établissements « ne sont pas une réalité québécoise ».

Au Québec, il existait six de ces pensionnats qui visaient à assimiler et à évangéliser les enfants autochtones. Le dernier, le pensionnat de Pointe-Bleue, a fermé en 1991.

« Quand on regarde les cas dramatiques des enfants perdus ou malmenés sur 3400 par exemple, 3350 [l’ont été] dans le reste du Canada, et 35 au Québec », renchérit l’ancien ministre péquiste au micro de Radio-Canada. « D’ailleurs, il y a plus d’enfants abusés dans les collèges classiques que [dans] les pensionnats autochtones », ajoute-t-il.

L’historien et consultant Médérik Sioui s’étonne de ces affirmations. « J’ai bien de la difficulté à concevoir que ces chiffres pourraient refléter la réalité. Personnellement, je dois en connaître 10 fois plus [qui ont vécu cette réalité] », affirme le spécialiste des Premières Nations, lui-même d’origine wendate.

L’anthropologue et directrice du programme en études autochtones de l’Université de Montréal Marie-Pierre Bousquet rappelle par ailleurs qu’environ 13 000 enfants autochtones ont été pensionnaires au Québec. Et c’est sans compter tous les enfants qui ont été envoyés dans les autres provinces, quand il n’y avait plus de place au Québec.

« On ne peut pas dire n’importe quoi. Les dates d’ouverture des pensionnats au Québec sont bien connues », affirme la professeure, qui déplore les propos « révisionnistes » de l’ex-politicien. Elle souligne en outre qu’en plus des six pensionnats reconnus, il existait dans la province quatre foyers fédéraux pour les Inuits et deux foyers non confessionnels à Fort Georges et à Mistassini.

Le député fédéral Roméo Saganash « pas vraiment » pensionnaire
Roméo Saganash, député fédéral d’Abitibi–Baie-James–Nunavik–Eeyou, lors de la période de questions à la Chambre des communes le septembre 2018. (Sean Kilpatrick/La Presse canadienne)

Dans son entrevue, Denis Vaugeois estime par ailleurs que l’expérience des pensionnats n’a pas été mal vécue par tous les pensionnaires, citant à titre d’exemple celle du célèbre dramaturge cri Tomson Highway.

Questionné sur le député fédéral Romeo Saganash, qui a dit avoir beaucoup souffert de son séjour en pensionnat, M. Vaugeois affirme que ce dernier n’a « pas vraiment » fréquenté un tel établissement.

Contacté par Radio-Canada, le député néo-démocrate, qui a passé une dizaine d’années au pensionnat de La Tuque, s’insurge contre « des propos d’une violence inouïe ». « Il est vrai que celui que j’ai fréquenté à La Tuque fut démoli il y a quelques années, mais ça ne veut pas dire qu’il n’a jamais existé! », se désole le député de la circonscription d’Abitibi–Baie-James–Nunavik–Eeyou, qui est cri.

Une idéalisation

Les spécialistes dénoncent par ailleurs une certaine « idéalisation » dans le discours de M. Vaugeois de la période de la Nouvelle-France, où les Français ont un beau rôle par rapport aux Britanniques.

« Pour remettre les pendules à l’heure, le métissage que [l’explorateur français] Samuel de Champlain prônait, c’était des hommes français avec des femmes des Premières Nations, c’était comme une colonisation par le lit », affirme Médérik Sioui.

Ailleurs dans son entrevue, Denis Vaugeois explique qu’à l’arrivée des colons, « les Amérindiens étaient très peu nombreux et très désorganisés ».

Autres propos que réfute Marie-Pierre Bousquet. « Il y a des dizaines d’écrits pour expliquer les systèmes de leadership en Amérique du Nord. Mais comme ce n’était pas des systèmes hiérarchiques, avec de la coercition, ça n’a pas été pris au sérieux », affirme l’anthropologue.

Dans l’entrevue, Denis Vaugeois reconnaît avoir une opinion peu orthodoxe.

« Il y a des choses qu’on ne peut pas dire actuellement, le courant est tellement fort, qu’on attend que la tempête passe. »

Denis Vaugeois

Denis Vaugeois a cofondé en 1987 les éditions du Septentrion, qui publient essentiellement des essais en histoire. Il a été fait officier de l’Ordre national du Québec en 2014.

Invité par Radio-Canada à préciser sa pensée, M. Vaugeois a écrit ceci jeudi après-midi :

« À la suite d’une commission fédérale vers 1948-50, on a décidé de favoriser l’intégration des Autochtones dans le système public. Le régime des pensionnats existant précédemment avait été vertement critiqué. Roméo Saganash, un homme que j’apprécie beaucoup, aurait été à La Tuque alors que le régime d’intégration avait été mis en place, sans doute à partir de 1962-63. Il résidait sans doute dans un pensionnat anglican et fréquentait l’école publique. De toute évidence, il en a gardé de très mauvais souvenirs. »

Par ailleurs, quand M. Vaugeois a mentionné les « 3400 enfants malmenés », il faisait référence au nombre rapporté de morts dans les pensionnats de 1867 à 2000, selon la Commission de vérité et réconciliation. De ce nombre, 38 enfants étaient des pensionnaires québécois.

Laurence Niosi, Radio-Canada

Pour d’autres nouvelles sur les Autochtones au Canada, visitez le site d’Espaces autochtones.

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