Photo : Radio-Canada

D’où venez-vous? Est-ce une curiosité bienveillante ou du racisme systémique?

En cette Journée internationale du vivre ensemble en paix, nous revisitons un ouvrage, celui de l’essayiste Rachida Azdouz, intitulé Le vivre ensemble n’est pas un rince-bouche,  qui porte la parole des « manoritaires », un concept qu’elle a créé de toute pièce pour mieux se faire comprendre dans un contexte où le débat identitaire polarise les extrêmes et divise la société.

Unis dans la différence et dans la diversité

Les Nations unies ont adopté l’année dernière une résolution proclamant le 16 mai comme Journée internationale du vivre ensemble dans la paix.

Une journée riche en signification à l’échelle mondiale du fait qu’elle se fonde sur les valeurs de tolérance, de paix, d’inclusion, de compréhension, de solidarité et d’harmonie, malgré les différences.

Vivre ensemble en paix, c’est accepter les différences, être à l’écoute, faire preuve d’estime, de respect et de reconnaissance envers autrui et vivre dans un esprit de paix et d’harmonie. ONU

Être différents et vivre ensemble dans la même société : le sens du bien commun, selon Rachida Hazdouz. Photo Credit : istock

« Le vivre ensemble n’est pas un rince-bouche »

On se gargarise avec l’expression « vivre ensemble » un peu partout dans le monde, affirme Rachida Hazdouz, au micro de notre collègue Stéphane Parent.

Bien que la psychologue et spécialiste de questions interculturelles se défend d’avoir produit un ouvrage scientifique, elle admet le caractère académique qui proclame sa pertinence.

En observatrice et actrice avisée de la scène culturelle, elle décortique les différentes conceptions et définitions en contradiction autour de la notion du vivre ensemble.

Comprendre pourquoi ça coince

Les gens veulent-ils vraiment vivre ensemble, s’interroge Mme Azdouz, en face de l’impasse qui perdure dans certaines sociétés.

Si les gens veulent vivre ensemble, quel modèle devraient-ils privilégier? Le multiculturalisme, l’interculturalisme ou l’assimilationnisme?

Le débat reste très polarisé, pris en étau, en Europe notamment, entre l’extrême gauche et l’extrême droite qui ne mènent en réalité que de faux débats, avec des argumentaires semblables, sans réellement proposer d’issues concrètes et efficaces, observe la professeure d’université.

« Au Canada, ça va tant qu’il y a des relations entre les gens, malgré les différences »

On ne peut pas parler de ghettos au Canada, encore moins au Québec, par rapport à la France, par exemple, d’où un certain optimisme en ce qui concerne le vivre ensemble.

Le mariage pour tous est possible, toutes les minorités se sentent plus ou moins respectées, mais le multiculturalisme national demeure un sujet que pourfend Rachida Azdouz.

Le motif étant qu’il permet d’entretenir un certain racisme et une certaine discrimination.

Respecter la différence, tolérer certaines marges et des identités multiples, avoir le droit à la dissidence, voire même au repli, c’est cela « vivre ensemble », clame Rachida Azdouz qui se sert de la thérapie du couple comme exemple illustrant le chemin qui mène à l’entente permettant de mieux colmater les brèches quand ça va mal, applicable à l’ensemble de la société. En clair, il faut agir à travers des solutions palpables plutôt que faire trop de bruits sans en réalité proposer des issues.

Le débat sur le vivre ensemble ne devrait pas se transformer en objet de combat, mais être vu comme une vraie conversation avec ceux avec lesquels on n’est pas toujours d’accord.

Le livre met en garde contre les leaders autoproclamés qui alimentent le bruit ambiant sans nécessairement faire de proposition.

L’extrême polarisation du débat et la lâcheté de ne pas dire certaines choses de peur d’être récupérés par l’extrême droite contribuent à alimenter le fonds de commerce de certains politiciens qui ont fait de la question identitaire un enjeu électoral.

La psychologue fustige aussi la médiatisation à outrance de certains problèmes autour du vivre ensemble, à l’instar de la sous-représentation de la diversité dans les médias, dans la littérature ou dans les films, du sous-emploi des immigrants qualifiés, sans qu’il y ait de réelles réponses.

Elle se demande si la question suivante très souvent posée aux immigrants : d’où venez-vous? relève d’une simple curiosité bienveillante ou du racisme systémique, qui masquent mal des peurs réelles et peuvent traduire un sentiment de rejet de l’autre.

Dans le but de défendre une minorité, faut-il obliger l’autre à se taire?

Non, répond Mme Azdouz qui souhaite que tous les points de vue soient entendus, sauf ceux qui sont violents.

Elle soutient que le multiculturalisme n’est pas une solution, tout comme l’assimilationnisme et l’interculturalisme.

C’est pourquoi elle se demande si réellement « vivre ensemble » c’est : « vivre et laisser vivre, vivre contre, vivre envers et contre, vivre avec ou faire vivre l’autre comme moi », concilier l’assimilationnisme et l’interculturalisme.

En réponse, l’interculturalisme, selon elle, présente une pierre d’achoppement, car il existe des cultures majoritaires francophone et anglophone au Canada. C’est autour de ces cultures communes que l’on construit la société interculturelle. Pourtant, en réalité, il n’y a pas de peuples fondateurs qui doivent imposer aux autres des valeurs communes, les peuples autochtones ayant également des valeurs à faire partager.

Quand un modèle se heurte à de telles contradictions, il faut trouver une autre approche et respecter le droit à la différence et la reconnaissance d’une culture qui nous a précédés.

« Plus les sociétés se diversifient, plus il devient difficile d’associer des individus à une seule case identitaire […] Les identités multiples et l’hybridation sont en train de nous transformer en manoritaires. Il s’agit de minorités variées qui deviennent majoritaires. »- Rachida Hazdouz

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Catégories : Immigration et Réfugiés, Société
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