Les services de police au Canada doivent mieux s’arrimer aux réalités autochtones, plaide un rapport

Une autopatrouille de la GRC, la police fédérale, à Iqaluit, au Nunavut. (Michael Salomonie/CBC)
Nombre de communautés autochtones reçoivent des services de police qui ne répondent pas adéquatement à leurs besoins, constate un comité d’experts du Conseil des académies canadiennes (CAC). Celui-ci reconnaît les efforts réalisés depuis quelques décennies, mais il conclut qu’il faudra encore des « changements fondamentaux », en notant qu’il n’existe pas d’approche unique pan-autochtone.

Le rapport Vers la paix, l’harmonie et le bien-être : Les services de police dans les communautés autochtones, publié jeudi, souligne que le contexte historique teinte les réalités actuelles. « L’impact du colonialisme continue de se faire sentir dans les communautés autochtones, est-il écrit. Confronter cette histoire fait partie du défi que représente la mise en place de services de police pertinents et décolonisés. »

« Les traités non respectés, l’impact de la colonisation, les violations passées et actuelles des droits de la personne et l’iniquité constante et chronique en matière de prestation de services essentiels qui leur sont destinés contribuent à la réalité à laquelle de nombreuses communautés font face aujourd’hui », souligne la présidente du comité d’experts, Kimberly Murray, ancienne directrice générale de la Commission de vérité et réconciliation du Canada.

« Les services de police, comme beaucoup d’autres services dans les communautés autochtones, leur ont d’abord été imposés et la contribution ou la participation des peuples autochtones à ces services a été faible, voire nulle », ajoute Mme Murray.

« Ces peuples ont été dépossédés de leurs rôles et de leurs responsabilités en matière de paix et d’harmonie et les structures coloniales leur ont été infligées, ce qui a entraîné une profonde méfiance. »

Kimberly Murray, présidente du comité d'experts du CAC

« Les services de police servant les communautés autochtones sont confrontés à des défis distincts de ceux servant les communautés non autochtones. Ces défis s’inscrivent dans un ensemble de considérations culturelles, sociales, historiques, juridiques, politiques et géographiques », constate le comité formé de 11 experts de divers horizons.

Kimberly Murray a présidé le comité de 11 experts qui a étudié la question des services de police dans les communautés autochtones. (Conseil des académies canadiennes)

Leur rapport insiste sur le « contexte juridique et politique complexe, marqué par l’importance croissante accordée à l’autodétermination des Autochtones et la nécessité de reconnaître leurs droits et leurs lois ».

« La détermination de l’ordre de gouvernement responsable de la réglementation et du financement des services de police et autres services essentiels pour les peuples autochtones manque de clarté, est-il signalé. […] L’ambiguïté des compétences a donné lieu à l’élaboration d’une approche axée sur « les programmes et le financement » des services de police qui omet de traiter ces derniers comme un service essentiel. »

« Près du tiers des communautés des Premières Nations et inuites […] comptent sur les services de la GRC ou des services de police provinciaux, poursuit le rapport. En outre, plus de la moitié des membres des Premières Nations et les deux tiers des Métis vivent en milieu urbain et sont assujettis aux services de police existants dans ces villes. »

« Les services de police municipaux et régionaux peuvent adopter des pratiques policières culturellement adaptées, mais le racisme systémique et la discrimination à l’égard des peuples autochtones demeurent un grave problème qui a contribué au manque de confiance entre la police et les communautés autochtones. »

Le comité d'experts du CAC, dans son rapport

Les auteurs mentionnent « des taux plus élevés de crimes […] dans les communautés autochtones comparativement au reste du Canada, ainsi que la surreprésentation des Autochtones dans la population carcérale », mais ils précisent que « ces statistiques s’accompagnent d’un certain nombre de mises en garde liées à la collecte de données et au traitement discriminatoire des Autochtones » et que ces derniers sont « plus susceptibles d’être victimes d’actes criminels et de faire face à des inégalités ».

Pistes de solutions

« La compréhension globale de la sécurité et du bien-être dans les communautés autochtones exige une réflexion multidimensionnelle, y compris la prise en compte des facteurs sociaux et culturels », avance le document. C’est cette compréhension qui, selon ses auteurs, peut permettre l’adoption d’approches appropriées aux cultures autochtones.

Le rapport évoque « la nécessité de se concentrer sur les déterminants sociaux plutôt que sur la prévention du crime » et « l’importance de reconnaître le savoir autochtone traditionnel ainsi que les réalités et les besoins locaux lorsqu’on aborde la question des approches policières ».

Le comité estime que les aînés doivent être de toutes les discussions : « En plus d’être les gardiens du savoir traditionnel sur les coutumes, des valeurs et des croyances qui maintiennent l’ordre et la paix dans la communauté, les aînés ont souvent joué un rôle de consultation ou de leadership. »

« Les approches les plus prometteuses impliquent l’établissement de relations entre la police, les autres prestataires de services et les membres de la communauté », souligne le comité.

« Les approches efficaces fondées sur les relations sont dirigées par la communauté, respectent les valeurs fondamentales de celle-ci et offrent à la police l’occasion d’aider à mobiliser ses membres et de gagner leur confiance. »

Le comité d'experts du CAC, dans son rapport
Corps de police régional Kativik à Kuujjuaq, au Nunavik, la région inuite du Nord québécois. (Eilís Quinn/Regard sur l’Arctique)

Toutefois, « leur mise en oeuvre n’est pas exempte de difficultés » liées à la disponibilité des ressources, à la méfiance qui perdure de toutes parts, à la formation des policiers, de même qu’aux questions législatives, politiques et géographiques – il est en effet indéniable que l’éloignement de certaines collectivités pose ses défis.

« Les occasions de changement commencent par l’offre de choix substantiels pour la mise en place d’ententes sur les services de police compatibles avec l’autodétermination », plaide le rapport.

Comme chaque communauté est la « mieux placée pour définir ses besoins les plus critiques en matière de sécurité et de bien-être », les auteurs invitent les gouvernements à lui proposer « un choix véritable et souple » pour décider du type de corps policiers souhaité – qu’il s’agisse d’employer un service indépendant ou existant, comme la GRC ou la police provinciale – et cela implique d’offrir du soutien financier et logistique.

« Les possibilités de changement sont enracinées dans la nécessité d’avoir des relations respectueuses et de confiance », est-il ajouté.

« Au niveau local, cela se traduit par des stratégies […] où la police et les autres fournisseurs de services abordent leur rôle dans un esprit de compréhension et d’humilité, et s’inspirent des connaissances locales pour façonner leurs pratiques. »

Le comité d'experts du CAC, dans son rapport

Le CAC est un organisme à but non lucratif qui réalise des évaluations indépendantes afin de guider l’élaboration de politiques publiques. Il avait reçu en 2017 du ministère fédéral de la Sécurité publique le mandat d’évaluer le rôle des services de police dans les communautés autochtones.

Le comité d’experts du CAC s’est appuyé sur un rapport de 2014 du même organisme, intitulé Le maintien de l’ordre au Canada au XXIe siècle : Une nouvelle police pour de nouveaux défis, auquel il a intégré les résultats des plus récents travaux pertinents. Il a notamment tenu compte de plus d’une vingtaine d’enquêtes publiques menées dans l’ensemble du Canada ou dans ses provinces, y compris l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées (ENFFADA) et la Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec (la commission Viens).

Le nouveau rapport tient davantage compte des services policiers offerts au sein des communautés autochtones, alors que le précédent s’était surtout intéressé aux pratiques dans les municipalités.

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