Le combat pour sauver une langue autochtone de l’Alaska

Guillaume Leduey est chercheur en linguistique, et spécialiste de la langue des Eyaks, un peuple autochtone de l’Alaska. (Fournie par Vincent Bonnay)
Tous les 15 jours, une langue disparaît de la surface de la Terre, emportant avec elle une part de notre humanité. Avec son émouvant documentaire Sur le bout de la langue, Vincent Bonnay accompagne les efforts d’un jeune Français décidé d’apprendre une langue autochtone de l’Alaska pour l’extirper de l’oubli.

Une production qui tombe à point nommé. Pendant que l’Assemblée générale des Nations unies a proclamé 2019 « Année internationale des langues autochtones », Ottawa vient de déposer un projet de loi sur la protection des langues autochtones du Canada.

Il faut dire que le pays compte plus de 70 idiomes autochtones dont un bon nombre sont aujourd’hui considérés en voie d’extinction.

À ce titre, l’œuvre de Vincent Bonnay sélectionnée cette année à l’Aboriginal Film Festival de Winnipeg s’ouvre par cette phrase lapidaire : « La langue est dite morte lorsque son dernier locuteur natif décède. » On parle ici de l’eyak, un des idiomes autochtones de l’Alaska qui s’est éteint depuis que sa dernière locutrice, Marie Smith Jones, a rendu l’âme en 2008 à l’âge vénérable de 89 ans.

Apprendre l’eyak depuis la France

Mais la langue n’a pas disparu pour autant. L’espoir demeure. Deux personnes tentent encore de la sauver de l’amnésie totale. D’un côté, un linguiste américain prénommé Michael E. Krauss, à qui l’on doit des corpus et dictionnaires, et de l’autre, Guillaume Leduey, un Français de 29 ans.

Sorti de nulle part, ce jeune homme originaire du Havre a appris dès l’âge de 13 ans en autodidacte la langue autochtone. Parce qu’il ne voulait pas la voir disparaître, il décide de rentrer en contact avec le linguiste Michael E. Krauss, qui lui envoie d’Anchorage des documents écrits et sonores.

L’adolescent n’en démord pas. En quelques années, il réussit à maîtriser l’eyak pourtant considéré comme l’un des idiomes les plus complexes en Amérique du Nord.

L’histoire se poursuit puisqu’adulte, Guillaume Leduey a continué de voyager régulièrement de l’Hexagone jusqu’à Cordova, en Alaska. L’objectif : enseigner l’eyak aux descendants de cette Première Nation qui souhaitent se reconnecter avec la mémoire orale de leurs ancêtres.

Vue du port de Cordova, situé dans l’État de l’Alaska. (Lindsay Claiborn/Reuters)

Caméra à l’épaule, le réalisateur et journaliste Vincent Bonnay a entrepris d’accompagner cet étonnant parcours de transmission. Pendant que de magnifiques paysages sauvages de l’Alaska défilent sous nos yeux, on fait également la connaissance de plusieurs représentants d’un peuple orphelin de sa langue.

Les Eyaks luttent pour leur langue

Le cinéaste, installé à Vancouver, dans l’Ouest canadien, a suivi durant six ans les Eyaks dans leur lutte pour la revitalisation de leur langue. On demeure impressionné par cette volonté presque cathartique d’une partie d’entre eux qui refuse avec obstination de couper les liens.

Une scène émouvante montre d’ailleurs des Autochtones en larmes lorsqu’ils découvrent pour la première fois les mots de leur dialecte sortis de la bouche du jeune Français.

Narrée en partie en eyak, idiome aux délicieuses sonorités gutturales, l’œuvre d’une cinquantaine de minutes fait une grande place aux individus. Elle donne une voix à toute une nation victime depuis des générations des politiques d’assimilation menées par les autorités américaines.

Même si Guillaume Leduey est depuis retourné au Havre, il continue ses recherches linguistiques grâce à une bourse de l’université Fairbanks, en Alaska. Les Eyaks n’ont donc pas dit leur dernier mot.

Le documentaire Sur le bout de la langue sera projeté le samedi 30 mars à l’Aboriginal Film Festival de Winnipeg, au Manitoba.

Ismaël Houdassine, Radio-Canada

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