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En 2020, les douaniers américains peuvent toujours exiger vos mots de passe

Attention si vous planifiez un déplacement vers les États-Unis en cette période du Nouvel An! Malgré une récente décision d’un important tribunal américain, le mois dernier, il appert que les agents frontaliers américains peuvent encore largement forcer les visiteurs canadiens à leur fournir leurs mots de passe afin qu’ils puissent accéder aux contenus des téléphones intelligents ou des ordinateurs portables.

(Loren Elliott/Reuters)

Le 12 novembre, la Cour fédérale de Boston a statué que la fouille d’un téléphone ou d’un ordinateur portable, sans déclarer à leurs propriétaires de motifs préalables de suspicion, constitue une violation du quatrième amendement de la Constitution des États-Unis.

Des demandeurs dans cette cause ont allégué que les agents frontaliers américains ont arbitrairement exigé l’accès à leurs appareils aux aéroports américains ou aux points de contrôle frontaliers canado-américains.

L’un des plaignants était un avocat, dont l’appareil contenait des échanges confidentiels avec des clients. Un autre plaignant était un journaliste, qui craignait que des agents ne lisent ses discussions confidentielles avec des sources.

L’Electronic Frontier Foundation a célébré cette décision en déclarant que le jugement de la Cour fédérale de Boston signifiait que les voyageurs canadiens pouvaient désormais traverser la frontière en auto ou en avion sans craindre de voir leurs biens électroniques fouillés sans motif, car le tribunal mettait fin à cette pratique. Pas si vite, disent maintenant des avocats canadiens.

Une augmentation exponentielle des fouilles des appareils électroniques
Du point de vue du gouvernement américain, la fouille des appareils électroniques est essentielle à l’application de la loi et à la protection des Américains, et elle touche moins de 0,01 pour cent des voyageurs qui entrent au pays. Dans les faits, l’an dernier, le gouvernement américain a effectué plus de 33 000 perquisitions, soit presque quatre fois plus que trois ans auparavant.

ASSOCIATED PRESS / MICHAEL CONROY

Dans les faits, une décision extrêmement limitée dans ses effets

(Elaine Thompson/Associated Press)

En dépit de cette décision qui a été très médiatisée, les avocats canadiens préviennent ceux qui songent à se rendre aux États-Unis durant la période très achalandée des fêtes.

Ils affirment que la décision du tribunal américain a une portée très limitée et que le contenu des appareils électroniques demeure vulnérable aux regards inquisiteurs de presque tous les douaniers américains.

Ces avocats canadiens expliquent que le jugement de la Cour fédérale de Boston n’a pas de poids immédiat au-delà de l’aéroport Logan à Boston. « Mes conseils habituels à mes clients ne changeraient pas « , déclare à CBC News Me Andrea Vaitzner, avocate en droit de l’immigration à Norton Rose Fulbright à Montréal.

L’avocate renchérit : « Je leur conseillerais toujours de ne rien garder sur leurs appareils qu’ils ne voudraient pas qu’un agent[des douanes et de la protection des frontières des États-Unis. Je leur suggère de nettoyer leurs téléphones et ordinateurs portables et d’enregistrer les documents à distance dans le cloud storage. »

Les voitures s’alignent pour traverser la frontière américaine vis à vis de à Saint-Bernard-de-Lacolle, au Québec. Le nombre de recherches d’appareils électroniques aux points d’entrée américains a considérablement augmenté depuis 2017. (Don Emmert/AFP/Getty Images)

Henry Chang (Blaney McMurtry LLP)

Me Henry Chang, avocat à Toronto au sein du cabinet Dentons et spécialiste des questions d’immigration entre le Canada et les États-Unis, qualifie la décision du tribunal américain dans cette affaire d’étape certes positive dans la protection du droit à la vie privée. Mais, prévient-il à son tour, « les décisions d’un tribunal fédéral de district ne sont contraignantes dans aucun autre district. »

En termes pratiques, a dit M. Chang, cela signifie que le verdict n’a pas d’impact en dehors de l’aéroport international de Logan à Boston.

Il explique : « Un douanier américain à l’aéroport international de Toronto n’est pas lié par cette décision. Ni un agent à la frontière terrestre Detroit-Windsor, ni même à l’aéroport de Los Angeles. Aucun de ces endroits ne se trouve dans le district[de la Cour fédérale] du Massachusetts. »

Les douaniers canadiens ont aussi le droit de réclamer l’accès aux mots de passe

Les douaniers ont le droit de fouiller les appareils électroniques, indique l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), s’ils cherchent des éléments de preuve d’infraction douanière, et ce, sans mandat, comme ils le font pour les bagages.

Me Nick Wright l’a appris à ses dépens, lorsque le 10 avril dernier il a refusé de donner à un douanier canadien, à l’aéroport international de Toronto les codes permettant de déverrouiller son téléphone et son ordinateur portable.

Me Nick Wright (CBC)

L’avocat torontois revenait d’un voyage d’affaires au Guatemala et en Colombie. Il alléguait que ces appareils contenaient des informations confidentielles protégées par le secret professionnel. En confisquant ces biens, l’agent frontalier lui a expliqué qu’ils seraient expédiés dans un laboratoire du gouvernement, où l’on tenterait de déchiffrer ses mots de passe afin d’inspecter les fichiers numériques.

L’ASFC ajoute qu’il est tout à fait légal pour un agent de saisir ainsi les appareils si un voyageur refuse de donner ses mots de passe. Entre novembre 2017 et mars 2019, plus de 19 500 voyageurs ont subi l’inspection de leurs appareils numériques. Dans 38 % des cas, les douaniers ont découvert une infraction.

Les jugements survenus ces six dernières années au Canada ont défini que l’inspection du contenu d’un cellulaire doit se faire de façon raisonnable, réglementée et limitée. Une définition qui introduit plusieurs zones de gris. Des doutes persistent donc quant au droit des employés de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) d’effectuer ce genre de fouilles.

Des avocats de partout au Canada soutiennent que les perquisitions de tels appareils par nos douaniers sont inconstitutionnelles, et qu’elles devraient cesser, ou du moins être limitées. PHOTO : REUTERS / CHRIS HELGREN

RCI avec les informations de Alexander Panetta de CBC News et la contribution de Radio-Canada 

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