Le tourisme dans l’Arctique à l’ère d’instagram

Le tourisme dans l’Arctique
à l’ère d’Instagram

Quand on parle du développement économique de l’Arctique, l’extraction des ressources naturelles est l’une des premières choses qui viennent à l’esprit. Les régions nordiques et les chambres de commerce veulent changer cette perception en faisant de plus en plus la promotion du tourisme comme outil économique incontournable.

Elles font valoir que cette industrie crée des emplois pour tous les niveaux d’éducation, encourage l’entrepreneuriat à petite échelle et met en avant les cultures locales. Et aussi qu’elle favorise le développement durable, inexistant dans de nombreuses régions du Nord, que ce soit dans les communautés autochtones éloignées de l’Arctique canadien et du Groenland, ou dans les villages de Laponie finlandaise et du nord de la Russie.

Mais le tourisme est loin d’être l’industrie inoffensive que l’on a toujours connue.

L’Islande l’a vite compris, le tourisme de masse dans le Nord peut avoir des impacts sociaux et environnementaux aussi profonds que ceux des industries minières ou de forage.
Et pourtant, les gouvernements qui se sont succédé n’ont rien fait pour s’y préparer. Ce sont plutôt des phénomènes comme Instagram et Justin Bieber qui ont, sans faire exprès, imposé à leur place la majeure partie de la planification touristique de l’Islande.

Aujourd’hui, tout le monde n’est pas convaincu d’être satisfait des résultats.

Pour en savoir plus, Eilís Quinn, de Regard sur l’Arctique, a parcouru l’Islande : le long de la célèbre route touristique du Cercle d’or près de Reykjavik, jusque dans les localités agricoles éloignées du sud-ouest et dans les villages de pêche agonisants de l’Arctique. Elle est allée mesurer l’impact du tourisme sur ces régions, celles que cette industrie a aidées à se relever, et celles qui en souffrent. Mais aussi toutes les leçons que d’autres régions circumpolaires peuvent tirer de l’expérience islandaise.


Journaliste : Eilís Quinn
Traductrice : Danielle Jazzar
Édimestre : Jean-François Villeneuve


Les effets sur la société
et l’environnement

CERCLE D’OR, Islande – À tous points de vue, l’Islande doit beaucoup au tourisme.
Il attire plus de 2 millions de visiteurs par an et contribue pour près de 800 milliards ISK (10 milliards de dollars canadiens) au PIB annuel total. Il a d’ailleurs presque à lui seul sauvé le pays de l'effondrement économique de 2008, la pire crise financière de l’histoire moderne.

Mais si d’autres régions circumpolaires demandent à l’Islandais moyen comment faire pour reproduire ce succès phénoménal, sa réponse pourrait en surprendre plus d’un.

« En un mot ? N’essayez pas ! », répond Einar Torfi Finnsson, directeur d’Icelandic Mountain Guides, « apprenez plutôt de nos erreurs ».

« Nous avons désespérément besoin de plus de sentiers, de passerelles et de toutes sortes d’infrastructures pour protéger la nature », dit Einar Torfi Finnsson. « Nous n’avons pratiquement pas de loi ni de règlements pour protéger nos eaux du passage des navires de croisière dans nos ports. On se demande parfois si les politiciens ont une quelconque connaissance du secteur du tourisme. »
(Eilís Quinn/Regard sur l’Arctique)

Ce qui se passe n’est plus supportable, ce n’est pas viable

Einar Finnsson ajoute sa voix au concert de protestations qui s’élèvent de plus en plus parmi les Islandais, même ceux qui travaillent eux-mêmes dans l'industrie, qui tirent la sonnette d'alarme après l’explosion du tourisme dans le pays.

« Tout notre environnement arctique et subarctique est fragile », dit Finnsson, « De 80 % à 90 % des visiteurs viennent en Islande pour voir sa nature, et nous laissons les touristes envahir les sites naturels sans rien faire pour les préserver. Si nous gâchons toute notre belle nature en la laissant se faire piétiner, non seulement nous détruisons la raison pour laquelle les gens viennent en Islande, mais nous les empêchons d’en profiter pleinement quand ils y sont. »

« Le tourisme nous a sauvés de la dépression après l’effondrement des banques. Il a permis d’assurer le minimum vital à beaucoup de gens ici. Le fait de critiquer directement le tourisme ici pourrait nous nuire, mais nous devons absolument commencer à nous attaquer à ce problème. »

« Ce qui se passe n’est plus supportable, ce n’est pas viable. »

Quand le tourisme explose

Chaque région de cette partie la plus septentrionale du monde a sa culture, son histoire et sa géographie, qui diffèrent complètement de l’une à l’autre. Mais la croissance incroyable du tourisme en Islande a stimulé l’imaginaire dans les régions arctiques et subarctiques du Groenland à la Russie, en passant par le Canada et la Finlande.

Les sources chaudes de Geysir, l’un des principaux sites naturels de la route du Cercle d’or, en Islande.
(Eilís Quinn/Regard sur l’Arctique)

Les premières choses qui viennent à l’esprit quand on parle de développement économique de l’Arctique, ce sont l’extraction et l’exploitation des ressources. Mais sur le terrain, le tourisme est de plus en plus présenté comme un outil économique par les collectivités et les chambres de commerce du Nord.

Contrairement au secteur de l’extraction des ressources, le tourisme est vu comme une industrie qui crée des emplois pour tous les niveaux d’éducation, qui encourage et promeut les cultures locales et qui favorise le développement durable dans des régions éloignées et difficiles d’accès qui, jusque-là, n’en avaient pas.

Dans le cas de l’Islande, les chiffres sont éloquents.

Il y a moins de 10 ans, en Islande, le tourisme était à la traîne derrière les industries de la pêche et de l’aluminium. Mais aujourd’hui, il les a toutes dépassées et est devenu le moteur principal de l’économie.

Rien qu’en 2017, plus de 2 millions de visiteurs sont venus dans le pays, soit plus de six fois la population islandaise, qui ne compte que 348 000 habitants.

Cela aurait pu être une aubaine pour l’économie, mais il y avait un hic...

C’est que, dans tous les gouvernements qui se sont succédé, quel que soit le parti qui était au pouvoir, personne ne s’y était préparé.

Ce sont plutôt Instagram et Justin Bieber qui, sans le savoir, en ont plus fait pour la planification touristique de l’Islande que les gouvernements en question.

Ce qui en résultera ne vous plaira probablement pas.

Pour la plupart des Islandais, le succès du tourisme dans le pays est dû à un concours de circonstances qu’il serait impossible de reproduire dans les autres régions circumpolaires, même en y mettant toutes les ressources : l’effondrement de la couronne islandaise en 2008, l’éruption du volcan Eyjafjallajokull en 2010 qui a rappelé au monde que l’Islande existait, puis, après cela, le nombre incalculable de vols à bas prix qui faisaient la navette entre le pays et la plupart des capitales d’Europe et d’Amérique du Nord.

Puis il y a eu Instagram.

Vue de ce côté, Kirkjufell, la montagne en haut à droite dans cette photo, ne présente aucun intérêt et peut passer totalement inaperçue.
(Eilís Quinn/Regard sur l’Arctique)
… mais de ce côté-ci, la même montagne attire comme un aimant tous les photographes, depuis qu’une photo prise sous cet angle est devenue virale sur Instagram.
(Eilís Quinn/Regard sur l’Arctique)

« En fait, c’est totalement effarant », dit Finnsson. « Je n’aurais jamais pu imaginer l’effet des réseaux sociaux. Les gens viennent voir chacun des sites naturels qu’ils ont vus sur Instagram et Facebook. Et le pire, c’est qu’ils ne sont pas là pour prendre de belles photos, mais pour prendre une photo exactement au même endroit et dans le même angle que la photo qu’ils ont vue sur les réseaux sociaux, et ce, même si on leur dit qu’il y a quelque chose de plus beau ailleurs. »

Le problème, c’est que, sur place, aucune structure n’est prévue pour informer les touristes de la fragilité des paysages naturels de l’Islande.

Et quand les responsables se sont rendu compte du problème, des millions de paires de pieds avaient déjà piétiné des pans entiers de la fragile végétation subarctique des principaux sites naturels du pays.

Aux sources thermales de Geysir, des panneaux ont été installés pour interdire aux gens de piétiner le sol, mais cela n'a pas eu le succès escompté.
(Eilís Quinn/Regard sur l'Arctique)

« C’était un manque total de planification », dit Rannveig Olafsdottir, professeur d’études en tourisme à l’Université de l’Islande à Reykjavik.

« C’est vous, l’État, qui devez choisir quelles régions doivent être développées, et pour quel type de tourisme. Parce que si vous ne le faites pas, des centaines de milliers de touristes le décideront à votre place, et ce qui en résultera ne vous plaira probablement pas. »

Faire le guide, éduquer les touristes et… arrêtez de piétiner cette fichue mousse !

Harald Schaller est guide-patrouilleur au Parc national de Thingvellir. Ça aurait pu être un emploi idéal. Mais il est confronté à un défi de taille, celui d’être aux premières lignes pour éduquer le public.

Siège du premier Parlement islandais en 930 après J.-C., ce site du patrimoine mondial de l'UNESCO domine un paysage spectaculaire : une fissure géante entre les deux plaques tectoniques nord-américaines et eurasiennes.

Le jour de la visite de Regard sur l’Arctique, Harald Schaller faisait plusieurs choses à la fois : il répondait aux questions des visiteurs, il se préparait à accueillir un groupe scolaire et, de temps à autre, il s’élançait à la poursuite de touristes qui passaient outre les panneaux d’avertissement ou les cordons de sécurité, ou qui s’aventuraient même dans les sentiers interdits en piétinant la végétation pour prendre une meilleure photo.

Le guide-patrouilleur Harald Schaller montre un morceau de mousse islandaise. Quand elle est trop piétinée, il lui faut 30 à 40 ans pour repousser.
(Eilís Quinn/Regard sur l’Arctique)

« Ils rendent notre travail très difficile », dit M. Schaller, qui est aussi diplômé du Département de tourisme et de géographie de l’Université de l’Islande. « Je ne les blâme pas, mais je m’inquiète pour cette terre, et il m’arrive de ressentir à la fois de la colère et de la tristesse. »

Comme l’Islande est une île volcanique, que son climat est froid et qu’il y a très peu de végétation, la mousse qui la recouvre a besoin de 100 à 200 ans pour pousser. Elle ne pousse que de 1 mm par an, et si elle est constamment piétinée, il lui faudra entre 30 et 40 ans pour se régénérer et se revitaliser.

« Chacun de ces touristes pense qu’il est le seul à sortir des sentiers pour prendre une photo en particulier », dit M. Schaller. « Aucun d’entre eux ne se rend compte que des centaines de milliers de visiteurs, avant eux et après eux, font exactement la même chose. »

« Puis il y a eu Justin Bieber », dit M. Schaller en référence à l’inqualifiable clip vidéo de 2015 intitulé I’ll show you, qui a été visionné jusqu’à présent 405 millions de fois sur YouTube, où le chanteur canadien se roule dans la fragile mousse islandaise, se baigne dans une lagune glaciaire et fait toutes sortes d’activités dangereuses que les gens du pays désignent comme « à ne jamais faire » en Islande.

« Nous travaillons fort pour éduquer nos touristes », dit M. Schaller, « Mais en fin de compte, il y a une limite à ce qu’on peut faire ».

Les répercussions sociales

Les effets du tourisme en Islande ne se font pas sentir uniquement dans l’environnement.

Les gouvernements qui se sont succédé n’ont pas non plus réussi à restructurer la micro-bureaucratie du pays, conçue pour servir 300 000 Islandais, afin de répondre aux besoins de millions de touristes dans une multitude de secteurs allant du système de soins de santé au maintien de la sécurité.

La Division de police du district du sud de l’Islande est responsable de la majeure partie du sud du pays, notamment la célèbre route du Cercle d’or.

En 2017, environ 1,9 million de touristes ont visité cette région.

Et pourtant, les effectifs de la police n’ont pas augmenté depuis 2006. Il n’y a toujours que 10 agents en poste par jour pour répondre à tout ce qui se passe dans leur territoire de 31 000 kilomètres carrés; une région qui s’étend des hautes terres arctiques aux basses terres subarctiques.

« C’est complètement insensé, et nous en souffrons beaucoup », dit Sveinn Kristjan Runarsson, le surintendant en chef de la police du district de l’Islande du Sud. « Je sens la différence chez mes agents. Je vois qu’ils sont fatigués et qu’ils travaillent au-delà de leurs limites. Ce n’est pas uniquement à cause du nombre d’heures supplémentaires de travail, mais aussi parce qu’ils sont témoins d’accidents mortels et de blessures graves. »

Il y a aussi un autre problème majeur : celui des touristes qui conduisent des voitures louées hors des routes carrossables, alors qu’ils ne connaissent absolument rien de l’Islande : ni ses routes étroites, ni son climat difficile, ni sa nature.

« Ces gens n’ont jamais conduit dans la neige ni dans la glace, ils n’ont jamais conduit non plus sur des routes de gravier. Ils se retrouvent coincés dans les montagnes, dans les rivières, partout. C’est très difficile. »

Un chauffeur de bus islandais au volant, quelques instants avant de faire une embardée et de dévier dans la voie de la direction opposée pour éviter la voiture devant lui qui s’est arrêtée soudainement pour que ses occupants prennent des photos…
(Eilis Quinn/Regard sur l’Arctique)
... Heureusement, personne ne circulait en sens inverse... cette fois-ci.
Une enquête nationale publiée en mars 2018 sur les réactions des gens face au développement du tourisme a révélé qu'à cause des touristes, de nombreux Islandais ont maintenant peur de conduire sur leurs propres routes.
(Eilis Quinn/Regard sur l’Arctique)

Un autre problème qui cause des blessures, voire qui entraîne la mort : les touristes qui ignorent les panneaux d’avertissement de vents violents au bord de falaises abruptes, ou de marées dangereuses.

Plusieurs touristes sont morts dans des sites naturels du pays. Reynisfjara, par exemple, une plage près du village de Vik, est connue pour ce que l’on appelle des « vagues scélérates », de puissantes déferlantes qui aspirent le sable noir pierreux sous les pieds.

« Cela vous fait tourbillonner comme dans une machine à laver, et une fois que vous êtes attiré à l’intérieur, vous ne pouvez plus en sortir », dit Runarsson. « Les habitants savent qu’il faut se tenir loin, mais les visiteurs ne les regardent qu’à travers leurs appareils et leurs caméras, et ne font pas attention à ce qui les entoure. »

Malgré les avertissements, les touristes, à la recherche de la photo parfaite, continuent d’ignorer les signaux installés pour prévenir les dangers; ils sont parfois même projetés des falaises par des vents violents, dit la police.
Ici, un touriste a enjambé une zone protégée par un cordon de sécurité et a ignoré un panneau d’avertissement de bord de falaise pour photographier l’arche naturelle de Gatklettur, dans la péninsule de Snaefellsnes, dans l’ouest de l’Islande.
(Eilís Quinn/Regard sur l’Arctique)

Quoi faire maintenant ?
Le gouvernement de coalition au pouvoir en Islande depuis novembre a indiqué ses intentions de s’attaquer, au cours de son mandat, à certains défis engendrés par le tourisme dans le pays. Notamment d’adopter un plan triennal lancé par le gouvernement précédent afin d’accroître le financement pour la planification touristique des sites naturels; d’imposer éventuellement une taxe d’aéroport qui pourrait contribuer au financement de l’infrastructure touristique; et d’étudier la possibilité d’obliger les entreprises touristiques à détenir un permis pour avoir le droit d’envoyer leurs clients dans les parcs nationaux islandais.

Le ministre islandais du Tourisme, de l’Industrie et de l’Innovation, Thordis Kolbrun Reykfjord Gylfadottir, n’a pas répondu à toutes les demandes d’entrevues par téléphone et par courriel que nous avons envoyées à répétition pendant deux semaines pour notre reportage.

Le ministère du Tourisme, de l’Industrie et de l’Innovation nous a dit que le ministre Gylfadottir n’était pas disponible, et que personne d’autre au ministère ne l’était non plus pour discuter avec nous de la stratégie ou de la vision actuelle du gouvernement en matière de tourisme.

Le guide touristique Einar Torfi Finnsson dit que certaines idées du gouvernement sont « prometteuses », mais que ce dont le pays a vraiment besoin, c’est une stratégie touristique globale qui s’étende à tous les secteurs, de l’environnement à l’économie, en passant par les services publics et les industries.

« Malheureusement, je ne suis pas très optimiste », dit Finnsson. « Ce n’est pas dans la culture islandaise d’être proactif. Je me demande parfois, devant l’ampleur de ce phénomène et la rapidité avec laquelle il s’est répandu, s’il n’est pas déjà trop tard. »


Un renouveau rural ?

LA FERME HOFSNES, Islande – Une école primaire qui ne compte que 11 élèves, ça donne pas mal de renseignements sur un lieu.
Mais ça ne donne pas de très bons pronostics quant à la survie d’une collectivité.

Toutefois, dans cette localité agricole isolée du sud-est de l’Islande, ce chiffre est une bonne nouvelle, car après des années de déclin dans la région, cela signifie que les choses s’améliorent enfin.

« Ça allait vraiment mal », dit Einar Runar Sigurdsson, un ancien éleveur de moutons de 49 ans devenu guide de montagne et de glacier. « Quand j’étais enfant, environ 100 personnes vivaient ici et l’école comptait 18 enfants. Mais les jeunes n’ont plus voulu reprendre les troupeaux de moutons et les personnes âgées sont parties petit à petit s’installer dans des maisons de retraite dans les grandes villes. Le départ de deux générations en même temps a laissé beaucoup de fermes à l’abandon, et nous n’étions plus qu’une soixantaine de personnes. »

Puis est survenu le boom touristique islandais. Et tout a changé depuis.

« Mes amis se demandent pourquoi j’ai envie de vivre dans ce lieu où il n’y a rien à faire et où il n’y a pas grand monde », dit Helen Maria Bjornsdottir, 28 ans, qui dirige l’entreprise Local Guide, dans le sud-est de l’Islande, avec son fiancé Aron Franklin.
« Mais la nature est extraordinaire. Je ne me vois plus vivre à Reykjavik. »
(Eilís Quinn/Regard sur l’Arctique)

Einar Runar Sigurdsson et son épouse Matthildur Thorsteinsdottir ont démarré leur entreprise de guides de montagne et de glacier From Coast to Mountains; ils ont aussi ouvert un petit café. Et des hôtels ont ouvert. La demande était telle que leur fils de 27 ans, Aron, a également lancé sa propre entreprise touristique, Local Guide, et a embauché une douzaine de personnes.

Et l’effet domino se poursuit encore aujourd’hui.

« Les élèves de l’école sont les enfants des familles qui travaillent dans les hôtels ou dans les entreprises de tourisme », dit Matthildur Unnur Thorsteinsdottir. « De plus en plus de jeunes familles construisent leur maison ou achètent des fermes ici. Notre communauté compte environ 80 à 90 personnes maintenant. Les choses sont en train de beaucoup changer, je suis vraiment contente! »

Le boom de l’industrie du tourisme en Islande a confronté le pays à de nombreux défis sociaux et environnementaux, particulièrement dans la région de la capitale Reykjavik et dans ce que l’on appelle le Cercle d’or, une route pas loin de Reykjavik qui passe par de nombreux sites touristiques importants du pays. Le tout est bien documenté.

Mais à la campagne, surtout dans le sud-est de l’Islande, le tourisme est bien plus qu’une source de maux de tête et de tracas. Le tourisme, c’est la renaissance des régions rurales.

Vue sur le glacier Vatnajokull en 2008.
Les touristes qui viennent visiter cette région donnent une nouvelle vie économique aux villages agricoles environnants.
(Thorvaldur Orn Krismundsson/AFP/Getty Images)

Personne ne veut reprendre les fermes

Ces dernières années, comme un peu partout dans le monde, l’Islande a connu un exode rural massif.

La population islandaise était autrefois une société agricole, et la majorité des villages et des villes d’Islande n’existaient même pas avant le 20e siècle. Ce n’est qu’au début des années 1900, à l’époque où le secteur de la pêche était très dynamique en Islande, que les petites villes et les villages ont commencé à se multiplier le long de la côte. L’Islande, qui était alors l’un des pays les plus pauvres et les plus ruraux d’Europe, est devenue l’un des plus prospères.

Mais au fur et à mesure que les technologies progressaient, les besoins en travailleurs agricoles diminuaient et les collectivités agricoles vivaient un déclin important. Puis, dans les années 1970, les stocks de poissons se sont effondrés. Les politiques adoptées par la suite, qui donnaient des quotas de pêche aux entreprises plutôt qu’aux villages de pêcheurs ou aux pêcheurs qui y vivaient, sans le vouloir, semblaient conçues pour faire partir les gens des petites localités.

Des moutons dans un enclos de la ferme Hofsnes en 1984.
Aujourd’hui, le tourisme devient la principale industrie de l’Islande; elle éclipse ainsi l’agriculture et la pêche.
(Gracieuseté d’Einar Runar Sigurdsson)

Les changements démographiques en Islande ont été lourds de conséquences, car ils ont rompu un équilibre bien établi, où les fermes comptaient sur les villages de pêcheurs pour des services comme les magasins et les écoles, et où les villages de pêcheurs avaient besoin des fermes pour la main-d’oeuvre, la viande et la laine.

En fait, quand les villages de pêcheurs ont fait naufrage, ils ont entraîné dans leur sillage les collectivités agricoles.

« L’équilibre devenait de plus en plus précaire et, par conséquent, la population agricole a fortement diminué », explique Thoroddur Bjarnason, sociologue à l’Université d’Akureyri, en Islande, qui se spécialise dans le développement régional.

« Ces villages plongeaient de plus en plus dans le désespoir. Ils perdaient des jeunes, ils perdaient des femmes, et l’âge moyen augmentait d’année en année. Puis le tourisme est entré en jeu et, depuis, beaucoup de choses intéressantes ont commencé à se produire. »

Graphique illustrant le déclin de la population dans les communautés agricoles islandaises depuis 1911, puis la stabilisation de la population et le renversement de la tendance depuis que l’industrie du tourisme a pris de l’importance dans le pays à la fin du 20e siècle.
Chaque couleur sur le graphique représente une région différente du pays.
(Gracieuseté de Thoroddur Bjarnason / Université d’Akureyri)

Les photos changent la donne
Einar Runar Sigurdsson se souvient avec un mélange d’humour et de perplexité de l’époque où sa famille travaillait dans l’agriculture. Il admet qu’il n’était pas un très bon fermier et qu’il s’est lancé dans le tourisme par hasard. C’était en 1989, quand son père, Sigurdur Bjarnason, s’est rendu compte qu’avec les revenus d’une ferme il n’était plus possible de faire vivre une famille dans l’Islande moderne… et qu’il a vendu son quota de moutons.

Toutefois, Bjarnason arrivait à se faire un peu d’argent en amenant à l’occasion des touristes visiter une colonie de macareux près de la ferme.

Sigurdur Bjarnason tond ses moutons. 1984.
(Gracieuseté d’Einar Runar Sigurdsson)

Petit à petit, Sigurdsson a commencé à travailler comme guide de montagne, et à prendre des touristes à Hvannadalshnukur, le plus haut sommet de l’Islande,

« C’était parfait », dit-il. « Le fait de devenir guide de montagne m’a permis de rester ici et d’avoir un emploi toute l’année, même si avant le boom du tourisme ça ne rapportait pas beaucoup, surtout en hiver. »

Puis Instagram est arrivé, et tout a changé depuis, dit-il.

« En 2010, l’hiver est devenu une saison bien plus importante. Les passionnés de photo ont commencé à venir voir les aurores boréales, et je me suis mis à faire visiter les grottes de glace aussi. Certaines photos de mes clients sont devenues virales sur Instagram et sur d’autres réseaux sociaux. Donc de plus en plus d’amateurs de photographie ont commencé à m’appeler pour me demander de les y amener aussi. »

Sigurgeir Thoroddsen, avec, en arrière-plan, sa ferme familiale.
(Eilís Quinn/Regard sur l’Arctique)

L’essor du tourisme a suffi à ramener dans la région Sigurgeir Thoroddsen, 27 ans, bien qu’il ait passé la majeure partie de sa vie dans la ville de Mosfellsbaer et à Reykjavik.

Il est retourné à Fagurholsmyri, l’ancienne ferme de ses grands-parents. Il travaille maintenant pour l’entreprise Local Guide créée par Aron, le fils de Sigurdsson, comme guide de glacier et prend les touristes au glacier Vatnajokull.

« Nous avons vendu notre quota de moutons et nous nous sommes plus occupés de tourisme, mais en fait, c’est toujours notre ferme, dit M. Thoroddsen. J’ai toujours aimé cet endroit; c’est juste qu’avant il n’y avait aucun avenir économique. »

Les collectivités relèvent la tête
Gudrun Thora Gunnarsdottir, directeur du Centre islandais de recherche sur le tourisme dans la ville d’Akureyri, dit que l’Islande fait face à de sérieux défis avec le boom du tourisme, mais qu’il faudrait que les retombées positives du tourisme, particulièrement dans les régions rurales, soient plus reconnues et mieux exploitées.

« Après le déclin des secteurs de l’agriculture et de la pêche, pendant longtemps, les seules choses qui se disaient dans les médias au sujet de ces localités étaient négatives. Et tout d’un coup, le tourisme a changé la donne. Du jour au lendemain, on trouvait qu’il se passait quelque chose d’intéressant et de dynamique dans ces régions. Cela a permis de changer la collectivité elle-même et la manière dont les gens qui y habitent se perçoivent eux-mêmes. »

Le tourisme a également créé des occasions uniques dans l’Islande rurale qui, avant, n’auraient été possibles que dans des endroits comme Reykjavik, dit-elle.

« Auparavant, dans ces régions, on savait quelles familles travaillaient dans le domaine de la pêche et quelles autres étaient dans l’agriculture. Quant aux plus jeunes, leur seule option était de se lancer dans l’entreprise familiale ou de quitter la région. Mais l’entrepreneuriat qui se développe avec le tourisme a complètement rompu avec le passé; et les zones rurales en ont profité lorsque le tourisme s’est développé. »

Dans certaines régions de l’Islande rurale, le boom du tourisme est en train de renverser la tendance après des années d’exode rural. Il attire les jeunes vers leur pays d’origine et l’on voit surgir des entreprises familiales prospères où plusieurs générations travaillent ensemble.
De gauche à droite : Matthildur Unnur Thorsteinsdottir, son mari Einar Runar Sigurdsson, leur belle-fille, Helen Maria Bjornsdottir, et leur fils Aron Franklin.
(Eilís Quinn/Regard sur l’Arctique)

Les Sigurdsson-Thorsteinsdottir ne sont pas sûrs que leurs trois fils resteront pour toujours à la ferme, mais ils espèrent qu’avec les possibilités créées par le tourisme dans des collectivités comme la leur, les jeunes de l’Islande rurale sauront qu’ils peuvent vraiment envisager de rester y vivre.

« J’entends parfois mes voisins dire à leurs enfants : “Il n’y a rien ici, tu ferais mieux de faire des études supérieures et d’aller faire carrière dans un autre pays” », dit Sigurdsson. « Pour ma part, je dis toujours à mes enfants que c’est un privilège de vivre ici. C’est que les gens viennent de partout dans le monde, de l’Asie, de l’Amérique du Nord, du Moyen-Orient, pour voir le lieu où nous vivons. Et ça m’enchante vraiment. »

La belle-fille de Sigurdsson, Helen Maria Bjornsdottir, qui a 28 ans, dit qu’elle espère pouvoir transmettre le même enthousiasme à ses enfants.

« Nous avons un fils de trois ans, et nous l’initions déjà au métier de guide de montagne sur glaciers », dit-elle. « Nous espérons qu’il finira un jour par diriger l’entreprise familiale. »


Promouvoir le Nord

RAUFARHOFN, Island

Des nains…

La mythologie nordique…

Des dieux vikings anciens…

Ce ne sont pas les premières choses qui viennent à l’esprit de la plupart des gens quand ils évoquent l’Arctique.

Ne riez pas, mais les résidents de ce village islandais isolé, et négligé pendant des années par le Sud, aimeraient que vous sachiez une chose : selon eux, Odin, le dieu de la guerre, pourrait en faire plus pour l’économie de leur village que toute la classe politique de Reykjavik réunie.

« Les harengs sont partis; ils nous ont peut-être même oubliés », dit Jonas Fridrik Gudnason à propos de la situation de Raufarhofn depuis que les stocks de poissons se sont effondrés à la fin des années 1960 en entraînant dans leur sillage l’économie du village.

« Alors bien sûr, notre projet est un peu fou. Mais il faut que ce soit fou. Nous avons besoin de quelque chose de fou pour attirer les gens ici. »

De l’essor à l’effondrement

Raufarhofn est situé à l’extrémité nord de Melrakkasletta, une péninsule qui s’étend jusqu’au cercle polaire, dans le nord-est de l’Islande.

Raufarhofn, Islande. Le développement économique des collectivités éloignées de l’Arctique est-il un gaspillage de l’argent des contribuables ou un investissement important dans l’avenir économique de l’Islande ?
(Eilís Quinn/Regard sur l’Arctique)

Durant les années de prospérité de l’industrie du hareng, dans la première moitié du 20e siècle, Raufarhofn était un port important équipé de 11 postes de traitement et de salage du poisson et comptait jusqu’à 2000 habitants à certaines périodes. Les gens de la région parlent encore avec fierté de ces années-là, décrivant le village comme l’un des ports les plus appréciés du pays.

Puis les stocks de harengs se sont effondrés, et Raufarhofn ne s’est plus relevé.

La collectivité compte aujourd’hui moins de 200 habitants, et Arctic Henge est peut-être le dernier grand espoir pour l’économie de la région… à condition d’arriver à convaincre le Sud d’appuyer projet.

Le petit projet qui voit grand

Arctic Henge, connu sous le nom de Heimskautsgerðið en islandais, est un projet de tourisme conçu par la collectivité, inspiré du folklore islandais, qui met en vedette un paysage féérique et grandiose, absolument idéal pour les amateurs de belles photos, qui rappelle les paysages de Stonehenge, en Angleterre.

« Les collectivités comme Raufarhofn sont en déclin, mais elles méritent de se reconstruire après tout ce qu’elles ont apporté à l’Islande durant les années fastes du hareng », dit Gunnar Johannesson, un des membres du CA d’Arctic Henge, pris en photo (ci-dessus) à Husavik, en Islande. « Voilà pourquoi le pays devrait donner tout son appui à des idées comme celle-ci. »
(Eilís Quinn/Regard sur l’Arctique)

Arctic Henge est inspiré de la Völuspá (La prophétie de la voyante), un vieux poème de la mythologie nordique qui décrit la création du monde avec des personnages mythiques, notamment une voyante, et Odin, le dieu de la guerre, et aussi une multitude de nains dont le rôle est assez compliqué à comprendre. Le site d’Arctic Henge présente une immense structure de pierre volcanique ancienne constituée d’arcades géantes disposées de façon à capter les rayons du soleil à des angles précis, à la manière d’un cadran solaire géant.

Le projet a été conçu par un directeur d’hôtel de la région, Erlingur Thoroddsen. Pour lui, ce grand monument était exactement ce qu’il fallait pour remettre Raufarhorn sur les rails du point de vue économique, mais aussi pour le rappeler à la mémoire nationale. Thoroddsen en a d’abord eu l’idée en 1998 et, jusqu’à sa mort en 2015, il a porté le projet, passant par toutes sortes d’étapes, de redémarrages et d’ajustements, même pendant la crise financière de 2008.

Pour Gunnar Johannesson, membre du conseil d’administration d’Arctic Henge, Thoroddsen était « en avance sur son temps » en voulant promouvoir la culture et l’histoire islandaises en les associant à des possibilités infinies de photos époustouflantes dignes d’Instagram qui ont contribué au boom touristique dans le sud de l’Islande.

« Il avait vraiment de grandes ambitions pour sa collectivité et y voyait beaucoup de potentiel, alors que personne n’y croyait », a dit Johannesson. « Nous avons beaucoup perdu depuis qu’il est mort. »

« En Islande, tout est très compliqué, très long et très cher, et tout nécessite une paperasse vraiment, vraiment, vraiment, vraiment interminable », dit Jonas Fridrik Gudnason, pris en photo ci-dessus.
(Eilís Quinn/Regard sur l’Arctique)

Cependant, à cause de l’éloignement de la région et du manque d’infrastructures pour le transport et le tourisme, Arctic Henge lutte pour obtenir un financement constant de la part du gouvernement et des organismes de financement du Sud.

Johannesson est visiblement déçu de cette situation. Il dit qu’il soutient le projet même s’il habite ailleurs, parce qu’il est certain qu’Arctic Henge aura des retombées sur toute la région.

« Le Sud a tendance à considérer que tout projet dans le Nord, et pas seulement le nôtre, n’en vaut pas la peine, qu’il ne sert qu’à peu de gens », dit Johannesson qui vit à Husavik, une ville d’environ 2000 habitants, à 140 km au sud-ouest de Raufarhofn, où il dirige l’agence Travel North.

« Mais nous devons faire changer ces perceptions. Des communautés comme Raufarhofn sont peut-être en déclin, mais elles méritent d’être redéveloppées après tout ce qu’elles ont apporté à l’Islande pendant les années fastes du hareng. C’est pourquoi le pays devrait soutenir ce projet et tous les autres du genre. »

Un graphique empilé montrant la chute libre cumulative de la population dans les petits villages de pêche, dont Raufarhofn, depuis la fin des années 1980.
(Gracieuseté de Thoroddur Bjarnason / University of Akureyri)

Bien qu’Arctic Henge soit ouvert au public – même les jours les plus froids et les plus gris, on y aperçoit toujours un ou deux photographes sur place à la recherche de l’image parfaite – le projet est techniquement inachevé.

Environ 40 millions de couronnes islandaises (ISK), soit l’équivalent de 520 000 $CA, ont été investies cette année afin que le stationnement, un sentier et un pont soient achevés pour cet été. Mais il faut encore 110 millions d’ISK (1,4 million de dollars canadiens) pour terminer les monuments et l’aménagement paysager, acheminer l’électricité et l’eau courante jusqu’au site et mettre la dernière main à diverses choses telles que les sculptures représentant les nains, qui sont d’une importance majeure pour le site.

Cette incertitude crée des frustrations chez les membres du conseil d’administration, dont certains donnent bénévolement depuis 15 ans leur temps, leur énergie et leur argent, pour payer certaines dépenses reliées au projet, notamment les voyages et les déplacements.

« En Islande, tout est très compliqué, très long et très cher, et tout nécessite une paperasse vraiment, vraiment, vraiment, vraiment interminable », dit Gudnason. « Malgré cela, on s’entête à garder ce système, comme une mauvaise habitude dont on ne peut pas se débarrasser. »

Le Nord et « tout-ce-qui-n’est-pas-Reykjavik » provoquent des divisions

Mais Raufarhofn n’est pas la seule collectivité à devoir affronter les défis que pose le développement d’un projet touristique comme Arctic Henge. De nombreuses petites collectivités de tous les pays bordant l’Arctique sont confrontées aux mêmes défis.

Des touristes essayant d’intégrer un arc-en-ciel à leur égoportrait aux chutes de Gullfoss, dans le sud de l’Islande.
Que faudra-t-il pour que le Nord puisse profiter du boom touristique du Sud ?
(Eilís Quinn/Regard sur l’Arctique)

Comment faire pour exploiter cette nature spectaculaire quand les seules routes pour s’y rendre sont rudimentaires, saisonnières ou même parfois inexistantes ?

Comment faire pour encourager les gens à visiter votre région quand il n’y a pas d’hôtels, de restaurants ou d’autres infrastructures touristiques pour les accueillir ?

Et, plus important encore, comment faire pour amener les gens dans le Nord, alors que cela coûte souvent moins cher de prendre l’avion pour Londres ou Paris que pour l’Arctique, même si c’est dans leur propre pays ?

Promouvoir le Nord

Et ce n’est pas parce que le Nord de l’Islande est dépourvu de sites.

Les statistiques de Visit North Iceland, la branche marketing de cette région, montrent que la moitié des personnes qui visitent l’Islande pendant l’été viennent dans le Nord pour voir Akureyri, la plus grande ville du Nord islandais, et le lac Myvatn, l’une des principales attractions de l’Islande.

Des visiteurs dans une source d’eau chaude à Myvatn en 2017.
La région est l’un des sites les plus visités d’Islande.
(Loic Venance / AFP / Getty Images)

Mais en hiver, ce chiffre tombe à environ 11 %.

Et en 2017, seulement 35 000 des 2 millions de visiteurs islandais se sont rendus dans la péninsule de Melrakkasletta, où se trouvent des villages comme Raufarhofn.

« À en croire les médias, l’Islande est toujours pleine de monde et affiche complet en permanence », dit Arnheidur Johannsdottir, directeur général de Visit North Iceland. « Mais cela ne concerne qu’environ 5 % des destinations. Le reste du pays serait heureux d’accueillir bien plus de gens. »

« Les touristes veulent aller uniquement à Reykjavik parce qu’ils pensent qu’il n’y a rien d’intéressant à voir dans le Nord, mais c’est tellement, tellement faux. Nous avons des paysages magnifiques, tout comme dans le Sud, mais nous avons aussi ce que j’appellerais “le mode de vie arctique”, qui consiste à être proche de la nature et de la collectivité. »

Pour promouvoir la région, Visit North Iceland lancera en 2019 un chantier majeur appelé Arctic Coast Way. Une route de 800 km qui traversera le nord de l’Islande, décrite comme une route qui sort des sentiers battus, fera passer les visiteurs dans 21 des villages les plus reculés du pays.

Maintenant, il ne reste plus qu’à rendre les choses plus faciles, et plus abordables, pour que les gens choisissent le Nord plutôt qu’une autre destination.

L’Islande, est-ce un pays ? Ou juste une ville appelée Reykjavik ?

L’un des principaux défis de cette région, auquel sont également confrontés de nombreux endroits dans le monde circumpolaire, que ce soit au Canada, en Alaska ou en Europe, consiste à convaincre les capitales situées loin dans le Sud de l’importance d’investir dans le Nord.

« Nous devons faire pression sur les politiciens pour avoir de meilleures routes, de meilleurs transports et des vols abordables, et nous assurer de faire comprendre aux gens que ces choses sont importantes non seulement pour les collectivités du Nord, mais pour tout le monde », dit Arnheidur Johannsdottir.
(Eilís Quinn/Regard sur l’Arctique)

« Nous essayons encore de les convaincre », dit Arnheidur Johannsdottir. « Nous avons tant à offrir, mais si les gens n’ont même pas les moyens d’arriver ici, c’est un gros obstacle. Nous devons faire pression sur les politiciens pour avoir de meilleures routes, de meilleurs transports et des vols abordables, et nous assurer de faire comprendre aux gens que ces choses sont importantes non seulement pour les collectivités du Nord, mais pour tout le monde. »

« Cela fait partie d’un débat national plus élargi que nous devrons avoir à un moment donné : voulons-nous que l’Islande soit un pays en tant que tel ou qu’il se limite uniquement à une ville appelée Reykjavik ? Parce que si nous n’investissons pas dans nos petites collectivités, c’est exactement ce que ça deviendra. »

Et pourtant, il y a un précédent en Islande qui a démontré qu’une nouvelle infrastructure pouvait entraîner des transformations majeures dans le Nord.

Le village de Siglufjordur, situé sur la côte nord de l’Islande, a également été décimé économiquement par la fin de l’industrie du hareng et par l’absence d’une route praticable par tous les temps. Mais tout a changé quand le tunnel de Hedinsfjardargong, un projet de 12 milliards ISK (155 millions de dollars canadiens), a été inauguré en 2010 et a enfin relié le village aux principaux réseaux de transport de l’Islande.

Après soixante ans de déclin constant, les populations de Siglufjordur et du village voisin d’Olafsfjordur se sont stabilisées presque immédiatement après l’ouverture du tunnel de Hedinsfjardargong en 2010.
(Avec l’aimable autorisation de Thoroddur Bjarnason / Université d’Akureyri)

Le projet de tunnel a également incité l’homme d’affaires de la région Robert Gudfinnsson, président du conseil d’administration de la société de biotechnologie Genis, à investir 4 milliards d’ISK (52 millions de dollars canadiens), provenant principalement de sa fortune personnelle, dans le développement de Siglufjordur, pour transformer le village mourant en une communauté prospère avec une industrie touristique florissante et une économie diversifiée; tout cela parce que les gens pouvaient enfin y accéder.

Mettre le Nord dans la liste des destinations touristiques

Gudrun Thora Gunnarsdottir, directrice du Centre islandais de recherche sur le tourisme, qui réside à Akureyri, affirme que le Nord doit être intégré dans une stratégie globale pour l’industrie touristique. Selon elle, cela aiderait à mieux répartir les voyageurs dans tout le pays et à réduire les goulots d’étranglement que sont certaines destinations touristiques du Sud.

« L’Arctique suscite un énorme intérêt dans le monde entier et l’Islande y est associée », déclare la chercheuse Gudrun Thora Gunnarsdottir, prise en photo, ci-dessus, au campus de l’Université d’Akureyri dans le nord de l’Islande.
« Mais si nous voulons que les collectivités nordiques prospèrent, nous devons commencer à mieux inclure le tourisme dans le développement rural. »
(Eilís Quinn/Regard sur l’Arctique)

« Le tourisme est un phénomène très complexe qui soulève des problèmes liés à l’environnement, à la culture, à l’éducation et à l’infrastructure. Il touche toutes les facettes de la société islandaise et doit être intégré dans une démarche globale », dit Gunnarsdottir. « Mais les structures politiques et décisionnelles islandaises sont faites pour gouverner une société vivant de la pêche et de l’agriculture qui n’existe plus; elles ne sont pas faites pour gérer un tourisme de masse qui amène 2 millions de personnes par an dans un pays de 330 000 habitants. »

« Nous voyons des changements s’opérer graduellement, mais investir dans une route dans le Nord donne encore lieu à des remarques dépassées telles que “construire une route pour un petit village où personne ne va”, plutôt que “investir dans une route qui aidera à développer le tourisme et à diversifier l’économie dans nos communautés du Nord” ».

Quant aux gens de Raufarhofn, ils espèrent que, quelle que soit la stratégie intégrée adoptée pour le tourisme, elle prendra en compte leur village et aussi d’autres villages comme lui. Mais tant qu’à y être, puisque les politiciens y travaillent, est-ce que quelqu’un, quelque part, peut les aider à terminer Arctic Henge une fois pour toutes ?

« Je pensais que nous en aurions fini depuis longtemps, mais je suis un vieux retraité grincheux », dit Jonas Fridrik Gudnason, de Raufarhofn. « Je sais que nous sommes considérés comme une bande de farfelus ici dans le Nord, mais il n’est pas question de tout arrêter. Nous devons finir ce qu’Erlingur a commencé. »

Jonas Fridrik Gudnason à Arctic Henge, essuyant la plaque commémorative d’Erlingur Thoroddsen mouillée par la pluie.
(Eilís Quinn/Regard sur l’Arctique)

À propos

Eilís Quinn est journaliste et responsable du site Regard sur l’Arctique/Eye on the Arctic, une coproduction circumpolaire de Radio Canada International. En plus de nouvelles quotidiennes, Eilís produit des documentaires et des séries multimédias. Elle s’intéresse notamment aux problèmes auxquels font face les peuples autochtones dans l’Arctique. Son documentaire Bridging the Divide a été finaliste aux Webby Awards 2012.

Son travail en tant que journaliste au Canada et aux États-Unis, et comme animatrice pour la série de Worldwide Discovery/BBC intitulée Best in China, l’a menée dans certaines des régions les plus froides du monde, telles que les montagnes tibétaines, le Groenland et l’Alaska; et les régions arctiques du Canada, de la Russie, de la Norvège et de l’Islande.

Twitter : @Arctic_EQ
Courriel : Eilís Quinn