Des services par et pour les Inuits, recommande le rapport final de l’enquête sur les violences contre les femmes autochtones

La commissaire en chef de la Commission, Marion Buller, a rendu public, lundi, le rapport final de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées (ENFFADA), dans lequel figurent 46 recommandations destinées spécifiquement aux Inuits. (Adrian Wyld/La Presse canadienne)
Le droit à l’autodétermination, l’embauche de personnel inuit, la protection de la langue et la mise en valeur du savoir inuit figurent parmi les recommandations spécifiques aux Inuits qui ont été rendues publiques dans le rapport de la commission d’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées (ENFFADA).

« Toutes les mesures doivent être dirigées par les Inuits et ancrées dans les lois, la culture, la langue, les traditions et les valeurs sociétales des Inuits, peut-on lire dans le rapport, rendu public lundi. Pour que les efforts de mise en œuvre portent des fruits, il faut reconnaître et respecter le savoir, la sagesse et l’expertise des Inuits. »

Le rapport de 1192 pages, scindé en deux volumes, est le fruit de près de deux ans d’audiences publiques durant lesquelles plus de 2380 personnes ont été interrogées aux quatre coins du pays.

Selon le document, le nombre élevé de meurtres et de disparitions de filles, de femmes et de personnes 2ELGBTQQIA [NDLR : bispirituel, lesbienne, gai, bisexuel, transgenre, queer, en questionnement, intersexe et asexuel] autochtones résulte d’un « génocide culturel », une notion qui prédomine dans l’ensemble du rapport.

Les 231 « appels à la justice » qui font office de recommandations, et dont 46 concernent spécifiquement les Inuits, touchent à la fois la culture, la santé, la sécurité et la justice.

« Ces appels à la justice ne sont pas des suggestions au gouvernement […] il s’agit d’impératifs juridiques, a affirmé la commissaire en chef de la Commission, Marion Buller, lors de la cérémonie de clôture qui avait lieu lundi à Gatineau, au Québec. Les gouvernements doivent impérativement mettre en œuvre ces appels à la justice. »

Le rapport de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, intitulé « Réclamer notre pouvoir et notre place ». (Jean-François Villeneuve/Radio-Canada)
Des services par et pour les Inuits

« La société inuite est artificiellement compartimentée et divisée par des limites coloniales géopolitiques », lit-on dans le rapport, qui met en évidence la situation unique des Inuits.

« Les témoignages livrés par les Aînés, les experts et les témoins inuits ainsi que par les organismes qui représentent les Inuits, tout comme les rapports et les résultats de recherches disponibles ont montré que les Inuits ont des expériences particulières et distinctes de l’oppression et de la violence coloniales », est-il indiqué.

Parmi les 46 recommandations destinées aux Inuits, la Commission demande à Ottawa ainsi qu’aux gouvernements territoriaux et provinciaux de rendre les services de santé et de bien-être accessibles et adaptés à la culture dans chaque communauté inuite. Comme l’indique le document, « la guérison s’opère par l’expression de l’art et de la culture ». Pour ce faire, les commissaires insistent sur l’importance de la transmission intergénérationnelle du savoir inuit, relatif à la culture, aux lois, aux valeurs, à la spiritualité et à l’histoire avant et depuis le début de la colonisation.

« La culture est l’essence de l’humanité, d’une société, d’une communauté et d’une famille, a fait valoir la commissaire Qajaq Robinson, lors de la cérémonie de clôture. Elle doit se retrouver dans toutes les institutions. »

« Il est impératif que tous les établissements d’enseignement accordent la priorité à la transmission de ce savoir aux enfants et aux jeunes Inuits dans toutes les sphères du programme d’enseignement. »

Extrait du rapport de l'Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées (ENFFADA)

D’autres « appels à la justice » recommandent d’accroître l’embauche de personnel inuit dans le secteur médical et dans les services de police.

Dans un rapport complémentaire concentré sur la province du Québec, la Commission rapporte que le Corps policier régional de Kativik, qui dessert 13 000 habitants répartis dans 14 communautés à travers le Nunavik (Nord québécois), compte 59 policiers en service, dont 3 sont Inuits. « Souffrant d’un sous-financement chronique, certaines communautés ont dû fermer leur corps de police et faire appel à la Sûreté du Québec », lit-on dans le document complémentaire de 180 pages.

À ce sujet, les commissaires recommandent aussi d’assurer une présence de services de police dans toutes les communautés nordiques.

Les commissaires demandent aux services de police, particulièrement à la Gendarmerie royale du Canada (GRC), d’assurer une représentation inuite parmi leurs agents assermentés et leur personnel civil dans les communautés inuites. (Michael Salomonie/CBC)
Droit à l’autodétermination

Les quatre commissaires mettent en évidence l’importance pour les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux de prendre en compte les mécanismes d’autodétermination des Inuits afin que les programmes et les services d’intervention soient appropriés pour les communautés.

« Toutes les mesures doivent être dirigées par les Inuits et ancrées dans les lois, la culture, la langue, les traditions et les valeurs sociétales des Inuits. Pour que les efforts de mise en œuvre portent des fruits, il faut reconnaître et respecter le savoir, la sagesse et l’expertise des Inuits. »

Extrait du rapport de l'Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées (ENFFADA)

Le rapport demande en outre aux gouvernements d’honorer et de mettre en œuvre tous les engagements socio-économiques définis dans les accords sur les revendications territoriales et sur l’autonomie gouvernementale entre les Inuits et la Couronne.

Insécurité alimentaire

Les quatre commissaires abordent aussi la question de l’insécurité alimentaire, un fléau nordique qui touche 70 % des foyers du territoire du Nunavut contre 8 % des foyers à l’échelle nationale, selon Statistique Canada.

« Elle est liée à une mauvaise santé physique et mentale, à des retards de développement cognitif, scolaire et psychologique chez les enfants, à des perturbations de transmission de la culture et du bien-être culturel connexe à la récolte et à la consommation d’aliments locaux, comme la viande de phoque et de baleine et le poisson », peut-on lire dans le document.

Selon le rapport, l’insécurité alimentaire s’explique notamment par l’éloignement des communautés et par l’incidence de pratiques coloniales qui ont perturbé les manières traditionnelles de se procurer des aliments.

Au total, la Commission a tenu des audiences dans 24 villes à travers le pays pour y recueillir les témoignages de survivantes de violences et de leurs proches ainsi que ceux d’experts, de représentants gouvernementaux et de Gardiens du savoir. Depuis 2017, les commissaires se sont aussi rendus dans plusieurs villes du Nord canadien, à savoir Whitehorse (Yukon), Yellowknife (Territoires du Nord-Ouest), Rankin Inlet (Nunavut), Iqaluit (Nunavut) et Happy Valley-Goose Bay (Terre-Neuve-et-Labrador).

Des audiences publiques ont eu lieu à Iqaluit, la capitale du Nunavut, du 10 au 13 septembre. (Garrett Hinchey/CBC)

L’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées (ENFFADA) a été lancée en septembre 2016 afin de déterminer les causes systémiques de la violence envers les femmes autochtones.

Freinés par une série de démissions et de licenciements, les quatre commissaires avaient demandé deux années supplémentaires au gouvernement fédéral pour achever leurs travaux, mais un prolongement de six mois leur a été accordé.

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