Élections Canada 2015

Élections Canada 2015
Photo Credit: Radio-Canada

Quand le niqab influence le cours de la campagne électorale au Canada

L’on aura tout entendu sur le niqab qui s’est invité dans la campagne électorale en vue des élections fédérales du 19 octobre 2015. Ce thème qui s’est positionné de manière inattendue comme l’un des enjeux principaux de ces élections est revenu en force dans le 5e et dernier débat du 2 octobre 2015 diffusé sur le réseau TVA. Lors de ce débat, le niqab a donné lieu une fois de plus à des échanges musclés, à côté des autres thèmes comme l’économie et les négociations transpacifiques avec la question de la gestion de l’offre, la santé avec les soins aux aînés et l’âge de départ à la retraite, la question de la sécurité avec l‘intervention du Canada dans les conflits et son image dans le monde.

Femme voilée
Niqab © Luc Lavigne

Le thème sur le niqab a des fois été qualifié par les analystes de « bonbon » pour le Parti conservateur (PC) de Stephen Harper. Alors que ce parti avait connu un début de campagne plutôt difficile à cause des multiples scandales au Sénat ayant entraîné des procès contre certains de ses membres, l’introduction du thème sur le niqab lui a permis de reprendre des couleurs au point de se retrouver en tête dans les sondages et au coude-à-coude avec le Parti libéral (PL) de Justin Trudeau aujourd’hui.

Le Nouveau parti démocratique (NPD) de Thomas Mulcair qui a commencé la campagne sur les chapeaux de roues a subitement connu une dégringolade à cause de sa position sur le sujet. En effet, le chef de ce parti a perdu des plumes parce qu’il soutient depuis toujours qu’il ne saurait « dépenser l’argent du contribuable pour statuer sur 2 cas de refus de femmes d’enlever leurs niqabs lors de la cérémonie de citoyenneté au Canada ». Monsieur Mulcair qui a accusé Stephen Harper de jouer sur les minorités avec ce thème, a déclaré ne pas être un pro-niqab et a dit s’en remettre aux tribunaux qui se sont déjà prononcés sur la question.

Conservateurs et bloquistes se rejoignent, mais Duceppe charge Haper

Lors de ce débat, Stephen Harper est resté fidèle à ses positions sur cet enjeu en continuant de soutenir que le niqab n’a pas sa place dans une société ouverte où le principe de liberté et d’égalité doit être de mise et où les valeurs nationales doivent être respectées. Il a souligné le fait qu’au Québec, la majorité de la population est contre le port du niqab et n’a pas manqué de relever que cet enjeu sème la division au sein du Nouveau parti démocratique à cause de la position de son chef.

Stephen Harper sur cet enjeu présente à peu près la même position que Gilles Duceppe le chef du Bloc québécois. Ce souverainiste a réaffirmé l’idée qu’il n’est pas question pour le Bloc de laisser « la femme s’effacer de l’espace public » à cause du voile. Malgré cette position commune avec M. Harper, Gilles Duceppe a tenu à dénoncer « l’hypocrisie » du premier ministre en soutenant que celui-ci a introduit cet enjeu par opportunisme politique pour marquer des points, pourtant parallèlement il livre des armes en Arabie-Saoudite, un pays qui ne se distingue pas particulièrement par le respect des droits des femmes.

Une attaque qui rejoint celle de Thomas Mulcair qui a affirmé que les conservateurs ont déposé un projet de loi sur le niqab juste avant le début de la campagne électorale et en ont fait un enjeu électoral uniquement pour servir leurs intérêts auprès des électeurs. Pour lui, les conservateurs auraient savamment scénarisé l’enjeu du jugement rendu en février dernier au sujet de la femme qui avait refusé d’enlever son niqab à des fins d’identification lors de la cérémonie de citoyenneté.

Thomas Mulcair a également souligné le fait qu’au lendemain de l’audience du16 septembre 2015, les conservateurs qui avaient eu à commander un sondage pour savoir ce que les Canadiens pensent du niqab ont remis la question sur la table, confortés par l’idée que la population est majoritairement contre le port du voile islamique pendant la cérémonie de citoyenneté.

Des Afghanes totalement voilées
Des Afghanes totalement voilées © Zohra Bensemra / Reuters

Trudeau paie moins le prix que  Mulcair

Le chef du parti libéral, Justin Trudeau qui a toujours défendu le respect des droits et des libertés pour tous, a déclaré vouloir se concentrer sur les « vraies affaires » et laisser de côté la politique de division que veut mener le parti conservateur avec l’introduction de l’enjeu du niqab dans la campagne électorale. Il a soutenu que cet enjeu ne crée aucun emploi et a manifesté ses inquiétudes sur l’islamophobie et la radicalisation qu’un tel enjeu pourrait avoir comme conséquences. Il a interpelé le chef conservateur sur les questions de l’avortement, du droit des gais, de l’aide médicale à mourir et invité ce dernier à dire clairement quelles sont ses positions. Monsieur Trudeau qui adopte la même position que le chef du Nouveau parti démocratique sur la question du niqab paie moins le prix que Thomas Mulcair.

À la suite de ce 5e débat, peut-on penser que monsieur Mulcair qui avait le vent dans les voiles au début de la campagne est parvenu à laisser derrière lui l’enjeu sur le niqab et qu’il va réussir à remonter la pente en se positionnant comme le seul parti du changement capable de remplacer le Parti conservateur de Stephen Harper au pouvoir ? Avec le dernier sondage qui démontre une lutte serrée entre le Parti libéral du Canada qui est désormais premier au pays et le Parti conservateur deuxième, cela relève d’une véritable gageure pour Thomas Mulcair.

Sa formation, le Nouveau parti démocratique occupe à présent la troisième place dans les intentions de vote. Il ne lui reste que deux semaines pour rappeler aux électeurs qu’ils veulent le changement depuis des années et qu’ils ne doivent pas se laisser distraire par le niqab. À la question de savoir qui va former le nouveau gouvernement fédéral à deux semaines du vote, la réponse reste difficile à donner, puisque tout peut influencer les électeurs canadiens dont l’attention est en ce moment focalisée sur le niqab devenu un enjeu énorme.

À la source du problème du niqab

En effet, la cour d’appel fédérale a rejeté l’appel déposé par Ottawa dans une décision rendue sur le banc. Le gouvernement fédéral souhaitait que le jugement précédent de la cour fédérale rendu en février 2015 pour invalider la directive ministérielle visant à interdire aux femmes de porter le voile pour prêter serment soit infirmé. Au centre de cette cause se trouve une femme d’origine pakistanaise. C’est Zunera Ishaq qui est âgée de 29 ans. Celle-ci, au nom de ses principes religieux, avait refusé d’enlever son voile pour être identifiée pendant une cérémonie de citoyenneté en 2008.

La cour, dans son jugement de février 2015, avait estimé que la directive ministérielle transcendait l’actuelle réglementation et constituait une atteinte à la liberté des juges dans l’application de la réglementation. Malgré le plaidoyer de l’avocat du ministère de la Justice sur le fait que le juge avait commis des erreurs en décidant d’infirmer l’interdiction du port du niqab, le tribunal a maintenu qu’il n’avait aucune raison d’interférer dans la décision précédente.

Cette décision du tribunal a pour effet d’autoriser clairement la plaignante, madame Zunera Isahq à prêter serment lors de la cérémonie de citoyenneté en étant voilée. Il demeure que les juges n’ont pas encore statué sur l’aspect constitutionnel de cette affaire étant donné que la loi n’avait pas été modifiée. C’est le gouvernement Harper qui en 2011 avait adopté la directive ministérielle visant à interdire de se voiler le visage. Cette décision avait suscité beaucoup de réactions à la chambre des communes.

À la veille de l’ajournement des travaux de cette chambre le 18 juin 2015, le gouvernement Harper avait déposé le projet de loi C-75 visant à modifier la Loi sur la citoyenneté et la réglementation pour forcer la prestation de serment de citoyenneté à visage découvert. Avec le déclenchement des élections, ce projet de loi a simplement été classé.

Catégories : Politique, Société
Mots-clés : , , ,

Vous avez remarqué une erreur ou une faute ? Cliquez ici !

Pour des raisons indépendantes de notre volonté et, pour une période indéterminée, l'espace des commentaires est fermé. Cependant, nos réseaux sociaux restent ouverts à vos contributions.