Arctique – Au-delà de la tragédie

Une communauté en deuil, un père se bat pour changer les choses

Bernie Adams ne pouvait pas imaginer que la douleur intense qui l’a terrassé quand Robert, son fils de 19 ans, a été poignardé à mort dans le village inuit de Kangiqsujuaq, au Québec, en mars 2018, pouvait encore s’exacerber.

Jusqu’à ce qu’il se rende compte des difficultés insurmontables qu’est obligé d’affronter un père inuit dont le fils a été assassiné au Québec, ainsi que sa famille.

La commission Viens sur les relations entre les Autochtones et certains services publics a clôturé ses audiences en décembre 2018 et devra remettre son rapport en septembre de l’année suivante.

Mais pour Bernie Adams, tous ces rapports et ces commissions concernant les peuples autochtones commandés par le Québec et le Canada ces 20 dernières années, même s’ils étaient très médiatisés dans le sud, n’ont changé en rien la vie quotidienne des communautés inuites comme la sienne.

Aujourd’hui, ce père inconsolable réclame des solutions.

Bernie Adams à Kangiqsujuaq, au Canada.
(Eilís Quinn/Regard sur l’Arctique)

Pendant huit mois, Regard sur l’Arctique a suivi la famille Adams pendant qu’elle se débattait dans les méandres des services de santé mentale, du bureau du coroner et du système judiciaire après le décès de Robert.

Le reportage a été effectué à Kangiqsujuaq, à Montréal et dans le village de Kuujjuaq, la capitale administrative du Nunavik, la région inuite de l’Arctique québécois.

Nous vous présentons notre dossier spécial.

 

Journaliste : Eilís Quinn
Édimestre : Gabriel Séguin
Monteur vidéo : Daniel Audet
Monteur sonore : Marc Gilbert

Traduit de l’anglais par Danielle Jazzar


L’homicide

KANGIQSUJUAQ, Québec – Le lundi 19 mars dernier, Bernie Adams, père de huit enfants, visionnait un DVD des Sopranos dans son salon. Son fils de 19 ans, Robert, était dans la salle de bains, à l’autre bout du couloir. Il enduisait ses cheveux de gel et tentait d’arranger ses cheveux avant d’aller à une soirée avec ses amis et son frère Mark.

« Il se faisait beau et s’aspergeait d’eau de Cologne », dit Adams qui riait en se remémorant ce moment.

Cette nuit-là, Bernie Adams ne ressentait que de la fierté en voyant son fils revivre normalement : il marchait, il était heureux et, surtout, il était en bonne santé.

En avril 2017, Robert a été renversé par un camion sur la route de l’aéroport à l’extérieur du village. Il a été évacué en avion sanitaire vers le sud, à l’Hôpital général de Montréal, où il a été plongé pendant 16 jours dans un coma artificiel. Ses blessures étaient graves : une forte commotion cérébrale, une hémorragie cérébrale, des côtes cassées, un poumon perforé, le coccyx fêlé. Bernie et son épouse Mary s’inquiétaient de l’étendue de ses blessures à la tête et de l’impact qu’elles pourraient avoir sur l’avenir de leur fils.

Après six mois de rééducation, Robert est rentré chez lui. Ceux qui le connaissaient disaient que l’accident semblait avoir réveillé cet adolescent rebelle qui avait déjà raté deux années d’études et qui semblait plus intéressé à faire la fête qu’à bâtir son avenir.

Selon les parents de Robert, leur fils a travaillé dur pour surmonter le traumatisme de son accident et il était reconnaissant envers le personnel hospitalier qui l’a mené à la guérison.
Dans ce message Facebook, Robert remercie le personnel de l’hôpital de s’occuper de lui au quotidien.
(Page Facebook de Robert Adams)

De retour chez lui, Robert a dû apprendre à vivre avec ses lésions cérébrales. Il avait de la difficulté à se concentrer. Sa mémoire à court terme lui faisait parfois défaut. Mais, malgré tout, il est retourné à l’école pour tenter d’obtenir son diplôme. Et surtout, il a repris le basket-ball, son passe-temps favori, pour suivre l’exemple de son idole LeBron James à tous points de vue.

Aux yeux de Bernie Adams, Robert était un battant. Il lui était difficile d’imaginer qu’après avoir surmonté toutes ces terribles blessures, son fils, un passionné d’haltérophilie qui mesurait six pieds, pouvait être vulnérable à quoi que ce soit par la suite.

Robert est sorti de la salle de bains les cheveux bien coiffés, puis est allé vers son père.

Adams se souvient de lui avoir dit : « Sois prudent ».

« Je ferai attention », a dit Robert en se penchant pour embrasser son père sur le front avant de sortir.

« Je t’aime papa. À plus tard. »

Bernie Adams ne savait pas que c’était la dernière fois qu’il voyait son fils vivant.

La famille Adams en 2017.
(De gauche à droite) Au fond : Robert Adams, son frère Nigel et une amie de la famille.
Au milieu : Suzanne et Fiona, soeurs de Robert, sa maman Mary, sa soeur Jennifer, son père Bernie Adams, sa soeur Zoe et son frère Mark.
À l’avant : David, fils de Zoe et la plus jeune soeur de Robert, Elisapie.
(Courtoisie de Bernie Adams)

Bernie Adams se rappelle que le téléphone a sonné ce soir-là vers 23 heures. C’était sa fille aînée, Zoe.

Elle lui a dit que Robert était au centre de soins infirmiers. Et que c’était grave.

Les circonstances de la mort de Robert sont bien connues dans la collectivité, mais la Sûreté du Québec, qui est la force policière de la province du Québec, a déclaré qu’elle ne pouvait confirmer aucun détail avant que la preuve ne soit présentée au tribunal.

Zoe, première intervenante et pompier volontaire, vivait près du lieu où l’événement s’est produit. Elle a couru pour soigner les blessures de son jeune frère. Elle avoue que cet épisode est encore trop douloureux pour en parler publiquement.

Lorsque Bernie et Mary sont arrivés au centre de soins infirmiers, ils se rappellent qu’ils ont été entourés par des membres de l’équipe de premiers intervenants de la communauté. Puis une infirmière est sortie. Elle leur a dit qu’elle était désolée, qu’ils avaient fait tout ce qu’ils pouvaient, mais que Robert n’a pas survécu.

Bernie et Mary ont demandé à voir leur fils. Ils se rappellent avoir voulu l’embrasser sur le front et lui tenir la main une dernière fois, mais on ne le leur a pas permis. Le corps de Robert était maintenant considéré comme un élément de preuve et devait être envoyé à Montréal pour une autopsie, leur a-t-on dit.

La seule personne qui avait le droit de le toucher était le coroner.

Mark Adams, frère de Robert, à Kangiqsujuaq, au Canada.
(Eilís Quinn/Regard sur l’Arctique)

C’est par bribes que les moments qui ont immédiatement suivi la mort de son fils reviennent à la mémoire de Bernie Adams : la compassion et le respect de la police provinciale du Québec venue du sud du Québec pour enquêter sur l’affaire, la gentillesse des voisins qui ont apporté de la nourriture et le soulagement d’avoir sur place des intervenants sociaux pouvant communiquer avec sa famille en inuktitut, qui ont été dépêchés en avion par la Direction des valeurs et pratiques inuites de la Régie régionale de la santé et des services sociaux du Nunavik (RRSSSN) à Kuujjuaq.

Il y a eu aussi de grands moments d’émotion lors du service commémoratif qui s’est tenu à l’école, notamment quand les élèves ont signé un ballon de basket à la mémoire de Robert et l’ont remis à la famille.

Mais la police provinciale est finalement repartie dans le sud, les intervenants des services sociaux sont retournés à Kuujjuaq, et les voisins ont arrêté de venir les voir.

Bernie Adams a repris son travail de gérant des installations au gymnase de Qaqqiq pour tenter de penser à autre chose qu’à la mort de son fils.

À un moment donné, j’avais l’impression que tout le village était en deuil, dit-il : il y avait la famille et les amis de Robert, la famille et les amis de Mattiusie Qamugaaluk, l’homme de 32 ans accusé du meurtre au premier degré de Robert; et d’autres aussi qui avaient vécu une autre tragédie : la famille et les amis d’un homme dans la trentaine qui s’était suicidé le week-end d’avant, mais dont le corps n’a été retrouvé que le 20 mars, le lendemain de la mort de Robert. Et en plus de tout ça, il y a eu une tentative de meurtre le 22 mars, suivie d’une arrestation.

Dans une si petite communauté de 750 habitants, on avait l’impression que toutes ces tragédies qui arrivaient en même temps les submergeaient tous, dit Adams.

Plus le temps passait, plus ça devenait difficile, dit-il. Ses émotions sont passées du choc à la tristesse, puis à la colère, et il ne savait pas si c’était une façon normale de faire son deuil. Il s’inquiétait pour sa famille. Mary était mal en point. Ses fils n’arrêtaient pas de pleurer. Ses filles aînées semblaient apathiques. Et Elisapie, sa cadette de huit ans, n’arrêtait pas de demander où était Robert et quand est-ce qu’il allait revenir.

« La douleur est insoutenable », dit Nigel Adams, 26 ans, en parlant du deuil qui a suivi la mort de son frère.
« Parfois, la colère est tellement forte qu’elle me réveille en pleine nuit; alors je sors soulever des poids.
J’essaie d’évacuer la tristesse et la douleur de cette façon au lieu de boire ou de fumer. »
(Eilís Quinn/Regard sur l’Arctique)

En mai, Bernie Adams s’est rendu au centre local de soins infirmiers pour prendre un rendez-vous avec un psychiatre pour toute la famille. On lui a répondu qu’aucun psychiatre ne passera dans le village avant la mi-juillet, donc deux mois plus tard.

Regard sur l’Arctique envoie depuis septembre à la RRSSSN des demandes de vérification des faits. La RRSSSN a répondu qu’elle a tenté d’obtenir les horaires de rendez-vous du psychiatre pour l’année 2018 à Kangiqsujuaq. Mais au moment de la publication de ce reportage, elle n’avait toujours rien reçu.

Bernie Adams s’est donc tourné vers Internet, à la recherche de groupes de soutien pour les familles d’enfants assassinés. Il n’a rien trouvé au Nunavik; puis dans d’autres régions inuites du Canada, comme le territoire du Nunavut. Même un seul groupe Facebook pour les pères inuits endeuillés aurait pu l’aider.

Mais il n’a rien trouvé non plus.

En désespoir de cause, il a demandé de l’aide et des ressources à l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées (ENFFADA). Mais en raison de son mandat, l’ENFFADA ne pouvait offrir qu’un soutien limité, a-t-il dit, en montrant un des nombreux courriels qu’il avait envoyés ces derniers mois aux organismes autochtones, aux personnalités politiques fédérales et provinciales, aux dirigeants inuits pour solliciter leur aide.

Adams dit qu’à ce moment-là, il avait l’impression d’avoir épuisé toutes les ressources possibles.

Au début il était très abattu, dit-il. Mais ensuite, la colère est montée en lui.

« Mon fils a été assassiné. Mes amis du village se pendent à droite et à gauche. Les amis de mes enfants se pendent à droite et à gauche. Et pendant ce temps, les politiciens se disputent pour des futilités », dit Adams.

« Nous appelons à l’aide, mais personne ne veut nous aider. Personne, même pas les politiciens inuits. Ils nous laissent, les victimes comme les survivants, apprendre à affronter la souffrance et la douleur, entre nous, par nous-mêmes. Tels des aveugles guidant des aveugles et des sourds guidant des sourds. Nous essayons de nous guérir les uns les autres, mais nous n’y arrivons pas parce que nous souffrons tous, et personne ne veut nous aider. »


Mary Pilurtuut, présidente du Comité de bien-être de Kangiqsujuaq et ancienne mairesse de la communauté.
(Eilís Quinn/Regard sur l’Arctique)

La collectivité

Kangiqsujuaq est un village de 750 habitants dans l’Arctique québécois, qui se situe à environ 350 km au-delà de la limite forestière. Il n’est accessible que par avion.

Kangiqsujuaq se niche au beau milieu d’un paysage magnifique au bord du détroit d’Hudson, à proximité du parc provincial Pingualuit. Cette zone protégée d’observation de la nature et de la faune arctiques, qui recèle un cratère météorique géant rempli d’eau d’un bleu profond, s’ouvre petit à petit au tourisme.

Cette région a été peuplée pendant des générations par des Inuits semi-nomades. Ils déplaçaient leurs campements en fonction de la formation de la glace et de la débâcle de la banquise, et au gré des migrations des oiseaux et des animaux terrestres et marins, dont ils avaient besoin pour se nourrir. Mais le gouvernement canadien les a forcés à s’établir dans ce qui est maintenant Kangiqsujuaq à partir du milieu des années 1900.

La plupart des emplois de 9 à 5 occupés par les Inuits dans la collectivité sont principalement gouvernementaux, notamment dans les municipalités ou dans des organismes qui administrent le Nunavik. Certaines personnes travaillent en rotation à la mine Raglan, à environ 100 km à l’ouest du village, où elles se rendent en avion.

Mais pour de nombreuses familles, la vie communautaire et sociale s’articule toujours autour de la chasse de subsistance. Par exemple, lorsque les habitants de Quaqtaq, à 138 km vers le sud-est, ont signalé au printemps qu’un groupe de bélugas était passé devant leur village et qu’il se dirigeait vers Kangiqsujuaq, la page Facebook de la communauté s’est activée et les chasseurs locaux des alentours se sont mis à préparer leurs bateaux.

Kangiqsujuaq, au Québec.
(Eilís Quinn/Regard sur l’Arctique)

Vu de l’extérieur, Kangiqsujuaq a tout pour plaire. Pourtant, il est aux prises avec les mêmes problèmes sociaux que les 14 collectivités du Nunavik : un taux de suicide dix fois plus élevé que dans le reste du Canada, une épidémie d’alcoolisme et de toxicomanie, des crimes contre la propriété et des actes de violence qui sont parmi les plus élevés au Canada, des possibilités d’éducation limitées et un taux de chômage de 23,7 %, selon le dernier recensement national, comparativement à 7 % en moyenne au Québec et dans le reste du Canada.

Les problèmes sociaux du Nunavik sont liés à l’histoire coloniale du Canada dans l’Arctique : la sédentarisation forcée des Inuits par le gouvernement fédéral, les pensionnats indiens mis sur pied pour assimiler de force les peuples autochtones à la culture dominante du Canada et l’abattage de chiens de traîneau par la Gendarmerie royale du Canada dans les années 1950 et 1960 qui a confiné les chasseurs à un seul endroit, ce qui a bouleversé le mode de vie traditionnel de nombreuses familles inuites.

Toutefois, bien que ces causes profondes soient reconnues et bien documentées, le Nunavik n’a toujours pas les ressources nécessaires pour répondre pleinement aux problèmes auxquels fait face sa population d’environ 13 000 habitants. Dans les petites collectivités comme Kangiqsujuaq, les soins de santé sont prodigués par des centres de soins infirmiers. Le personnel est composé, pour la grande majorité, de travailleurs de la santé en provenance du sud, et le taux de roulement du personnel est élevé. Certaines communautés ne disposent ni de médecins ni de psychiatres à temps plein.

Au Nunavik, les taux de criminalité et de violence sont élevés, mais la région n’a qu’un tribunal itinérant qui vient par avion du sud du Québec. Et dans ces régions arctiques, les conditions météorologiques peuvent entraîner des retards de plusieurs mois dans les affaires judiciaires, bien au-delà de ce qui serait considéré comme acceptable dans le sud du Canada. De plus, bon nombre d’outils juridiques utilisés dans le sud, comme les ordonnances de protection dans les cas de violence familiale, sont inutiles dans les collectivités isolées, uniquement accessibles par avion, qui ne comptent que quelques centaines d’habitants.

Vue de la baie Wakeham à partir de Kangiqsujuaq.
Le village est situé dans le Nunavik, qui est l’une des quatre régions inuites du Canada;
les trois autres étant : la région désignée des Inuvialuit, dans l’ouest de l’Arctique canadien, le territoire du Nunavut, dans l’est de l’Arctique, et le Nunatsiavut, dans la province atlantique de Terre-Neuve et Labrador.
Au Canada, ils sont regroupés sous le nom « Inuit Nunangat ».
(Eilís Quinn/Regard sur l’Arctique)

Bernie Adams a grandi dans la région inuite de la province de Terre-Neuve-et-Labrador, au Canada atlantique. Mais, de par sa mère, il est bénéficiaire de l’Accord sur les revendications territoriales des Inuits du Nunavik. Selon lui, le manque de ressources persistant dans les régions inuites du Canada a transmis le traumatisme d’une génération à une autre, et a ainsi mené à la propagation de la violence, qui est, d’après lui, une des causes de la mort de son fils.

Bernie Adams raconte qu’il a été battu et a été victime de violence psychologique durant toute son enfance. Selon lui, les agissements de ses parents étaient la conséquence des traitements qu’ils ont eux-mêmes subis dans le pensionnat où ils avaient été envoyés. Hors du foyer familial, il a plusieurs fois été violé par d’autres garçons et hommes de sa communauté, qui s’appelait à l’époque Goose Bay. Il soutient que ces actes étaient tellement répandus qu’il ne lui est jamais venu à l’esprit de les raconter à un adulte.

Anna-Marie Cartwright, une des sœurs de Bernie, qui a un Certificat en pratique du travail social auprès des populations autochtones de l’Université McGill à Montréal, a quant à elle été victime d’inceste. Selon elle, les tabous entourant la violence sexuelle dans les communautés inuites ont peu évolué depuis leur enfance.

« Je suis une fière Inuite », dit Mme Cartwright. « Mais je pense que nous ne dénonçons pas cela parce que nous avons plus peur de ce que les Blancs penseront de nous que peur de parler franchement des énormes problèmes sociaux dans nos communautés. Nous gardons le silence, mais à quel prix? »

À 11 ans, Bernie Adams s’est tourné vers la drogue et l’alcool pour tenter de s’en sortir. Cela a estompé la douleur pendant un certain temps, dit-il, mais cela a aussi libéré la rage et la colère qui découlaient de ces viols. Il est donc devenu de plus en plus violent.

En 1980, à 17 ans, il s’est enrôlé dans l’armée dans un ultime effort pour contenir son agressivité, mais il en a été exclu pour cause d’indignité en 1981 après une nuit où, ayant beaucoup trop bu, il a tabassé un autre soldat.

Bernie Adams soulignant la fin de sa formation à la base des Forces canadiennes Cornwallis, en Nouvelle-Écosse :
« J’ai rêvé d’une grande carrière militaire, dit Adams.
Mais je l’ai ratée à cause de ma dépendance. »
(Courtoisie de Bernie Adams)

En 1985, il a perdu le contrôle de sa vie. Il avait déjà fait de multiples séjours en prison, à Terre-Neuve-et-Labrador et dans la province de l’Ontario, pour toutes sortes de délits allant de la conduite en état d’ébriété aux voies de fait. En 1985, il s’est retrouvé en cour, cette fois à Cornwall, en Ontario, après s’être soûlé et avoir violemment battu un homme, qui a fini à l’hôpital. Le juge lui a alors donné le choix entre la désintoxication ou la prison. Il a choisi de suivre une cure de désintoxication pour alcooliques et toxicomanes au centre Our House.

« Au début, tout ce que je voulais, c’est ne pas retourner en prison », raconte Adams. « Mais je me rappelle que j’étais assis dans ce cercle où il y avait des Anglais, des Canadiens français, des gens de races diverses, des hommes, des femmes. Quel que soit ce qui s’est passé dans nos vies, nous cherchions tous à soulager notre douleur par la dépendance; je ne me sentais donc plus comme un Esquimau pitoyable. »

Il a donc suivi une thérapie et s’est joint aux Alcooliques Anonymes. Des années plus tard, alors qu’il rendait visite à sa famille dans la communauté de Salluit, au Nunavik, il a rencontré Mary Anogak et, ensemble, ils ont fondé une famille. Cette reconstruction a été difficile, mais depuis le 1er juillet 1985, il souligne toujours ses anniversaires de sobriété.

« J’ai vécu le même enfer que la plupart des Inuits du Canada, mais j’ai reçu de l’aide, même si c’est le juge qui m’y a forcé », dit Bernie Adams. « Mais quand ma situation a vraiment mal tourné, j’étais dans le sud, où j’ai pu être immédiatement intégré dans un programme. J’ai eu des conseillers psychologiques, j’ai eu les Alcooliques Anonymes. Mais si je m’étais trouvé dans cette situation ici, qu’est-ce que j’aurais pu faire ? »

Le Centre de réadaptation Isuarsivik à Kuujjuaq offre des services spécialisés en toxicomanie au Nunavik, mais la demande dépasse de loin sa capacité. La construction d’un plus grand centre devrait démarrer en 2019, mais Bernie Adams soutient que ce n’est pas suffisant et qu’il faut plus de ressources dans les petites collectivités du Nunavik pour faire le suivi après la fin des traitements.

« Même après toutes ces années. Même avec tous nos problèmes sociaux. Expliquez-moi comment ça peut encore exister. »

« Ça ne peut pas continuer comme ça »

Depuis la mort de son fils, Bernie Adams s’est lancé dans une campagne épistolaire à l’attention des politiciens locaux, provinciaux et fédéraux, ainsi que des organismes et des dirigeants inuits, pour réclamer des solutions pour contrer la criminalité et la violence qui sévissent au Nunavik.
(Jean-François Villeneuve/Radio-Canada)

Moins de deux mois après la mort de Robert, le suicide de l’homme de 30 ans et la tentative de meurtre du 22 mars, Kangiqsujuaq a été frappée par une autre vague de tragédies : le 8 juin, une jeune femme s’est suicidée ; puis le 10 juin, un accident de VTT dû à l’alcool a tué une personne et en a blessé gravement une autre ; et le 11 juin, un ancien que tout le monde aimait est décédé ; et sur Facebook, des tas de messages étaient envoyés pour annoncer des suicides, l’un après l’autre, dans d’autres communautés du Nunavik, avant que cette vague de suicide ne fasse les manchettes dans le reste du Canada, en octobre.

« On se sent complètement déboussolé. Le meurtre de mon petit frère, tout ce qu’a dû subir notre collectivité », avoue Nigel Adams, le frère aîné de Robert, qui est un agent de la sécurité publique à Kangiqsujuaq. « On vit avec ces traumatismes tous les jours. Si cela se produisait ailleurs au Canada, je vous garantis que les politiciens auraient déjà trouvé un moyen d’y remédier. Le Québec et le Canada laissent tomber les Inuits, et c’est pourquoi j’en parle, même si c’est douloureux. »

Bernie Adams dit que la mort de son fils l’a rendu plus combatif pour s’attaquer aux problèmes sociaux de sa communauté, même s’il sait que cela dérange pas mal de gens.

Il n’y a probablement pas un politicien, pas une organisation inuite, ni un journaliste au Nunavik qui n’ait reçu de courriels de Bernie Adams critiquant leur complaisance, leur inaction ou leur mauvaise couverture des questions criminelles et sociales du Nunavik.

« Nous, les Inuits, ne sommes pas censés raconter ce que vivent nos collectivités », dit Adams. « Si nous le faisons, nous serons ostracisés. C’est la personne qui parle qui devient la source du problème, au lieu que ce soit le trafic d’alcool, la drogue et la violence, ou le manque criant de services au Nunavik pour s’attaquer à ces problèmes. »

« Nous avons tous peur que si nous dénonçons le gouvernement provincial ou le fédéral, les gens du sud diront que tout ce que nous voulons c’est de l’argent, et que nous devrions enfin passer à autre chose ; que si nous dénonçons les politiciens ou les organismes inuits, nous, ou les membres de nos familles, pourrions perdre nos emplois, ou nos congénères inuits diront que nous essayons simplement d’être “blancs”. »

« Mais vous savez quoi ? Mon fils a été assassiné. Il n’y a rien ni personne, Inuit ou Blanc, qui puisse me faire plus mal que ça. Donc je vais dire haut et fort ma vérité. Je veux que tout le monde sache ce que doivent subir les Inuits dans ce qu’on appelle le Canada moderne, ce dont les gens du sud ne se doutent même pas. »


La morgue de Kangiqsujuaq, au Canada.
(Eilís Quinn/Regard sur l’Arctique)

Le coroner

ATTENTION : Cette section contient des détails qui pourraient heurter les sensibilités de certains lecteurs

Quelque part en mars, Bernie Adams a reçu un coup de fil du bureau du coroner de Montréal. Il ne se souvient pas de son nom, mais il s’est présenté comme étant un avocat.

Cette personne lui a dit que l’autopsie de son fils était terminée et que le corps de son fils lui serait renvoyé par avion. Le corps de Robert devait être mis nu dans un sac mortuaire du coroner.

(Le Bureau du corner du Québec a dit qu’il ne pourrait pas répondre à la demande de vérification de l’information de Regard sur l’Arctique, qui voulait confirmer la date de l’appel, le titre de la personne qui a appelé Bernie Adams ou la date du retour du corps de Robert à Kangiqsujuaq, en disant qu’il fallait faire une demande d’accès à l’information. Regard sur l’Arctique n’avait pas encore reçu de réponse au moment de publier ce reportage.)

Adams soutient que l’appel ne l’avait pas suffisamment préparé à voir le corps de son fils dans cet état quand il est arrivé au village. Et que la housse mortuaire avait l’air d’un sac poubelle.

***

Le Nunavik n’a ni coroner, ni thanatologues, ni entrepreneurs de pompes funèbres. Les villages doivent se débrouiller pour s’occuper de leurs morts.

À Kangiqsujuaq, l’adjoint au maire et l’un des premiers répondants se sont portés volontaires pour préparer le corps de Robert avant ses funérailles, dit Bernie Adams.

Mais ceux-ci lui ont raconté que les points de suture du coroner étaient mal faits et que le corps n’était pas propre. Ils lui ont dit aussi que le corps était tellement rigide qu’ils n’ont pas pu enfiler ses bras dans le chandail à capuche Eminem – le préféré de Robert – dans lequel sa famille souhaitait qu’il soit enterré.

(L’adjoint au maire de Kangiqsujuaq et le premier répondant en question n’ont pas répondu aux demandes d’entrevue de la journaliste de Regard sur l’Arctique qui était sur place à ce moment-là, ni aux demandes de vérification faites par la suite par téléphone ou par courriel.)

Bernie Adams raconte qu’il a commencé à ouvrir la fermeture à glissière de la housse mortuaire, et dès qu’il a vu les points de suture au menton de Robert, il n’a pas supporté d’en voir plus.

Il l’a refermée aussitôt. Et comme cela provenait du gouvernement du Québec, il croyait que la loi l’obligeait à enterrer son fils dans le sac du coroner.

Ce n’était pas le cas, mais il n’y avait personne pour lui dire le contraire.

« Je me sens comme un mauvais père parce que j’ai laissé mon fils se faire enterrer de comme ça », dit Adams en essuyant ses larmes.

« Les membres de cette collectivité ont fait tout ce qu’ils pouvaient pour mon fils — je n’ai absolument rien contre eux — je leur suis reconnaissant pour tout ce qu’ils ont fait pour Robert. Mais c’est comme ça que ça se passe ici. Nous ne sommes pas des entrepreneurs de pompes funèbres. Nous ne sommes pas des thanatologues professionnels. Mais avec ces taux de suicide et de violence au Nunavik, je me demande pourquoi nous n’en avons pas. »

« Maintenant, je dois vivre pour le restant de mes jours avec cette horrible image de Robert imprimée dans ma tête; ses blessures, ses mains dépassant sous la ceinture de son chandail favori parce que ses bras étaient trop rigides pour entrer dans les manches; et lui, enterré dans une housse mortuaire qui ressemblait à un gros sac poubelle ; et il a dû être enterré comme ça à tout jamais, uniquement parce que je n’y connaissais absolument rien. »

« Je me demande encore nuit et jour comment je vais pouvoir me pardonner d’avoir laissé faire une chose pareille à mon fils. »

Bernie Adams dit qu’il est encore hanté par la vision du corps de son fils quand il est revenu de Montréal.
(Eilís Quinn/Regard sur l’Arctique)

Au Nunavik, l’état des corps qui sont rendus aux familles après le passage chez le coroner soulève beaucoup d’inquiétudes dans la région.

À Inukjuak, une collectivité de 1300 personnes sur la côte de la baie d’Hudson, au Nunavik, le directeur des services municipaux Shaumik Inukpuk et Pauloosie Kasudluak, maire à l’époque, et jusqu’aux élections de novembre 2018, disent que le manque de services funéraires professionnels, et le traumatisme que cela cause aux familles qui ont perdu un être cher, n’est un secret pour personne au Nunavik.

« Les morts de notre communauté nous sont rendus nus dans des sacs en plastique », dit Shaumik Inukpuk. « Nous ouvrons les sacs et voyons les points de suture mal faits après l’autopsie. C’est traumatisant de voir ça de près. »

Selon Pauloosie Kasudluak, ces autopsies pratiquées à 1500 kilomètres de là par une autre culture sont extrêmement pénibles pour les Inuits, mais ils les acceptent et comprennent qu’elles sont nécessaires pour déterminer la cause du décès. Mais ce que les Inuits ont de la difficulté à accepter, dit-il, c’est que ces corps, quand on les leur rend, ont perdu toute dignité, même s’ils savent que le coroner ne l’a probablement pas fait exprès.

« J’imagine que là-bas, dans le sud, c’est différent. Mais dans les communautés du Nunavik, nous respectons encore nos morts, dit-il. Et l’état dans lequel nos corps reviennent de chez le coroner n’est pas culturellement compatible avec la façon dont les Inuits veulent traiter les morts de leur communauté. »

Dans les décennies qui se sont écoulées depuis que le gouvernement fédéral a forcé les Inuits à se sédentariser dans des villages et que des missionnaires ont introduit l’Église dans l’Arctique canadien, les collectivités ont compté sur les femmes auxiliaires de l’Église anglicane pour la toilette mortuaire et la préparation des corps pour les funérailles.

Encore aujourd’hui, ce sont des bénévoles qui s’occupent de l’inhumation des morts au Nunavik : des femmes auxiliaires font la toilette des corps, une entité comme une corporation foncière, par exemple, fait don de bois contreplaqué pour les cercueils, et des bénévoles de la collectivité les fabriquent ou creusent les tombes. Souvent, quand les familles n’ont pas les moyens de payer le transport par avion du corps de leur être cher, ce sont les municipalités qui interviennent pour payer la facture, qui, selon les maires du Nunavik, se situe entre 9 000 $ et 14 000 $.

Toutefois, au fur et à mesure que les collectivités croissent, les budgets municipaux sont de plus en plus serrés, et comme la jeune génération ne se porte pas volontaire pour remplacer les bénévoles qui prennent de l’âge, cette formule mise en place ne peut pas durer indéfiniment, déplore Kasudluak.

« Nous avons besoin d’une nouvelle politique régionale pour encadrer les services funéraires et la manière dont les corps de nos morts reviennent de chez le coroner, dit-il. Je crois que nous devrions nous attaquer maintenant à ce problème avant qu’il s’aggrave ou qu’il devienne impossible à gérer par les collectivités. »

L’adjoint à la directrice générale de la Régie régionale de la santé et des services sociaux du Nunavik (RRSSSN), Fabien Pernet, dit que le conseil est vraiment conscient du problème et qu’il a organisé, en 2017, une rencontre avec le Bureau du coroner pour en discuter.

« Nous avons essayé de les sensibiliser au malaise qu’ils provoquaient dans les communautés, dit Pernet, mais ils ont répondu que les corps étaient considérés comme des marchandises toxiques, et qu’ils ne pouvaient rien faire à cet égard. »

Mais la RRSSSN travaille encore sur la question, dit-il. Et en août, elle a envoyé une lettre à la commission Viens contenant les recommandations du Bureau du coroner.

Dans la déclaration statutaire envoyée à la commission Viens, la RRSSSN a dit constater que la mauvaise communication du Bureau du coroner et l’état des corps ayant subi une autopsie quand ils sont rendus aux familles au Nunavik avaient des conséquences désastreuses.
(Marie-Claude Simard/Radio Canada International)

Bien que les coroners soient tenus de respecter les morts sur lesquels ils pratiquent une autopsie, leur travail consiste à déterminer la cause du décès. Ils ne sont pas formés pour préparer les corps esthétiquement; d’ailleurs ce n’est pas leur mandat. Dans le sud, les familles ont recours aux salons funéraires pour assurer la liaison avec le coroner après l’autopsie et pour nettoyer, embaumer et, si la famille le souhaite, préparer le corps pour l’exposition.

Mais ces services-là n’existent pas dans l’Arctique québécois.

Le Bureau du coroner estime que, chaque année, environ 15 à 20 corps sont envoyés du Nunavik à Montréal pour autopsie.

Le bureau du coroner du Québec a refusé de nous accorder une entrevue pour parler des problèmes des habitants du Nunavik dont traite ce reportage; il nous a toutefois envoyé ses commentaires par écrit.

En ce qui concerne la famille Adams, un porte-parole du Bureau du coroner dit que tous les protocoles officiels ont été suivis « à la lettre ».

« Bien que les coroners soient sensibles à cette situation et demandent aux pathologistes qui effectuent les autopsies de faire le plus attention possible à l’apparence de la dépouille, un corps non embaumé et transporté peut avoir une allure imparfaite à la réception », dit la directrice des communications et des relations avec les médias du Bureau du coroner du Québec, Joannie Lambert-Roy. « L’utilisation du sac de plastique est inévitable par mesure d’hygiène. »

Mais elle ajoute que le Bureau est disposé à examiner la question plus en profondeur.

« Le Bureau du coroner a à cœur les préoccupations des communautés autochtones et s’est engagé tout récemment, lors de la Commission d’enquête sur les relations entre Autochtones et certains services publics, à mettre en place un comité d’examen et de prévention des décès autochtones, dit-elle dans un courriel. Si les communautés ont des inquiétudes par rapport au transport des dépouilles, un tel comité représente assurément une solution prometteuse pour étudier la question et avancer des pistes de solutions. »

« Un comité ? » a dit Adams lorsqu’il a été informé de la réponse du Bureau du coroner. « Je n’ai aucun inconvénient à ce qu’il y ait un comité, mais sera-t-il composé de parents et de membres de la famille en deuil du Nunavik ? Le coroner va-t-il s’asseoir avec nous pour parler de notre chagrin, de nos blessures et de notre douleur ? Vont-ils nous écouter parler des difficultés de vivre avec ces images pour le restant de nos jours ? »


Le gymnase Qaggiq à Kangiqsujuaq, Canada, le jour du procès en juin 2018.
(Eilís Quinn/Regard sur l’Arctique)

Le tribunal

Mi-juin 2018, Bernie Adams est anxieux. Dans une semaine, le tribunal itinérant du Nunavik doit faire son premier arrêt à Kangiqsujuaq depuis le meurtre de Robert.

Il vient d’apprendre que Mattiusie Qamugaaluk, l’homme accusé du meurtre de Robert, doit comparaître.

Quelqu’un lui a dit qu’il pouvait soumettre à la cour une déclaration de la victime. Il ne sait plus qui lui a dit ça. Ça peut être l’un des enquêteurs venus d’Amos. Ou peut-être un auxiliaire de justice qui l’a appelé de Kuujjuaq. Il ne sait pas s’il doit la lire tout haut, la donner à un avocat ou la remettre au juge. Il ne sait pas où il doit aller ni qui il doit appeler pour trouver cette information.

Au Canada, les déclarations de la victime sont soumises à la cour au moment de la détermination de la peine, après un verdict de culpabilité ou d’innocence. La date du procès de Qamugaaluk n’a même pas encore été fixée. (Au moment de publier ces lignes, la date n’était toujours pas annoncée.) Mais Adams dit que personne ne l’en a informé et qu’il veut juste remettre la déclaration à quelqu’un, qui que ce soit, et le plus vite possible.

Il dit que c’est urgent. Depuis le début du mois de juin, il a vu comment l’histoire de Chloé Labrie, une technicienne de laboratoire blanche du sud du Québec âgée de 28 ans retrouvée morte à Kuujjuaq, et l’arrestation du résident de la communauté accusé de son meurtre, a fait les manchettes à l’échelle du pays et a eu droit à une grande couverture médiatique dans la presse régionale. Le meurtre de son fils, en revanche, n’a reçu aucune mention à l’exception d’une brève de 85 mots dans un média régional annonçant l’arrestation de Qamugaaluk.

« Aux yeux de la plupart des gens du sud, des juges francophones et des avocats, pour le système de justice, pour des médias, mon fils n’est qu’encore un autre Esquimau mort, dit Bernie Adams. Mais je suis son père, et je ne les laisserai pas lui faire ça. »

Il a donc rempli la déclaration en inscrivant une liste des activités favorites de Robert, de ses envies et des noms de tous ceux qui l’aimaient.

Il dit qu’il espère en avoir fait assez.

Robert montre son premier tatouage au vieux Forum de Montréal en 2017.
Ses frères et sœurs, Nigel, Suzanne, Fiona, Jennifer, Zoe and Mark, racontent qu’il aimait le rap, mais qu’il adorait aussi les chicaner pour prendre le chargeur du cellulaire.
(Courtoisie de Bernie Adams)

Adams n’est pas le seul, au Nunavik, à ressentir de la confusion devant le fonctionnement du système judiciaire québécois.

Le système de justice dans la région inuite du Québec ne fonctionne pas de la même manière que dans le reste de la province.

Il n’y a pas de juges résidents au Nunavik. Les 14 villages ont plutôt un tribunal itinérant qui y passe en moyenne deux à quatre fois par an, si le temps le permet.

Pour chaque tournée du tribunal itinérant, les juges et la majeure partie des avocats viennent du sud pour entendre les causes.

À Kuujjuaq, sur la côte de la baie d’Ungava, ou à Puvirnituq, dans la partie Nunavik de la baie d’Hudson, les causes sont entendues dans un petit palais de justice. Mais dans les autres collectivités, les audiences ont lieu là où il y a de la place, généralement dans le gymnase ou à l’école du village.

Les annulations pour cause de mauvais temps sont fréquentes. Et comme les juges et les avocats doivent retourner à leur travail dans le sud, les dates de comparution ne peuvent pas être juste reportées d’un jour ou deux en attendant que le temps soit plus clément : quand il faut reporter, c’est généralement de quelques mois.

Dans les 20 dernières années, de nombreux rapports ont souligné le fait que le système de justice n’est pas adapté à la population inuite de la province : depuis le rapport final du Groupe de travail inuit sur la justice Aqqusiurniq Sivunitsasiaguniqsamut publié en 1993, au rapport du Barreau du Québec de 2015 qui expose en détail les faiblesses du système judiciaire au Nunavik, en passant par le Rapport de consultation Parnasimautik de 2014 préparé par les principales organisations inuites du Québec. Mais aussi le rapport spécial du Protecteur du citoyen du Québec en 2016 examinant les conditions de détention, l’administration de la justice et la prévention de la criminalité au Nunavik – rapport qui fustigeait des années d’inaction devant les problèmes vécus par les Inuits du Québec, et qui disait en conclusion : « Cette réalité est pourtant connue de tous les intervenants depuis plusieurs décennies. Il est désolant de conclure, en 2016, que les autorités concernées n’ont toujours pas entrepris de réelles actions concertées pour améliorer la situation. »

En 2018, les avocats montréalais Victor Chauvelot et Louis-Nicholas Coupal ont déposé une action collective réclamant une compensation financière pour les détenus du Nunavik dont les audiences pour la remise en liberté après arrestation ont dépassé le délai maximal de trois jours prévu par la loi au Canada.

La commission Viens du Québec s’est également penchée sur le système de justice. Dans leurs témoignages, les Inuits ont déploré que les autorités communiquent peu avec eux; ils ont également souligné que le fait de mal comprendre certaines procédures, comme les conditions de libération sous caution, peut entraîner des problèmes judiciaires. La langue maternelle de la plupart des Inuits du Nunavik est l’inuktitut, alors que la langue officielle dans la province du Québec est le français, et les procédures judiciaires se déroulent en anglais.

« Ce n’est pas devenu comme ça du jour au lendemain », dit William Tagonna, directeur des communications pour la Société Makivik, l’organisation qui représente les Inuits au Québec. « C’est petit à petit, année après année, que l’inaction des gouvernements, l’un après l’autre, nous a menés là où nous sommes aujourd’hui. »

Charlie Watt, le président de Makivik, dit que l’absence quasi totale d’action malgré ces années de recommandations démontre que les solutions doivent commencer à venir des Inuits du Québec, plutôt que de Québec, la capitale provinciale.

« Il y a une vingtaine d’années, nous avons mis sur pied le Groupe de travail sur la justice inuite et dépensé des millions de dollars pour documenter les injustices engendrées par l’absence d’un système de justice adéquat au Nunavik et recommander des changements, a averti Charlie Watt dans un courriel envoyé à Regard sur l’Arctique. Ce rapport a été présenté au Québec et, depuis, a été relégué aux oubliettes. Récemment, le bureau du procureur de la Couronne a été fermé à Kuujjuaq sans que personne n’ait été consulté. C’est inacceptable. »

***

Le gymnase Qaggiq de Kangiqsujuaq a été aménagé en vue du tribunal itinérant du Nunavik, le 20 juin 2018.
Dans le fond, on aperçoit le panneau où Robert Adams a passé des heures à tirer des paniers.
(Eilís Quinn/Regard sur l’Arctique)

La veille du 20 juin, Bernie Adams se penche au-dessus de la rampe du deuxième étage du gymnase Qaggiq. Il s’occupe de ces installations depuis 10 ans. Aujourd’hui, il regarde le terrain de basket où Robert passait des heures à tenter d’imiter LeBron James, tout près de son bureau. Il se souvient de la fierté qu’il éprouvait lorsque son fils faisait des paniers de trois points ou s’entraînait avec ses amis.

Mais il n’a pas le temps de s’attarder là-dessus maintenant.

Kangiqsujuaq est un petit village sans palais de justice. Donc Adams, en tant que gérant des installations, est chargé de préparer les lieux pour le tribunal qui, il espère, rendra justice à son fils, ici, dans ce même gymnase où il le voyait dans ses jours les plus heureux.

Plus la journée avance, plus Bernie Adams est anxieux : personne, que ce soit de la police ou du bureau du procureur de la Couronne, ne l’a appelé pour lui dire où est allé l’accusé ou pour lui expliquer ce qui se passera au tribunal aujourd’hui.

Au Nunavik, le Centre d’aide aux victimes d’actes criminels Sapummijiit, mis sur pied par l’Administration régionale Kativik (ARK) en 2004, a du personnel inuit pour guider les victimes et les familles des victimes à travers le processus judiciaire. Il peut assurer la liaison entre la police et les avocats.

Un porte-parole de l’ARK a dit que pour des raisons de confidentialité, l’ARK ne pouvait émettre de commentaire au sujet de l’expérience de la famille Adams ou de la fréquence des contacts entre elle et Sapummijiit.

Un porte-parole du bureau du procureur de la Couronne à Québec et un porte-parole de la police provinciale, la Sûreté du Québec (SQ), ont dit que leur porte était toujours ouverte pour répondre aux questions des familles de victimes.

Adams se souvient qu’un enquêteur de la SQ lui a remis sa carte à Kangiqsujuaq, en mars, au cas où il avait des questions, mais Adams dit qu’il ne l’a jamais contacté au cours des mois suivants parce qu’il ne savait pas ce qu’il devait, ou pouvait, lui demander.

« Personne n’explique au père d’un jeune de 19 ans assassiné au Nunavik ce qu’il doit faire, dit-il. Par exemple comment s’occuper du corps à son retour de chez le coroner ; moi, en tant que père, j’ai été laissé à moi-même, dans l’ignorance, donc j’ai fait plein d’erreurs ; j’ai le sentiment d’avoir laissé tomber mon fils, même dans la mort, tout comme je n’ai pas su le protéger ni pu empêcher son assassinat. »

***

À la date prévue, le 20 juin 2018, Bernie Adams se réveille et apprend que le tribunal est annulé en raison de vents violents. Les pilotes ont estimé qu’ils n’arriveraient pas à atterrir, selon un auxiliaire de justice de Kuujjuaq, et qu’ils allaient réessayer dans deux mois.

« Il nous a fallu des semaines, à moi et à ma famille, pour nous préparer émotionnellement pour cette journée », dit Adams en s’essuyant les yeux avec le dos de sa main. « Mais le tribunal a annulé comme ça ; c’est comme s’ils avaient arraché la croûte et ouvert la plaie à nouveau. »

« Les audiences du tribunal peuvent prendre des mois pour se tenir ici. Cela permet aux délinquants de poursuivre leurs activités criminelles. Et pour les victimes et leurs familles ? Nous n’avons personne. »

Bernie Adams rangeant le gymnase Qaggiq de Kangiqsujuaq le 20 juin 2018 après l’annulation du tribunal.
(Eilís Quinn/Regard sur l’Arctique)

Selon Bernie Adams, les avocats et les juges sont de bonnes personnes qui font de leur mieux, mais ils travaillent dans un système surchargé qui, selon lui, ne fonctionne pas pour les Inuits dans le Nord.

Il soutient aussi que le système de justice que le Canada tente d’instaurer dans l’Arctique ne donne rien : notamment la justice axée sur la collectivité dans les villages autochtones, ou des outils comme le principe Gladue, selon lequel les tribunaux doivent envisager d’autres solutions que l’incarcération des délinquants autochtones compte tenu de leurs antécédents et de l’impact négatif d’expériences comme les pensionnats ou la pratique coloniale au Canada.

« Peut-être que les Autochtones en ont besoin dans le sud et que cela provient des politiques des Premières Nations ; mais pour les Inuits ici, dans le Nord, tout ce que ce système entraîne, c’est que les délinquants violents, les violeurs et les criminels ayant des problèmes de santé mentale sont renvoyés dans nos petites collectivités, où il n’y a aucun programme ni service pour les gérer », dit Adams.

« Ils terrorisent nos collectivités, et des gens ordinaires comme nous ne savent absolument pas quoi faire. Les politiciens du sud, les politiciens autochtones, les militants du sud, tous disent que c’est une question de droits autochtones. Mais où sont les droits de mon fils inuit qui est mort ? Pourquoi personne ne se bat pour lui ou pour le prochain Inuit qui va se faire tuer ? »

L’Administration régionale Kativik, l’organisme administratif du Nunavik qui s’occupe également de la sécurité publique dans la région, n’a pas répondu à nos demandes d’entrevue pour savoir si les ressources envoyées aux petites collectivités du Nunavik pour superviser les délinquants après leur libération sont suffisantes.

Une photo Facebook de Mattiusie Qamugaaluk, non datée.
(Page Facebook de Mattiusie Qamugaaluk)

Mattiusie Qamugaaluk est l’homme de 32 ans arrêté et accusé du meurtre au premier degré de Robert Adams.

Au Canada, toute personne accusée au criminel est présumée innocente jusqu’à ce qu’elle soit reconnue coupable devant un tribunal.

Joint au téléphone, l’avocat qui représente Qamugaaluk, Jacques Stuart, a refusé de commenter les accusations déposées contre son client en lien avec la mort de Robert Adams (meurtre au premier degré ; menace d’utiliser une arme ; omission de se conformer à une promesse), alors que le dossier était toujours ouvert.

La mère et les trois frères et sœurs de Qamugaaluk n’ont pas répondu à nos demandes d’entrevue ou de commentaire à Kangiqsujuaq, sur Facebook, directement ou à travers des intermédiaires, durant notre reportage.

Au cours des 10 dernières années, Qamugaaluk a été reconnu coupable de diverses infractions à Montréal et dans plusieurs communautés du Nunavik, notamment pour vol, vandalisme, introduction par effraction, harcèlement criminel, agressions contre le public et contre des policiers, agressions sexuelles contre des femmes et une mineure, omission de se conformer à des ordonnances de probation et omission de se conformer à une ordonnance de la cour de prendre des médicaments.

Qamugaaluk devait comparaître en cour à Kangiqsujuaq le 7 février 2018 pour faire face à deux nouvelles accusations de harcèlement criminel, mais le juge et les avocats ne se sont jamais rendus dans la communauté.

La comparution a été annulée à la dernière minute en raison du mauvais temps.

Moins de six semaines plus tard, Robert Adams est mort et Mattiusie Qamugaaluk a été arrêté pour meurtre au premier degré.


« La réconciliation, ça ne veut rien dire pour moi », dit Adams, pris en photo avec sa fille Elisapie.
« Ça n’a pas empêché le trafic d’alcool, la violence et les problèmes sociaux dans ma collectivité.
Ça n’a pas empêché mon fils de se faire tuer.
Parfois, je pense que votre pays veut notre mort à tous. »
(Eilís Quinn/Regard sur l’Arctique)

La réconciliation?

Pendant que la famille Adams pleure Robert, le village de Kangiqsujuaq est aussi plongé dans le deuil.

Au village, on dit que les familles Adams et Qamugaaluk souffrent beaucoup, mais que leurs amis et leurs proches souffrent aussi.

Il y a eu tellement de suicides et d’accidents cette année que tout le monde a été touché d’une manière ou d’une autre.

Charlie Arngak, qui était maire de la municipalité de Kangiqsujuaq jusqu’aux élections de novembre 2018, n’a pas répondu aux demandes d’entrevue ou de vérification des faits pour ce reportage. Ni aux requêtes pour se prononcer sur la disponibilité de ressources suffisantes pour faire face aux tragédies de cette année. (Regard sur l’Arctique n’a pas réussi à contacter le nouveau maire, Qiallak Nappaaluk, pour recueillir ses commentaires.)

Mary Pilurtuut, ancienne mairesse de Kangiqsujuaq et présidente actuelle du Comité de bien-être de la collectivité, un organisme qui assure la liaison avec la Régie régionale de la santé et des services sociaux du Nunavik (RRSSSN) à Kuujjuaq, souligne la résilience du village, mais elle trouve que la souffrance de la collectivité est particulièrement difficile à vivre.

Mme Pilurtuut affirme que les intervenants des services sociaux qui parlent inuktitut et qui viennent de la Direction des valeurs et pratiques inuites de la RRSSSN à la suite d’une crise sont très utiles pour les collectivités, mais ces intervenants sont trop peu nombreux pour la région en entier.

Mme Pilurtuut dit que 80 % à 85 % du financement communautaire du Nunavik provient du gouvernement du Québec, mais que les ressources nécessaires pour s’attaquer de front aux problèmes communautaires à long terme n’existent tout simplement pas. Le Comité du bien-être reçoit 25 000 $ par année pour son programme, dit-elle, mais il doit souvent chercher ailleurs pour réaliser pleinement ses projets.

« Il faut que ça change », dit-elle. « Nous, les Inuits, nous sommes connus pour être des gens silencieux. Très discrets. Même lorsque nous avons besoin de prendre la parole ou de nous exprimer, nous avons tendance à nous abstenir de dire quoi que ce soit. Je suppose que nous devons nous efforcer de répéter ce que nous avons à dire, et parler haut et fort. Mais parfois, je crois que nous avons encore peur. »

En octobre, la vague de suicides dont les résidents du Nunavik ont commencé à parler sur Facebook au printemps est finalement sortie dans les médias du sud.

Une réunion d’urgence s’est tenue à Kuujjuaq à la fin d’octobre.

Bernie Adams affirme que l’attention que leur ont portée les médias du sud ne changera rien à long terme; tout comme l’intérêt des médias pour la commission Viens n’a pas facilité les formalités que sa famille a dû effectuer auprès des services publics du Québec après la mort de Robert.

« Quand je me suis enrôlé dans l’armée, j’étais prêt à mourir pour ce pays que l’on appelle le Canada, malgré tout ce qu’il a fait à mon peuple », dit Adams. « Aujourd’hui, à voir tout ça, je me demande parfois à quoi ça a servi. »
(Courtoisie Bernie Adams)

M. Adams se dit contrarié que le nombre incalculable de rapports, de commissions et d’enquêtes sur les questions autochtones qui se sont succédé depuis la célèbre Commission royale sur les peuples autochtones du Canada de 1996 n’ait rien fait pour changer quoi que ce soit dans la vie quotidienne de sa collectivité.

Au Canada actuellement, l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, qui se penche sur la violence à l’égard femmes autochtones, prend fin en décembre 2018. Le rapport final est attendu en avril 2019. Au Québec, la commission Viens sur les relations entre les Autochtones et certains services publics terminera ses audiences d’ici la fin de 2018.

Son rapport final et ses recommandations sont attendus d’ici septembre 2019.

M. Adams a témoigné aux deux enquêtes cette année, mais il estime que, en plus de la couverture médiatique autour de la réconciliation, – une des politiques fondamentales du premier ministre du Canada, Justin Trudeau, qui vise à redéfinir les relations entre le gouvernement et les peuples autochtones du Canada – ces enquêtes visent davantage à contenter le sud qu’à apporter de réels changements dans la vie quotidienne des peuples autochtones.

Mary Pilurtuut est du même avis.

« Ça ne veut rien dire pour moi, malheureusement, dit-elle. [Les enquêtes, la réconciliation] finissent par donner l’impression de n’être que des paroles en l’air. Mais je me pose des questions : Où est le travail dont on parle ? Où est l’argent pour s’occuper de ce dont on parle ? Ça ne nous parvient pas. Je ne vois aucun résultat concret dans ma communauté. »

L’organisation inuite du Canada Inuit Tapiriit Kanatami, qui a inscrit la réconciliation parmi les principaux objectifs de son Plan d’action et de stratégie 2016-2019, a refusé d’accorder tout commentaire dans le cadre de ce reportage.

Mary Simon, de Kuujjuaq, militante de longue date pour les droits des Inuits et ancienne ambassadrice du Canada pour les affaires circumpolaires, a lancé en novembre dernier une pétition à l’attention des gouvernements du Canada et du Québec pour qu’ils déclarent l’état d’urgence en raison de la crise du suicide et des problèmes sociaux au Nunavik. Mary Simon a perdu sa propre nièce de 22 ans par suicide en octobre et, dans un message sur Facebook, a raconté comment le manque de services dans l’Arctique québécois a empêché sa nièce d’obtenir l’aide dont elle avait besoin.

(Au moment de la publication, la pétition avait encore besoin de 943 signatures pour atteindre l’objectif de 18 000 signatures).

Mme Pilurtuut affirme que les mesures énergiques prises par des dirigeants inuits comme Mary Simon lui donnent de l’espoir. Mais les mesures concrètes que devraient prendre les décideurs provinciaux et fédéraux pour assurer un changement durable sont tout simplement inexistantes.

« Même quand j’étais mairesse, quand le premier ministre ou un politicien venait à Kangiqsujauq, je me disais que c’était une perte de temps et d’énergie. Ces visites ne mèneront jamais à rien. Je n’ai jamais aimé ça. »

Andre Anogak, le demi-frère de Robert Adams, à Kangiqsujuaq, au Québec.
(Eilís Quinn/Regard sur l’Arctique)

La Société Makivik, l’organisme qui représente les Inuits du Québec, affirme que l’ampleur des défis auxquels Kangiqsujuaq et d’autres collectivités du Nunavik sont confrontées cette année prouve que le statu quo ne fonctionne pas et qu’il est urgent de faire avancer les choses.

« Makivik non seulement s’inquiète du manque de plus en plus important de services en matière de justice et de santé mentale sur le territoire inuit du Nunavik, mais elle vit aussi l’impact de ce manque de services sur la vie quotidienne », a averti le président de Makivik, Charlie Watt, dans un courriel envoyé à Regard sur l’Arctique. « C’est déplorable qu’il y ait autant de lacunes dans de nombreux domaines et que notre peuple souffre à cause de cela. »

« Nos problèmes ne peuvent pas être résolus par le sud. C’est notre peuple qui trouvera les solutions », a-t-il ajouté.

La ministre des Affaires autochtones du Québec, Sylvie D’Amours, affirme que le gouvernement se penche activement sur les questions soulevées par les résidents de Kangiqsujuaq et des autres communautés du Nunavik.

« Le gouvernement du Québec est hautement préoccupé par la précarité du tissu social au Nunavik », a commenté Mme D’Amours dans un courriel adressé à Regard sur l’Arctique.

« Le gouvernement du Québec prend acte des propos du président de la Société Makivik prononcés devant la Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec : écoute, réconciliation qui exhorte le gouvernement du Québec à cesser de prendre des décisions unilatérales sans la participation et le consentement des Inuits. Le gouvernement du Québec offre sa pleine et entière collaboration aux organisations inuites dans la recherche de solutions adaptées aux réalités des Inuits du Nunavik. »

Sylvie D’Amours a assuré que le gouvernement s’était également engagé à examiner de près les recommandations de la commission Viens lorsque son rapport final sera déposé en 2019.

« En instaurant cette enquête, le gouvernement du Québec cherche à améliorer la prestation de services aux Premières Nations et aux Inuits, rétablir la confiance entre les communautés autochtones et les intervenants des services publics québécois et travailler en partenariat avec les Autochtones afin d’assurer une prestation de services sensibles, pertinents et sécurisants. »

Pendant ce temps, à Kangiqsujuaq, les parents de Robert, Bernie et Mary Adams, ainsi que ses frères, ses soeurs, ses amis et sa famille élargie affirment avoir encore de la difficulté à accepter la mort de Robert.

Adams dit que son deuil est encore très difficile à supporter. L’été dernier, il a souvent appelé tard dans la nuit son parrain des Alcooliques anonymes à Montréal, quand il se demandait si un petit verre pouvait soulager sa douleur quelque temps; mais il soutient qu’il n’est pas prêt à abandonner ses efforts.

« J’élève encore trois jeunes enfants à la maison et je veux leur montrer que j’ai encore de l’espoir pour la collectivité et pour le Nunavik. Si je perdais espoir, je pourrais revenir au point où j’étais à 22 ans, c’est-à-dire ivre, drogué et violent.

« Mais je dois continuer à me battre pour mon fils. Je ne veux pas qu’il ne devienne qu’un autre Inuit tué par la violence résultant des échecs du Canada, du Québec et du Nunavik qui, ensuite, laissent l’histoire sombrer dans l’oubli. »

« Ils n’en ont pas le droit. Je suis son père, et je ne les laisserai pas faire. »

La tombe de Robert Adams à Kangiqsujuaq, au Québec.
(Eilís Quinn/Regard sur l’Arctique)

Arctique ― Au-delà de la tragédie a été originalement publié le 14 décembre 2018.

Arctique – Au-delà de la tragédie a été parmi les quatre projets s'étant distingués aux Prix Dart 2019 à New York.

Le projet a obtenu une mention honorable pour l’excellence dans la couverture du trauma et de la violence.

À propos

Eilís Quinn est journaliste et responsable du site Regard sur l’Arctique/Eye on the Arctic, une coproduction circumpolaire de Radio Canada International. En plus de nouvelles quotidiennes, Eilís produit des documentaires et des séries multimédias. Elle s’intéresse notamment aux problèmes auxquels font face les peuples autochtones dans l’Arctique. Son documentaire Bridging the Divide a été finaliste aux Webby Awards 2012.

Son travail en tant que journaliste au Canada et aux États-Unis, et comme animatrice pour la série de Worldwide Discovery/BBC intitulée Best in China, l’a menée dans certaines des régions les plus froides du monde, telles que les montagnes tibétaines, le Groenland et l’Alaska; et les régions arctiques du Canada, de la Russie, de la Norvège et de l’Islande.

Twitter : @Arctic_EQ
Courriel : Eilís Quinn