Jacques Frémont, président de la Commission des droits de la personne
Photo Credit: Radio-Canada

Une opinion lourde de poids contre le projet de charte des valeurs québécoises

La Commission des droits de la personne du Québec estime que plusieurs propositions du projet de Charte des valeurs québécoises du gouvernement de la première ministre Pauline Marois compromettent les droits et libertés.

L’organisme croit que l’interdiction du port de signes religieux ostentatoires par les employés de l’État « ne passe pas le test » de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec.

La Commission pense aussi que l’encadrement des accommodements religieux proposé par le gouvernement Marois risque de nuire à d’autres types d’accommodements, par exemple pour les personnes handicapées.

« Les orientations gouvernementales soulèvent de vives inquiétudes. Elles sont en nette rupture avec la Charte, cette loi quasi constitutionnelle adoptée par l’Assemblée nationale en 1975. Il s’agit de la proposition de modification de la Charte la plus radicale depuis son adoption. »— Jacques Frémont, président de la Commission des droits de la personne

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L’interdiction du port de signes religieux, facteur d’exclusion

Selon la Commission, les dispositions sur l’interdiction du port des signes religieux ostentatoires dans le secteur public sont en violation de la Charte, et elles ne « résisteraient pas à l’examen des tribunaux dans l’état actuel de la jurisprudence ». Il faudrait avoir recours à une clause dérogatoire pour les valider.

La clause dérogatoire, seule voie possible

« La question de la liberté de religion est une question personnelle et subjective. Ce n’est pas à l’État ni à personne de juger si la croyance est sincère, ce n’est pas à personne de juger si le port du signe religieux est obligatoire ou non […] Et les enseignements des tribunaux sont limpides là-dessus. C’est pour ça que la Commission dit que si on veut aller dans cette voie-là, la seule façon d’y aller, c’est par la clause dérogatoire. » – Jacques Frémont.

La Commission croit que cette interdiction aurait pour effet d’exclure de nombreuses personnes d’un emploi, en fonction de leurs signes religieux. Cela porterait atteinte aux droits à la liberté d’expression et à l’égalité en emploi, dit-elle.

Selon l’organisme, la charte des valeurs se trompe en liant l’interdiction du port de signes religieux à la neutralité de l’État. À son avis, la neutralité s’applique aux institutions, mais non pas à ses agents.

Une restriction contraire à la Charte québécoise des droits

« Il n’est pas raisonnable de présumer de la partialité d’un employé de l’État du simple fait qu’il porte un signe religieux. Le fait de lier le port de signes religieux « ostentatoires » à la définition du prosélytisme [tenter de convaincre l’autre d’adhérer à sa religion] sans tenir compte du comportement de la personne fausse de manière importante l’approche développée en matière de protection de la liberté de religion et ouvre la porte à une restriction qui serait contraire à la Charte québécoise. » – Extrait du communiqué de la Commission des droits de la personne

Sur l’égalité hommes-femmes, des balises inutiles

La Commission a aussi bien des réserves quant à l’intention du gouvernement de modifier les balises qui encadrent les accommodements raisonnables. Elle montre notamment du doigt les modifications qui veulent faire de l’égalité hommes-femmes la première condition d’acceptation des demandes d’accommodement. À son avis, la Charte des droits offre déjà une protection contre la discrimination fondée sur le sexe.

« Les droits à l’égalité hommes-femmes déjà ont préséance. […] Aucune décision en matière d’accommodements raisonnables que la Commission est en charge de gérer n’a donné autre priorité à autre chose que priorité homme-femme lorsque c’était en jeu. Alors on dit que finalement ce n’est pas nécessaire. »— Jacques Frémont

La Commission  croit également que l’encadrement des accommodements raisonnables uniquement en matière religieuse « comporte plusieurs difficultés d’ordre juridique et pratique ». Elle pense que cela pourrait nuire à « l’exercice concret des droits et libertés, dont ceux des personnes en situation de handicap, des femmes enceintes et des personnes âgées ».

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Le ministre délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes, à la Francophonie canadienne et à la Gouvernance souverainiste

Cloutier prend acte de l’avis de la Commission

Le ministre délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes, à la Francophonie canadienne et à la Gouvernance souverainiste, Alexandre Cloutier, convient qu’il faut tenir compte de l’avis de la Commission des droits de la personne, qui « est un apport important au débat qui a cours à l’Assemblée nationale ».

M.Cloutier conçoit toutefois l’avis de la Commission comme une opinion juridique parmi tant d’autres dans un univers où les interprétations divergentes sont monnaie courante. « C’est une opinion juridique supplémentaire, importante, qui doit être prise en compte, mais, en même temps, il faut l’insérer dans son contexte où d’autres éminents juristes se sont prononcés. »

« Le projet de charte, dans sa forme actuelle, a reçu l’appui d’éminents juristes, dont l’ancienne juge de la Cour suprême du Canada et l’ancienne juge en chef de la Cour du Québec. »— Alexandre Cloutier

Le ministre Cloutier s’est également dit surpris que la Commission des droits de la personne ne reconnaisse pas le droit de l’Assemblée nationale d’inscrire les valeurs québécoises dans la Charte des droits et libertés. « Il ne s’agit pas là d’une idée nouvelle, poursuit-il. Dès 2007, notre formation politique, et même le Conseil du statut de la femme, avait proposé des amendements en ce sens. Et, plusieurs juristes avec qui on a travaillé n’y voient absolument aucun problème. »

RCI avec Radio-Canada

Le communiqué de la Commission des droits de la personne

Catégories : Immigration et Réfugiés, Politique, Société
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