Kiruna, Suède - Un projet ambitieux visant à transformer l'éducation préscolaire des enfants samis en Norvège, en Finlande et en Suède est en cours de réalisation. Les autorités norvégiennes en sont actuellement à sélectionner les neuf premières écoles maternelles qui vont mettre ce projet à l’essai.
Ce projet appelé SaMOS (Sami manat odda searvelanjain, en sami du Nord; qui veut dire en français : « les enfants samis dans de nouvelles salles de classe ») dont l’objectif est d’offrir une éducation améliorée qui soit culturellement adaptée aux enfants samis s’est amorcé en 2017 et s’étalera sur cinq ans.
Depuis que le projet a démarré, des représentants des parlements samis des trois pays travaillent ensemble pour repenser la manière de dispenser l’éducation préscolaire, tant dans son contenu que dans les méthodes d’enseignement.
« L’objectif principal de ce projet est de revenir à la base et de définir ce qu’est le mode d’éducation sami », a expliqué Ol-Johan Sikku, chef de projet au Parlement sami de Norvège. « Comme personne ne l’a encore fait, nous travaillons à élaborer cette définition, parce qu'une fois que ce sera défini et que nous saurons comment éduquer les enfants samis de la meilleure des façons, tout s’en trouvera renforcé, de la culture au savoir traditionnel, en passant par la langue. »
« Et c'est vraiment important, parce qu’aujourd’hui, quel que soit le pays où nous nous trouvons, nos enfants font leur apprentissage dans une culture dominante qui n'est pas la nôtre. »
Les Samis sont un peuple autochtone de l'Arctique. Aucun recensement des Samis en particulier n’a été fait, mais leur nombre est estimé entre 100 000 et 150 000. Leur territoire traditionnel, une région qu’ils appellent collectivement Sapmi, s’étend sur la Finlande arctique, la Suède, la Norvège et la péninsule de Kola en Russie.
Les politiques coloniales de la Suède, de la Finlande, de la Norvège et de la Russie englobaient souvent le système éducatif et les instances religieuses qui faisaient tout pour dissuader et même empêcher les Samis de parler leur langue, et pour supprimer la culture samie et assimiler de force les enfants samis à la culture dominante. Cela a encore aujourd’hui un impact négatif sur les langues et l'éducation samies. (Actuellement, les Samis de Russie ne participent pas au projet SaMOS en raison d'obstacles d’ordre politique à la coopération.)
De nombreuses langues sont parlées sur le territoire des Samis. Mais selon l’UNESCO, elles sont toutes en danger d’extinction. Leur classification va de « en danger » pour la langue samie du Nord, qui est la langue samie parlée par le plus grand nombre de locuteurs, estimés à environ 25 000, à « en situation critique » pour le sami de Pite, qui est aujourd’hui éteint en Norvège, mais qui aurait encore une trentaine de locuteurs en Suède.
site web de Sámi Giellagáldu giella.org
Les parlements samis de Norvège, de Finlande et de Suède estiment qu’il est important de se pencher sur l'éducation préscolaire samie, un élément de base qui permettra d’empêcher les cultures dominantes de chacun des pays respectifs d’affaiblir la langue et la culture samies.
Les trois prochaines années, les chercheurs, les éducateurs et les experts en langues samies participant au projet SaMOS mettront en place une méthode expérimentale consistant à organiser l’éducation préscolaire selon les bases et les principes de la culture traditionnelle et de la langue samies, et à trouver un moyen de codifier l’éducation pour qu’elle soit moins dépendante du savoir et des intérêts de l’enseignant et facilement adaptable d’un contexte à un autre.
L’objectif de cette nouvelle pédagogie qui sera créée au terme du projet est de guider les enseignants et de permettre aux autorités pédagogiques locales de modifier le programme scolaire afin qu'il reflète la culture samie particulière à la région d’origine de chaque enfant.
Ceux qui travaillent au projet SaMOS affirment que cela contribuera également à renforcer l'acquisition de la langue samie, car les langues norvégienne, finnoise et suédoise n'ont pas le vocabulaire ni les concepts nécessaires pour transmettre adéquatement la culture et les traditions samies.
« Les cultures locales sont vraiment importantes, car chacune d’entre elles peut avoir des types de savoirs différents et la langue adéquate pour les transmettre, explique Ol-Johan Sikku. Ceux qui proviennent d’une région d’élevage de rennes auront un type de savoir spécifique et posséderont bien plus de mots pour décrire l’élevage de rennes que ceux qui ont grandi au bord de l’océan, où les connaissances à propos de la mer et de la pêche, ainsi que le vocabulaire qui y est relié, sont plus étendues. »
Le gouvernement norvégien finance le projet à raison de 4 millions de couronnes par an (576 000 $ CA), c'est pourquoi les écoles pilotes ont toutes été sélectionnées en Norvège. Les parlements samis de Finlande et de Suède ont fait une demande de financement auprès de l'Union européenne afin d’instaurer le programme pilote également dans leurs pays respectifs.
Sur le territoire Sapmi, la Finlande est généralement considérée comme étant à l'avant-garde de la création de matériel pédagogique en langue samie, dont une bonne partie est accessible en ligne.
SAMI SKOLT
Une vidéo YouTube enseigne l’alphabet à travers les interactions d’un enfant avec des objets usuels du quotidien.
Le reste des illustrations de l'alphabet sami d’Inari ainsi que l'alphabet sami du Nord sont disponibles en ligne.
La secrétaire à l'Éducation au Parlement sami de Finlande, Ulla Aikio-Puoskari, affirme qu'une approche transfrontalière commune peut également contribuer à éliminer les barrières créées par les frontières suédoise, norvégienne, finlandaise et russe, qui ont divisé le territoire sami.
« Renforcer la coopération transfrontalière, c'est aussi renforcer notre cause commune », affirme Ulla Aikio-Puoskari.
« Cela peut représenter un défi parce que les cadres nationaux de la Finlande, de la Suède et de la Norvège sont tous différents. Mais aucune frontière ne changera le fait que nous sommes un seul peuple et qu'il est naturel que nous travaillions ensemble. Parce que si nous ne le faisons pas, nos langues et notre culture vont diverger ou même disparaître avec le temps. Le fait de travailler ensemble renforce vraiment notre présence dans chaque pays. »
Ceux qui travaillent au projet SaMOS affirment également que leur collaboration leur permet de mettre en commun les compétences et les points forts des différentes régions samies.
« En Suède, nous constatons que nous n'avons pas suffisamment de ressources pour maintenir et faire évoluer la langue et l'éducation samies », note Lars Miguel Utsi, président du conseil des langues et vice-président du Parlement sami en Suède.
C'est pourquoi il est vraiment important de collaborer au-delà des frontières pour changer les systèmes préscolaires afin qu'ils dispensent une meilleure éducation samie aux enfants pour qu’ils puissent aller à l'école maternelle dans un contexte sami. Si nous réalisons ces changements en même temps dans tout Sapmi, au lieu de les faire séparément, nous pourrons mieux utiliser l’ensemble de nos ressources.
Ol-Johan Sikku dit qu'il n’a pas de temps à perdre avec les opposants au projet qui soutiennent que les enfants autochtones samis reçoivent un meilleur apprentissage dans les programmes pédagogiques respectifs de Norvège, de Finlande ou de Suède afin d'être mieux préparés vivre dans la société dominante.
« Nos enfants n'ont pas besoin de recevoir une éducation préscolaire dans la culture dominante, parce qu'ils baignent dans cette culture en tout temps, toute leur vie », répond Ol-Johan Sikku.
« Mais les possibilités que nos enfants apprennent et utilisent leur propre culture sont vraiment limitées. C'est pourquoi nous voulons leur donner l'occasion d'apprendre leur culture dès l'école maternelle, parce que si on ne commence pas dès le début, il est très difficile de recevoir correctement cette éducation », ajoute-t-il.
Ol-Johan Sikku explique que les écoles pilotes, après avoir été sélectionnées, auront trois ans pour peaufiner la pédagogie. Puis elles passeront aux prochaines étapes, qui consistent à obtenir l'approbation des instances éducatives nationales et régionales.
« Ces structures éducatives existent depuis longtemps, et elles sont encore en application. Il faudra accepter le fait que les choses sont en train de changer. Et même si certaines personnes sont individuellement ouvertes à ces nouvelles idées, elles travaillent encore et toujours dans ces mêmes vieilles structures. Mais on doit démonter tout cela et relever le défi. »
« Pour l’avenir de nos enfants, ça en vaut vraiment la peine. »
À propos
Eilís Quinn est journaliste et responsable du site Regard sur l’Arctique/Eye on the Arctic, une coproduction circumpolaire de Radio Canada International. En plus de nouvelles quotidiennes, Eilís produit des documentaires et des séries multimédias. Elle s’intéresse notamment aux problèmes auxquels font face les peuples autochtones dans l’Arctique. Son documentaire Bridging the Divide a été finaliste aux Webby Awards 2012.
Son travail en tant que journaliste au Canada et aux États-Unis, et comme animatrice pour la série de Worldwide Discovery/BBC intitulée Best in China, l’a menée dans certaines des régions les plus froides du monde, telles que les montagnes tibétaines, le Groenland et l’Alaska; et les régions arctiques du Canada, de la Russie, de la Norvège et de l’Islande.
Twitter : @Arctic_EQ
Courriel : Eilís Quinn