Qui sont les Latino-Américains du Québec?

« Le portrait n'existait pas. Il n'existait pas de données précises et complètes permettant de décrire cette population florissante du Québec, qui constitue l'un des groupes de migrants les plus importants. » 

 Victor Armony, sociologue à l'Université du Québec à Montréal 

En 2017, le chercheur Victor Armony, directeur du Laboratoire interdisciplinaire d’études latino-américaines (LIELA) de l’UQAM et codirecteur du Réseau d’études latino-américaines de Montréal (RELAM)a lancé une Enquête sur la population latino-québécoise.

Basée sur les réponses à un questionnaire rempli anonymement en ligne, disponible en français, en espagnol et en portugais, du 20 mars au 30 avril 2017, cette enquête, la première à dresser un portrait de la population d'origine latino-américaine au Québec, est aussi fondée sur des données scientifiques produites par l'organisme fédéral Statistique Canada et sur le recensement de 2016.

Mais l'enquête de M. Armony montre aussi d'autres dimensions plus subjectives, avec des thèmes comme le bonheur, la famille, la satisfaction de vivre ici. Ces questions et les informations obtenues méritaient une analyse approfondie, a cru le sociologue derrière le projet. 

Après l'enquête, que sait-on sur les Latino-Américains du Québec?

→ Ils constituent le deuxième groupe ethnolinguistique issu de l’immigration récente (144 995 hispanophones) au Québec, pas loin derrière les Arabes du Maghreb (171 185 arabophones).

→ Toutes proportions gardées, ils ont une présence plus de deux fois plus importante au Québec que dans le reste du Canada (13 % contre 5 % de la population minoritaire, et 11 % contre 5 % de la population née à l’étranger).

→ Ils ont un bon niveau de scolarité.

→ Au Québec, ils gagnent en moyenne environ 4500 $ de moins que les Latino-Américains de l'Ontario et 7000 $ de moins que toutes les minorités ethniques de cette province voisine.

→ Ils ont un taux de présence plus élevé au Québec (ce sont des immigrants qui ne quittent pas la province).

→ Ils utilisent plus fréquemment le français en milieu de travail.

→ Ils sont fréquemment trilingues.

→ Ils ont une proportion plus élevée de couples mixtes (interethniques) que la moyenne québécoise.

→ Ils disent que la principale discrimination à laquelle ils sont soumis se situe sur le plan linguistique. Vient ensuite l'ethnicité.

Origines diverses 

La population latino-américaine du Québec est la plus diverse parmi les trois sociétés réceptrices en Amérique du Nord (États-Unis, Canada anglophone et Québec). 

♦Presque deux tiers des Latinos des États-Unis sont d’origine mexicaine et trois quarts de toute la population hispanique a des racines dans seulement trois pays.

♦Les Latino-américains du Canada anglais ont des origines nationales plus diverses que ceux des États-Unis, dont une plus grande proportion de Sud-Américains.


 

Les Latino-Américains sont venus au Québec pour diverses raisons, selon les périodes historiques que traversait l'Amérique latine. Il y a d'abord eu ceux qui cherchaient à sauver leur vie. Ils ont été suivis par ceux qui aspiraient à l'améliorer économiquement.

La première vague

A été caractérisée par l'arrivée de « réfugiés politiques » dans les années 1970, sous l'impulsion des Chiliens fuyant le coup d'État militaire de Pinochet. Dans les années 80, les conflits armés en Amérique centrale ont donné lieu à un autre afflux important de réfugiés, avec un contingent particulièrement important d'hommes et de femmes d'El Salvador et du Guatemala.

 

La deuxième vague

Correspond à l'arrivée des « réfugiés économiques ». Leur motivation première était de chercher de nouveaux horizons lorsque leur pays, au beau milieu de l'ajustement néolibéral des années 1990, les a exclus du monde du travail et leur a refusé un avenir viable. Plusieurs milliers de personnes de pays comme l'Argentine, le Brésil, la Colombie et le Pérou se sont installées à Montréal.

Et la troisième vague

Après un flux de réfugiés politiques et économiques en provenance de Colombie, et celui maintenant du Venezuela, Armony parle d'une troisième vague d'arrivées d'Amérique latine depuis le début des années 2000. Ces nouveaux immigrants, qu'il appelle « réfugiés socioculturels », présentent un profil différent de celui des périodes précédentes. Parmi les plus de 1000 Latino-Américains du Québec qui ont répondu au sondage, 50,1 % avaient moins de 30 ans et 57,7 % étaient arrivés il y a moins de 10 ans.

Immigrer au Québec équivaut-il à immigrer en Ontario, en Alberta ou au Manitoba?

Au Québec, le français est la langue maternelle de la majorité des gens. Il existe dans cette province, la seule francophone au Canada, la Charte de la langue française (1977). Mieux connue comme Loi 101, elle fait du français la langue officielle de l’État et des tribunaux. C'est ainsi la langue normale au travail, dans l’enseignement, dans les communications, dans le commerce et dans les affaires. Cela veut dire, entre autres, que les services publics sont principalement en français. 

« Lorsque les immigrants latino-américains arrivent au Québec, ils rencontrent une culture différente du reste de l'Amérique du Nord, différente des sociétés anglo-saxonnes voisines. [Dans le cadre de la loi 101], il existe au Québec une obligation légale pour un immigrant d'envoyer ses enfants étudier dans des écoles francophones et non aux écoles anglophones qui sont réservées à la communauté qui a historiquement parlé cette langue. Par ailleurs, en termes juridiques, le Code civil [québécois], est beaucoup plus semblable à celui de l'Amérique latine, que celui du Canada anglais ou de l'américain. Les institutions publiques, la politique, la conception de l'État et de la Nation sont beaucoup plus proches d'une matrice euro-latino-européenne que ce que l'on pourrait voir au Canada anglais ou aux États-Unis. Il y a alors une sorte de familiarité, une affinité culturelle, qui est détectée au moment même où l'on atteint la société et qui se manifeste dans le processus d'intégration. »

- Victor Armony. 

Pourquoi les Latino-Américains et les Québécois font-ils bon ménage? 

Selon Victor Armony, la société québécoise voit les Latino-Américains comme étant de bons immigrants, prêts à s'intégrer dans leur société. L'enquête montre que les conditions d'intégration sont favorables en raison de certaines caractéristiques des immigrants d'origine latino-américaine, dont :

 

- fréquence plus élevée du trilinguisme; 

- proportion plus élevée de couples mixtes (interethniques); 

- taux de présence plus élevé (immigrants qui ne quittent pas la province); 

- utilisation plus fréquente du français en milieu de travail;

- Bon niveau d'éducation. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Pour leur part, les Québécoises et les Québécois se sentent proche de la culture latine (proximité du français et de l'espagnol) et sont familiers avec l'Amérique latine en général dans plusieurs domaines, dont le tourisme, la politique, les échanges culturels et commerciaux. 

Par ailleurs, en Amérique latine, le Québec est perçu comme étant une société intéressante et accueillante en raison de ses politiques sociales.

 

Cependant, la réalité des Latino-Américains du Québec n'est pas que rose...

Les immigrants d'origine latino-américaine sont bien accueillis, bien intégrés et ils sont deux fois plus présents au Québec que dans le reste du Canada.

Au Québec, ils représentent 13 % des minorités ethniques, tandis qu'ailleurs au Canada, ce pourcentage n'est que de 6 %. 

Pourtant, ni leurs hauts taux de diplomation et d'adaptation ni leur importante présence au Québec ne leur assurent un meilleur statut économique au sein de la société d'accueil.

Dans la province francophone, ils gagnent en moyenne environ 4500 $ de moins qu'en Ontario et 7000 $ de moins que le revenu moyen des minorités de la province. 

 

Les hommes latino-américains résidant dans la province de Québec gagnent en moyenne environ 5000 $ de plus que les femmes latino-américaines, mais environ 8 000 $ de moins que les hommes latino-américains résidant dans la province de l'Ontario. 

De plus, si l'on compare la réalité des Latino-Américains résidant au Québec aux autres minorités de la province, ils sont aussi défavorisés. Les analyses de données statistiques faites par le Laboratoire interdisciplinaire d’études latino-américaines indiquent que les Latino-Américains au Québec ont en moyenne un revenu inférieur à celui des Arabes, alors qu'en Ontario leur revenu moyen est supérieur à celui de ce groupe donné.

Et les femmes?

Photo : iStock/ajr_images

La situation des femmes latino-américaines qui résident au Québec est encore plus difficile que celle des hommes. Elles gagnent en moyenne environ 4500 $ de moins que les femmes des minorités en Ontario et 10 000 $ de moins que les femmes non minoritaires du Québec.

Dans cet extrait de l'entrevue qu'il a accordée à Leonora Chapman de RCI, Victor Armony va de quelques hypothèses pour expliquer les difficultés des immigrantes latino-américaines au Québec. Il croit qu'elles sont très probablement le résultat d'une série de facteurs qui rendent ces femmes plus vulnérables. À son avis, elles sont « triplement pénalisées ». 

(Petit rappel: L'entrevue est en espagnol, des sous-titres en français sont disponibles, n'oubliez pas de les activer)

Pourquoi les Latino-Américains gagnent-ils moins?

Une première hypothèse, selon M. Armony, concerne les stéréotypes selon lesquels le travail latino-américain vaudrait moins, parce que c'est un travail de mauvaise qualité ou encore parce que les immigrants latino-américains sont plus souvent prêts à travailler pour moins d'argent.

Ce qui aurait un double effet : le travail des latinos est dévalué et les latinos se dévalorisent eux-mêmes, ce qui finirait, selon le chercheur, par se refléter dans des revenus inférieurs à la moyenne. Il y a d'autres hypothèses, et ce sujet mérite d'être approfondi, dit le sociologue.

 

Stéréotypes et discrimination

À la question : « Avez-vous été victime ou témoin d’une situation de discrimination ou d’intolérance dans votre pays actuel de résidence? » Les Latino-Américains du Québec ont répondu : 

Relations sociales (personnelles et professionnelles) 

La majorité des participants à la recherche de Victor Armony maintient des liens avec des gens de toutes origines. Au travail, les participants ont plus de liens avec des gens d’origine locale qu’avec d’autres Latino-Américains ou des compatriotes. Dans la vie personnelle, ils ont beaucoup moins de liens avec des gens d’origine locale et plus de liens avec des Latino-Américains et des compatriotes.

Le nouvel immigrant latino-américain

Pendant la dernière décennie (2006-2015), environ 8400 immigrants d'Amérique latine se sont établis chaque année au Québec.

Au cours des 15 dernières années, la plupart des Latino-Américains qui viennent s'établir au Québec en tant que résidents permanents le font pour des raisons qui ont plus à voir avec la qualité de vie, pour eux et leurs enfants. Ils fuient de contextes d'insécurité et de criminalité.

Ils veulent aussi développer une carrière professionnelle.

« Les nouveaux Latino-Québécois sont à la poursuite d'un idéal, celui d'améliorer leur vie au niveau socioculturel. Ils sont urbains et éduqués. Ils portent dans leurs sacs à dos leur capital humain, leurs filets. Et si leurs attentes ne sont pas comblées, ils ont un pied prêt à accélérer et à changer de direction. »  - Victor Armony

Pour en savoir plus sur les Latino-Américains du Québec et du Canada...

Catégories : Immigration et Réfugiés, Société
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