Afin de faire adopter son controversé projet de loi sur la laïcité, le premier ministre québécois François Legault s’est dit prêt à utiliser la clause dérogatoire. Cette clause permet exceptionnellement au gouvernement de passer outre la Charte canadienne des droits et libertés. Pour bien comprendre ce qu’est une clause dérogatoire, on joint Pierre Bosset, professeur au Département des sciences juridiques de l’UQAM.
« La clause dérogatoire est une disposition spéciale qui permet à un gouvernement de déroger à certains fondamentaux dans des situations d’urgence comme une guerre, un cataclysme ou une épidémie, explique en entrevue Pierre Bosset. Dans de telles circonstances, il est parfois nécessaire de limiter la portée d’un droit ou d’une liberté. »
Le professeur énumère plusieurs exemples. Dans le cas d’une épidémie grave, il serait sans doute nécessaire de limiter la liberté de déplacement, dit-il. « Mais ce qui distingue le mécanisme de dérogation au Canada, c’est qu’il n’existe pas dans les textes de la Constitution du pays des conditions de fond à remplir. On n’a pas à démontrer l’existence d’un cataclysme, d’une épidémie ou d’une guerre. »
Écoutez l’entrevue avec Pierre Bosset (9 minutes et 6 secondes) :
La clause dérogatoire n’a été utilisée que quatre fois dans l’histoire du Canada. C’est une procédure exceptionnelle, rappelle M. Bosset. « Elle a été très peu utilisée au Canada anglais et jamais au niveau fédéral, précise-t-il. En ce qui concerne le Québec, la clause dérogatoire a été utilisée de façon quasi systématique au début des années 1980 dans un contexte politique. Il s’agissait à l’époque de protester politiquement contre ce que l’on appelle, au Canada, le rapatriement de la Constitution de Londres au Royaume-Uni. »
Ce qui se passe à l’heure actuelle, c’est que le projet de loi qui a été déposé par le gouvernement de la CAQ déroge aux deux chartes, celle du Canada, mais aussi celle du Québec, raconte le professeur. « À mon avis, il y a déjà des arguments juridiques qui permettraient de plaider une remise en cause de la clause dérogatoire. Je vois deux possibilités. La première consiste à dire que, depuis 30 ans, les conditions de son utilisation sont devenues très exigeantes, priorisant l’aspect urgent d’une situation. Cette situation d’urgence qui n’existe pas au Québec. »
« La seconde possibilité se trouve dans la Charte des droits et libertés canadienne elle-même, ajoute Pierre Bosset. Les droits et libertés doivent être garantis aux deux sexes. Ainsi, si on arrive à démontrer que ce projet de loi pourrait affecter davantage les femmes que les hommes, on a là un motif assez sérieux pour remettre en cause la clause dérogatoire. »
Au Canada, toute personne peut contester la validité d’une loi, explique le professeur. « Il n’est pas nécessaire d’être une institution ou un élu. Tous les citoyens qui se sentiraient visés par ce projet de loi possède la légitimité suffisante pour demander à un tribunal de se prononcer sur la validité de la loi, ce qui peut ensuite aller jusqu’à la Cour suprême », conclut-il.
Le Québec et le Canada, deux solitudes jusque dans l’utilisation de la clause dérogatoirehttps://t.co/kT02UhwVRO pic.twitter.com/V48FI0KJXw
— Gabrielle Sabourin (@GabSabourin) 28 mars 2019
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