Éloignés de l’épicentre du terrorisme en Europe, les médias canadiens remettent en question la décision de grands médias français de ne plus publier les photos ou les noms des terroristes pour ne pas encourager d’imitateurs potentiels à la recherche de notoriété.
Rappelons qu’Hervé Béroud, directeur de la rédaction de BFMTV, une importante chaîne de télévision française d’information nationale en continu, a décidé de ne plus diffuser du tout les photos des auteurs des attentats, à moins qu’il ne s’agisse d’avis de recherche émis par les policiers. Il explique que « la photo a une portée symbolique et emblématique, surtout sur une chaîne d’information en continu avec de nombreux journaux et donc des diffusions répétées ».
Pour sa part, le directeur du très influent quotidien Le Monde, Jérôme Fenoglio, écrit en éditorial qu’à « la suite de l’attentat de Nice, nous ne publierons plus de photographies des auteurs de tueries, pour éviter d’éventuels effets de glorification posthume. »
En entrevue sur les ondes de Radio-Canada, Jérôme Fenoglio explique que son intention est de ne plus publier de photos du passé des terroristes qui pourraient les mettre dans des positions avantageuses, des images qui « rajoutent, selon lui, de la provocation à la provocation ». Il a donné en exemple des photos de l’auteur des attentats de Nice, il y a deux semaines, où on le voit montrer ses muscles sur une terrasse.
Interdire ou pas la publication des noms des terroristes?
Le Monde a l’intention de continuer à publier les noms des auteurs des attaques. « Renoncer à publier leur nom, ça reviendrait à cacher un certain nombre de choses au public. Il faut continuer à informer, à raconter les profils, les parcours, les idéologies, les dysfonctionnements de ces personnes. »
Mais tous ne sont pas de cet avis et prônent cette mesure additionnelle. Le journal catholique français La Croix a décidé par exemple de ne publier que le prénom et l’initiale du nom des tueurs, tandis que la radio Europe 1 a annoncé qu’elle ne mentionnerait plus du tout leurs noms.
Au Canada, la tendance se dessine très nettement en faveur d’une médiatisation des identités, mais avec toute une série de nuances pour éviter les couvertures sensationnalistes ou les phénomènes de récupération et de dérapages médiatiques ou politiques.
ÉcoutezÀ quoi vous attendre de Radio-Canada et de Radio Canada International?
Le directeur de l’information de Radio-Canada, Michel Cormier, vient de réitérer qu’il ne faut pas arrêter de diffuser les photos et les noms des terroristes dans la mesure où ces informations servent l’intérêt public. « Pour l’instant, on ne va pas déroger à notre politique. On a déjà des règles très strictes. »
Dans une lettre aux employés mercredi, Michel Cormier a expliqué les nuances de cette politique : « Si nous décidions de ne pas publier les photos des auteurs de gestes terroristes ou violents, nous limiterions nos arguments devant les autorités qui voudraient taire de l’information pour des motifs que nous ne jugerions peut-être pas valables. En revanche, il faut continuer à faire preuve de discernement et ne pas diffuser en boucle les photos des terroristes. Nous ne les diffuserons pas non plus en juxtaposition à celles des victimes. Il faut garder une distance respectueuse entre les auteurs d’un attentat et leurs victimes. Il n’est pas question enfin de diffuser des photos que les terroristes auraient prises d’eux-mêmes sur les lieux de l’attentat, comme cela se produit de plus en plus fréquemment. Il s’agit dans ce cas de propagande. »
Aide-mémoire…
La fois ou le parti conservateur du Canada avait récupéré des images de décapitation
– L’an dernier, avant le déclenchement des élections, des images de prisonniers en cage sur le point d’être noyés ou décapités par leurs bourreaux et filmée par le groupe armé État islamique (EI) avaient été relayées par le Parti conservateur canadien dans une publicité critiquant les libéraux de l’actuel premier ministre Justin Trudeau. Une stratégie qui avait amené les adversaires des conservateurs à soulever des questions d’ordre éthique et légal.
– Nullement démonté par ces critiques, le porte-parole de la campagne des conservateurs, Kory Teneycke, avait justifié l’utilisation de ces images : « Ces messages sont rigoureusement exacts, tant en ce qui concerne les massacres perpétrés par l’EI qu’en ce qui concerne les propos de Justin Trudeau, avait-t-il soutenu. Les médias ont eux aussi diffusé de telles images du groupe armé dans leurs bulletins de nouvelles », a-t-il ajouté.
– « Mais vous ne rapportez pas des nouvelles, avait répliqué un journaliste. Vous faites de la publicité. » De répondre le porte-parole politique : nous sommes meilleurs que les nouvelles parce qu’on dit la vérité.» Cette « publicité-vérité » a été retirée de YouTube depuis.
Voyez la suite… Des publicités de l’État islamique au service des conservateurs – Radio-Canada
Avec la contribution d’Isabelle Craig, Ximena Sampson, et Joël Le Bigot de Radio-Canada
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