L’affaire Shafia n’a pas forcé les autorités à changer leurs approches
Plus de quatre ans et demi après l’affaire Shafia, qui a ébranlé les Canadiens les institutions, notamment québécoises, seraient toujours aussi mal outillées pour faire face aux actes de violences liées à l’honneur.
Dans un avis déposé mercredi, le Conseil du statut de la femme suggère notamment au gouvernement d’offrir plus d’outils aux intervenants et de modifier les lois existantes afin de remédier au problème.
Le CSF affirme que « vouloir ignorer la question délicate des crimes d’honneur en raison des défis qu’elle pose serait irresponsable et indigne d’une société pluraliste, égalitaire et démocratique, qui entend le rester ».
En chiffres
- Selon l’étude réalisée par le Conseil du statut de la femme au Québec :
- Au Canada : 17 crimes d’honneur ont fait 21 morts depuis 20 ans
- Au Québec : 3 crimes d’honneur, tous survenus depuis trois ans

Urgence et importance de former les intervenants
La présidente du CSF, Julie Miville-Dechêne, a mis beaucoup d’importance sur l’urgence de former les intervenants : « La Direction de la protection de la jeunesse (DPJ), comme tous les autres organismes, n’est pas outillée pour intervenir sur les crimes d’honneur. »
Yolande Geadah, principale rédactrice de l’étude du CSF, croit qu’il faut créer des réseaux entre les différents milieux concernés afin d’« assurer la sécurité à long terme pour ces femmes ». Il serait donc important que tous les intervenants se parlent et qu’ils mettent en commun leurs informations. « Ce n’est pas une solution simple […] mais il faut que tout le monde travaille de concert », a-t-elle souligné.

Modifications légales nécéssaires
Le CSF recommande de créer et de modifier certaines lois provinciales afin de protéger ces femmes. Julie Miville-Dechêne a parlé notamment d’une loi civile, inspirée du modèle britannique, qui permettrait d’imposer des injonctions pour protéger les femmes promises à des mariages forcés. Cette loi pourrait empêcher les femmes de se rendre aux mariages forcés ou de les rapatrier au Canada si elles avaient déjà quitté le pays.
Cette loi serait très intéressante, selon Julie Miville-Dechêne, puisque ce n’est pas une loi criminelle. « On protégerait la fille par une injonction, mais ses parents ne seraient pas criminalisés […] Parce que généralement, elle ne veut pas criminaliser ses parents. » Yolande Geadah ajoute que l’accent est mis sur la protection des femmes et non sur la répression de leurs parents.
Le CSF voudrait aussi que le gouvernement modifie la loi sur la DPJ. Selon Mme Miville-Dechêne, la loi comporte certaines lacunes. Notamment, la DPJ est tenue d’informer les parents lorsque leur enfant éprouve des difficultés.
Toutefois, les parents sont parfois les agresseurs dans des cas de crime d’honneur. « Dans certains cas, on croit que les parents ne devraient pas faire partie de la solution », a plaidé Mme Miville-Dechêne. Elle a évoqué l’idée d’une clause de confidentialité dans certaines situations, comme il y a en Grande-Bretagne.
Mme Miville-Dechêne croit que les volets social et légal sont tout aussi importants.« Si on n’arrive pas à détecter les crimes d’honneurs, quels que soient les moyens législatifs, on ne réglera pas le problème », a-t-elle conclu.
Aide mémoire…
- Un crime dit « d’honneur » est un crime perpétré en réaction à un comportement perçu comme ayant apporté le déshonneur à une famille, et ayant donc enfreint le code d’honneur. La plupart des victimes, qui ne sont pas nécessairement auteurs des faits reprochés, sont des femmes.
- Ces crimes sont typiquement le fait de membres de la famille de la victime ou de la communauté et, contrairement aux crimes dits passionnels, sont prémédités. Dans les sociétés où ils sont perpétrés, ils sont considérés comme relevant du domaine privé et la justice poursuit rarement les criminels
Réactions au gouvernement provincial
Le gouvernement Marois a affirmé que les crimes d’honneurs ne devraient pas être tolérés au Québec et déposera prochainement un plan d’action pour remédier à la situation. Une refonte de la loi sur la DPJ et une meilleure formation pour les policiers seraient à l’ordre du jour.
En 2011, le gouvernement du Québec avait demandé au CSF de se pencher sur la question en réaction à l’affaire Shafia. Mohammed Shafia, son fils et son épouse ont été reconnus coupables d’avoir tué trois des filles adolescentes du couple et la première femme du patriarche. Le jury avait jugé que les trois accusés avaient commis les meurtres afin de sauvegarder l’honneur de la famille.
Procès Shafia – L’analyse de l’activiste Djemila Banhabib (Radio-Canada)
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