À en croire le ministre du Patrimoine canadien, Stephen Guilbeault, de passage à Tout le monde en monde, émission diffusée sur ICI Télé dimanche, la taxation sera belle et bien en vigueur dans le prochain budget.
Le ministre du Patrimoine s’est ainsi exprimé, quelques semaines seulement après le dépôt d’un projet de loi très critiqué sur la réglementation des diffuseurs en ligne. Il avait été reproché au gouvernement son inaction dans le dossier de la taxation des compagnies qui font un profit faramineux sur Internet et qui sont à l’abri de l’impôt.
Le 8 novembre, Ottawa avait fait part de son engagement dans une coalition internationale pour pousser ces puissantes entreprises à payer leur juste part d’impôt.
Selon les propos du ministre Guilbeault dans une autre émission de Radio-Canada, Les coulisses du pouvoir, les entreprises comme Google, Apple, Facebook et Amazon (GAFA) allaient être assujetties à une nouvelle réglementation.
Si les multinationales étaient imposées à hauteur de 3 % sur leurs revenus bruts générés au Canada, sur les ventes de données à des fins publicitaires et de publicité, cela permettrait au Canada d’amasser jusqu’à 730 millions de dollars en 2023-2024. C’est du moins ce qui était mentionné dans la plateforme électorale du Parti libéral du Canada (PLC). Celle-ci prévoyait que seules les entreprises ayant un chiffre d’affaires de plus de 1 milliard de dollars à l’échelle mondiale et de plus de 40 millions au Canada seraient concernées.
« Je me suis entretenu avec la ministre française de la Culture et avec le régulateur australien qui travaille sur la question. Nous nous sommes entendus pour lancer une espèce de coalition internationale pour travailler ensemble », avait alors mentionné M. Guilbeault.
C’est depuis plus d’un an que la France a adopté son projet de loi pour taxer les géants du numérique. Il y avait pourtant eu des menaces de représailles de l’administration Trump contre cette réforme. Mais l’Assemblée nationale a adopté le projet de loi qui imposait désormais une taxe de 3 % aux GAFA. Cette taxe vise notamment « les revenus issus de la publicité en ligne, la vente de données à des fins publicitaires et la mise en relation des internautes ».
Elle ne concerne qu’une catégorie de ces entreprises. Ce sont seulement celles qui ont un chiffre d’affaires de plus de 750 millions d’euros (1,1 G$ CA) dans le monde, dont 25 millions d’euros (37 M$ CA) en France, qui seront ainsi taxés.
Cette taxation qui a commencé à s’appliquer au début 2019 tranche nettement avec la démarche qui avait cours jusqu’en 2018 où les GAFA étaient taxées de la même manière que toutes les autres compagnies françaises, sur la base de leurs revenus. Elle permettrait ainsi à la France d’engranger jusqu’à 400 millions d’euros (590 M$ CA) chaque année.
Bien que similaire à la démarche française, celle du Canada sera quelque peu différente, a prévenu le ministre du Patrimoine dimanche. Il a néanmoins maintenu la force de l’union du Canada avec ses partenaires qui permettra enfin de relever ce défi de taxer les multinationales du web.
Le Canada imposerait ainsi sa taxe sur les produits et services (TPS) à toutes ces compagnies numériques internationales qui offrent leurs produits sur le marché canadien. Le ministre du Patrimoine pourrait déposer un nouveau projet de loi à ce sujet d’ici 2021. Il proposerait ainsi que ces compagnies recueillent et paient la même taxe de vente que les autres sociétés du numérique au Canada.
Il a été reproché au gouvernement fédéral d’avoir omis d’inclure la taxation des géants du numérique dans le projet de loi C-10 déposé en chambre. Il soumet les entreprises du numérique au pays à la Loi sur la radiodiffusion. Photo : iStock
Menace de litige commercial comme avec la France?
On se souvient que la décision de la France de réformer la taxation des géants du numérique avait été mal accueillie par l’administration américaine. Celle-ci avait ordonné l’ouverture d’une enquête pour mesurer les impacts sur les entreprises américaines visées.
Redoutant un effet d’entraînement sur les autres pays européens qui seraient tentés de suivre la démarche française et de taxer à leur tour les géants américains du web, la Maison-Blanche avait alors brandi la menace d’un litige commercial.
Dans la foulée, l’administration britannique avait également déposé un projet de loi pour taxer, à hauteur de 2 %, certains des services offerts par les entreprises ayant un chiffre d’affaires de plus de 500 millions de livres annuellement, soit 820 M$ CA.
Le ministre français de l’Économie, Bruno Lemaire, avait réagi aux menaces américaines et proposé une démarche concertée au sein de l’Organisation de la coopération et du développement économique (OCDE) pour l’adoption d’une stratégie plus harmonieuse visant à taxer les compagnies qui font des profits en ligne.
C’est ainsi que des négociations avaient été ouvertes à Washington et jugées positives par le secrétaire américain au Trésor, Steven Munichin, au mois d’avril 2019. Deux autres rencontres dans le cadre de l’OCDE étaient annoncées à Paris fin mai et au Japon en juin.
L’annonce du ministre Guilbeault peut être vue comme une réponse aux critiques d’experts et des gens du milieu qui réclament que les géants du web paient leur juste part d’impôt afin que le milieu culturel connaisse un certain répit.
M. Guilbeault a mentionné, dimanche soir, que le projet de loi sera déposé dans les prochains mois.
En attendant, le projet de loi C-10 qui soumet les entreprises du numérique à la Loi sur la radiodiffusion est toujours en débat à la Chambre des communes. S’il était adopté, il permettrait de réglementer les activités des entreprises comme Netflix, Appel TV+, Disney+, crave et Tou.TV, Spotify, Apple Music et Qub Musique.
Jusqu’à présent, il y a un certain vide juridique en ce qui concerne la taxation des géants du numérique au Canada. Il n’est pas question au ministère canadien du Patrimoine d’imposer un quota à ces compagnies dans la Loi sur la radiodiffusion qui date de 1991. Ce serait une iniquité que de leur faire payer les mêmes taux que les compagnies canadiennes qui sont soumises à cette loi alors que « d’un côté, certaines entreprises ont l’obligation de réinvestir une partie de leurs revenus et pas d’autres. Et elles sont très profitables », a déclaré Stephen Guilbeault à Radio-Canada.
« Ce qu’on veut, c’est mettre tout le monde sur un pied d’égalité », a-t-il ajouté.
Le Québec s’était « montré prudent » sur la volonté libérale de taxer les géants du web. Le premier ministre François Legault avait réitéré l’importance d’une démarche concertée dans le cadre de l’OCDE pour éviter au Québec d’avoir à payer un prix économique.
« Ce que je veux, c’est de ne pas prendre de risque inutile. On a une balance commerciale positive avec les États-Unis, donc, on aurait beaucoup à perdre s’il y avait des représailles, contre le Québec, contre le Canada », avait affirmé M. Legault à la fin de l’année dernière.
La dernière élection présidentielle américaine qui s’est soldée par la venue d’une nouvelle équipe démocrate à la Maison-Blanche viendra-t-elle insuffler une nouvelle dynamique dans ce dossier au Canada?
Avec des informations de l’émission Tout le monde en parle, de Radio-Canada et du gouvernement fédéral
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