Sur cette photo d’archive du 8 janvier 2020, des secouristes portent le corps d’une victime de l’accident de l’avion d’Ukraine Airlines, à Shahedshahr, au sud-ouest de la capitale Téhéran, en Iran. (Photo : AP/Ebrahim Noroozi)

Le Canada exploite la douleur des familles des victimes du vol 752, dit l’Iran

Téhéran accuse le gouvernement canadien de politiser la question pour en tirer un avantage intérieur

En conférence de presse à Téhéran, Saeed Khatibzadeh, porte-parole du ministère iranien des Affaires étrangères, a déclaré que le Canada tente de tirer parti politiquement de la souffrance des familles des victimes en imposant des sanctions à l’Iran et en dictant le déroulement de l’enquête iranienne sur la tragédie.

« Jusqu’à ce jour, le Canada a fait tout ce qu’il pouvait pour intervenir et faire obstacle au cours naturel des événements afin de découvrir ce qui s’est passé exactement de manière mécanique », a déclaré M. Khatibzadeh dans une vidéo obtenue et traduite par CBC News.

« Il est très regrettable que le Canada utilise la douleur de ces familles pour en tirer profit et tenter de l’utiliser dans sa propre politique intérieure. »

Saeed Khatibzadeh (IFP)

Lors de son discours, lundi, M. Khatibzadeh a dénoncé le fait que le gouvernement canadien s’est efforcé de couper le flux de médicaments, de ressources et d’actifs financiers vers l’Iran et qu’il n’avait donc « pas à se positionner derrière un podium pour faire la leçon aux autres sur les droits de l’homme ».

« J’invite le ministre canadien des Affaires étrangères à comprendre les bases de la diplomatie, à comprendre ses limites, sa place, et à ne parler qu’entre ces quatre murs. Sinon, il recevra une réponse différente [de notre part] », a ajouté M. Khatibzadeh.

Rappelons que l’écrasement du vol PS752 d’Ukraine International Airlines s’est produit le 8 janvier dernier après son décollage à Téhéran en direction de Kiev. L’appareil qui devait ultimement se poser à Toronto a été abattu par un missile du Corps des gardiens de la révolution islamique. Les 176 personnes à bord, dont 85 citoyens ou résidents permanents canadiens, ont été tuées. Après la publication de vidéos et de photos incriminantes, les forces armées iraniennes avaient fini par reconnaître avoir abattu l’avion par « erreur ».

Cela s’était produit en pleine montée de tensions entre Washington et l’Iran liées à l’assassinat par les Américains quelques jours plus tôt d’un important dirigeant militaire iranien.

UR-PSR en octobre 2019 (UA)

L’Iran ne devrait pas être responsable de l’enquête, selon le Canada

M. Khatibzadeh réagissait à la publication, il y a une semaine, d’un rapport d’un conseiller spécial du gouvernement canadien affirmant que l’Iran ne devrait pas enquêter sur les événements liés au vol PS752, abattu par sa propre armée. Le rapport du conseiller spécial Ralph Goodale critiquait l’Iran pour son manque de transparence depuis le début et que l’Iran ne devrait pas « enquêter sur lui-même ».

« La partie responsable de la situation enquête sur elle-même, en grande partie en secret. Cela n’inspire ni confiance ni assurance », indique le rapport.

L’ex-ministre de la Sécurité publique, Ralph Goodale (Radio-Canada)

Dans les circonstances de cette affaire, telles que connues jusqu’à présent, il y a des indications d’incompétence, d’imprudence et de mépris inconsidéré pour la vie humaine innocente », a écrit M. Goodale.

Il a ensuite critiqué ce qu’il a appelé le manque de transparence de l’Iran autour de l’enquête, y compris les six mois qu’il a fallu pour lire les enregistreurs de données de vol de l’avion.

Le rapport canadien appelait à une remise en cause des normes internationales actuelles qui confient la direction de l’enquête sur un accident d’avion au pays où survient l’écrasement.

« Dans le cas d’un avion abattu par l’armée, ça signifie que le même gouvernement associé à la survenance de la catastrophe (l’Iran en l’occurrence) a la pleine maîtrise de l’enquête sur la sécurité, malgré les conflits d’intérêts évidents, avec peu de garanties d’assurer l’indépendance, l’impartialité ou la légitimité. Cette situation mine la crédibilité de l’enquête. L’aptitude de la communauté internationale à appliquer des mesures efficaces pour empêcher des catastrophes semblables est donc compromise. »

Le premier ministre Justin Trudeau avait salué les conclusions du rapport et a appelé l’Iran à « répondre de manière approfondie, avec des preuves à l’appui » aux questions qu’il soulève.

L’Iran utiliserait-il son enquête sur le vol 752 pour soutirer des faveurs?

Voilà la question soulevée par le Canada en juin dernier qui estimait que, dans un geste macabre, le régime iranien semblait se servir se de la tragédie pour rouvrir ses relations diplomatiques avec le Canada.

Ce mois-là, Téhéran offrait d’un côté de livrer à l’examen des autorités aériennes internationales les fameuses boîtes noires du Boeing 737. Et de l’autre, il annonçait qu’il voulait rétablir ses relations rompues avec le Canada en 2012 en raison des inquiétudes concernant les violations des droits de la personne commises par le régime iranien.

Le 11 juin dernier, l’Iran avait ainsi annoncé que les enregistreurs de vol seraient envoyés directement au Bureau d’enquêtes et d’analyses pour la sécurité de l’aviation civile (BEA) en France. Une semaine plus tard, un porte-parole du ministère iranien des Affaires étrangères avait déclaré que son pays avait parlé à ses homologues canadiens du renouvellement des relations diplomatiques entre les deux pays.

Le ministère canadien des Affaires étrangères avait aussi confirmé de son côté que l’Iran avait bel et bien soulevé « la question du rétablissement des relations consulaires » avec les responsables canadiens, bien que le ministère déclarait que son « objectif et sa priorité étaient de faire des progrès sur les questions liées à PS752 ».

Un troc inacceptable pour les familles

Au sein des familles canadiennes qui ont perdu l’un des leurs dans la tragédie, la colère était palpable. « C’est absolument inapproprié », lançait la mère d’Amir Hossein Saeedinia, un étudiant de l’Université d’Alberta tué à bord de l’avion.

Leila Latifi espérait que le Canada ne permettrait pas à l’Iran de rouvrir son ambassade à Ottawa. Elle avait confié qu’elle avait le sentiment que l’Iran utilisait cette tragédie pour améliorer ses relations internationales.

Un ami de la famille Latifi qualifiait pour sa part de « déchirants » tous les pourparlers visant à rétablir les liens diplomatiques. « L’Iran doit être poursuivi devant la Cour internationale de justice pour le crime tragique qu’il a commis, pour les nombreuses questions sans réponse. »

Le 8 janvier 2020, le Boeing 737-800 a été abattu peu après son décollage de l’aéroport international Imam Khomeiny de Téhéran. Les autorités aériennes iraniennes ont d’abord nié que l’avion avait été touché par un missile et ont déclaré qu’une erreur technique en était la cause. Voici les visages de quelques-unes des victimes qui devaient atterrir au Canada. (CBC)

RCI avec CBC News, Reuters, l’Agence France-Presse et La Presse canadienne

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