Cette photo publiée par le ministère arménien de la défense prétend montrer l'épave d'un drone turc Bayraktar TB2 abattu par les forces arméniennes au Haut-Karabakh lundi. Le drone est équipé de capteurs électro-optiques canadiens. (Photo : Ministère de la Défense arménien/Twitter)

L’Arménie dit avoir trouvé de la technologie canadienne sur un drone turc

Le premier ministre arménien Nikol Pashinyan a exhorté la communauté internationale mardi à suivre l’exemple du Canada en suspendant les exportations de technologie militaire vers la Turquie – après que ses responsables militaires aient affirmé avoir trouvé des composants canadiens sur un drone turc abattu.

M. Pashinyan a lancé cet appel un jour après que des responsables du ministère de la défense arménien aient présenté ce qu’ils prétendaient être des éléments d’un drone de combat turc ainsi que ses capteurs électro-optiques fabriqués au Canada.

Un porte-parole du ministère arménien de la Défense a déclaré que le drone turc Bayraktar TB2 avait été abattu par des unités de défense aérienne arméniennes lors de combats au Haut-Karabakh lundi soir.

Les autorités militaires arméniennes ont affirmé que le drone de surveillance et d’attaque était équipé d’une caméra et d’un système d’acquisition de cibles à la pointe de la technologie, produits par L3 Harris WESCAM à Burlington, en Ontario.

Արցախի ՊԲ ՀՕՊ ստորաբաժանման կողմից երեկ խոցված թուրքական Bayraktar TB2 մարտական ԱԹՍ-ի հեռակառավարվող տեսախցիկը L-3…

Posted by Shushan Stepanyan on Tuesday, October 20, 2020

LÉGENDE : Publication Facebook de la porte-parole du ministère arménien de la défense concernant le système WESCAM CMX-15D que les autorités arméniennes disent avoir retrouvé sur un drone turc. 

Le système WESCAM CMX-15D a été fabriqué en juin de cette année et installé sur le Bayraktar TB2 abattu en septembre, a déclaré Shushan Stepanyan, porte-parole du ministère arménien de la Défense.

L’analyse des données recueillies sur l’appareil, qui permet aux opérateurs de drones de voir et de désigner des cibles au sol, et d’y diriger des missiles et des bombes, a révélé qu’il avait fonctionné pendant un total de 31 heures, a précisé Mme Stepanyan.

Des hommes se tiennent debout parmi les ruines d’une maison suite à un récent bombardement survenu dans le cadre d’un conflit militaire dans la région séparatiste du Haut-Karabakh, à Stepanakert, le 17 octobre 2020. (Photo : Reuters)

Les combats dans la région séparatiste du Haut-Karabakh en Azerbaïdjan, où vivent principalement des Arméniens, ont commencé le 27 septembre. Il s’agit de la plus importante escalade de violence depuis qu’un cessez-le-feu négocié par la Russie a mis fin aux hostilités en 1994.

L’Arménie a accusé à plusieurs reprises la Turquie de fournir des armes à l’Azerbaïdjan – notamment des drones et des avions de chasse F-16 – ainsi que des conseillers militaires et des mercenaires syriens djihadistes qui seraient directement impliqués dans les combats.

Les autorités arméniennes ont également accusé l’Azerbaïdjan d’utiliser les drones turcs non seulement pour cibler les forces armées, mais aussi pour mener des frappes contre les infrastructures civiles dans tout le Haut-Karabakh ainsi qu’en Arménie.

La Turquie et l’Azerbaïdjan ont nié ces rapports et ont à leur tour accusé l’Arménie de bombarder des zones civiles près de la ligne de front, mais aussi dans la deuxième plus grande ville du pays, Ganja.

Timur Xaligov porte sa fille Narin, âgée de 10 mois, qui a été tuée avec cinq autres membres de sa famille, dont sa mère Sevil, lorsqu’une roquette a frappé leur maison lors de combats dans la région séparatiste du Haut-Karabakh, dans la ville de Ganja, en Azerbaïdjan, le 17 octobre 2020. (Photo : Umit Bektas/Reuters)

Des représentants d’Affaires mondiales Canada ont déclaré qu’ils enquêtaient actuellement sur les allégations concernant l’utilisation de technologie canadienne militaire dans le conflit au Haut-Karabakh et qu’ils « continuaient à évaluer la situation ».

Tant que l’enquête sera en cours, il n’y aura pas de reprise des exportations, ont ajouté les agents.

« Nous continuons à appeler les deux parties à renoncer immédiatement à l’usage de la force, à respecter le cessez-le-feu et à protéger les civils », a indiqué Affaires mondiales Canada dans un communiqué.

Les responsables des ambassades de Turquie et d’Azerbaïdjan n’ont pas répondu à temps à la demande de commentaires de Radio Canada International sur le dernier rapport concernant le drone abattu.

VIDÉO : Entrevue (en anglais) de l’émission Power & Politics de CBC avec l’ambassadeur turque au Canada réalisée le 6 octobre. L’ambassadeur dit ne pas savoir si la technologie canadienne est utilisée dans le conflit au Haut-Karabakh.

Cependant, dans une entrevue accordée à l’émission Power & Politics du réseau CBC News Network le 6 octobre, l’ambassadeur de Turquie au Canada, Kerim Uras, n’a ni confirmé ni nié la présence de drones turcs en Azerbaïdjan.

« Je suis prêt à affirmer que les drones, en ciblant précisément l’agresseur, respectent en réalité les droits de l’homme », a déclaré M. Uras à Power & Politics, ajoutant que la suspension des exportations vers la Turquie était injustifiée.

« Nous pensons que c’est surprenant, que c’est injustifié, que c’est précipité, que cela ne va pas dans le sens de la solidarité entre alliés et que cela revient à récompenser l’agresseur », a-t-il ajouté.

« Suivez l’exemple du Canada »

Dans une publication sur sa page Facebook, le premier ministre arménien Pashinyan a déclaré que durant les 23 jours de guerre, les forces arméniennes avaient abattu une douzaine de drones Bayraktar TB2, mais que c’était la première fois qu’elles pouvaient récupérer une épave, car elle s’était écrasée sur un territoire contrôlé par l’armée arménienne.

« Ce fait prouve l’implication directe de la Turquie dans la guerre terroriste contre l’Artsakh et les préparatifs de celle-ci », a écrit mardi M. Pashinyan, faisant référence au nom arménien du Haut-Karabakh.

« Et, sur cette base, les pays qui fournissent à la Turquie les composants nécessaires aux [drones] ‘Bayraktars’ devraient suivre l’exemple du Canada et suspendre tout approvisionnement ultérieur ».

Nikol Pashinyan, premier ministre de l'Arménie

Vidéo du capteur WESCAM, fabriqué au Canada, embarqué sur le drone turc abattu

Kelsey Gallagher, un chercheur de l’ONG canadienne de désarmement Project Ploughshares qui a analysé les exportations canadiennes de technologie de drones vers la Turquie, a déclaré que même si l’on ne sait pas exactement où le drone a été abattu, il ne doutait pas que l’appareil présenté par l’armée arménienne était un système WESCAM CMX-15D fabriqué au Canada.

« C’est la vidéo la plus nette que nous ayons de l’un d’entre eux abattu n’importe où », a déclaré M. Gallagher.

« Nous avons vu la Turquie exporter les TB2 [Bayaraktar] vers la Libye, certainement en violation de l’embargo sur les armes de l’ONU, vers leurs alliés là-bas. Et nous les avons vus commencer à les vendre à d’autres pays, il serait donc logique qu’ils les envoient en Azerbaïdjan. »

Toutefois, il est illégal de détourner ces drones vers l’Azerbaïdjan sans obtenir la permission du Canada, a précisé M. Gallagher.

Chaque fois qu’un système d’arme canadien est exporté à l’étranger, il doit obtenir une licence d’exportation approuvée par Affaires mondiales Canada, a-t-il ajouté.

Cette licence d’exportation doit indiquer spécifiquement qui est le destinataire prévu et à quoi servira le système d’arme.

La communauté arménienne du Canada a rejoint l’ONG de désarmement Project Ploughshares dans sa demande au gouvernement fédéral d’interdire l’exportation vers la Turquie de capteurs et de systèmes de ciblage WESCAM fabriqués au Canada. Un drone turc Bayraktar TB2 est photographié avec son capteur WESCAM MX-15D et son système de ciblage placés sous son ventre. (Birol Bebek/AFP/Getty Images)

M. Gallagher a précisé que ces capteurs électro-optiques WESCAM ont été exportés en Turquie en « gros volumes » depuis 2017, mais rien n’indique qu’ils aient été exportés en Azerbaïdjan.

« Ils ne devraient pas être là-bas [au Haut-Karabakh] parce que l’Azerbaïdjan ne serait pas considéré comme le destinataire prévu », a souligné le chercheur.

« Donc, essentiellement, [les capteurs électro-optiques WESCAM] ont été remis à l’Azerbaïdjan via la Turquie et cette relation est illicite. »

Kelsey Gallagher, chercheur de l'ONG de désarmement Project Ploughshares

« Nous ne parlons pas de quelques caméras »

Le ministre des Affaires étrangères canadien, François-Philippe Champagne, a suspendu la licence d’exportation pour les exportations de WESCAM vers la Turquie en attendant les résultats de l’enquête visant à déterminer si ces appareils ont été utilisés par l’Azerbaïdjan dans la lutte contre les forces arméniennes au Haut-Karabakh.

S’adressant à la presse vendredi, à la fin de sa tournée européenne où il a évoqué avec les alliés de l’UE et de l’OTAN la guerre au Haut-Karabakh et les tensions entre la Turquie et la Grèce en Méditerranée orientale, M. Champagne a déclaré qu’il avait été très ferme avec son homologue turc Mevlut Cavusoglu.

Le ministre canadien des Affaires étrangères, François-Philippe Champagne, s’exprime lors d’une conférence de presse conjointe avec son homologue grec, Nikos Dendias, après leur rencontre, à Athènes, le mardi 13 octobre 2020. (Photo : Petros Giannakouris/AP Photo)

« Je pense que lors de ma discussion avec le ministre turc des Affaires étrangères, j’ai été très clair quant au cadre juridique qui existe au Canada en ce qui concerne le régime de contrôle des exportations, que le Canada était signataire du Traité sur le commerce des armes, que les droits de l’homme sont une composante essentielle de notre législation et que je respecterais l’esprit et la lettre de la loi », a affirmé M. Champagne.

« Je pense qu’il a compris cela, je pense qu’il respecte la position du Canada et que nous avons été très transparents dans notre approche et je n’hésiterai certainement pas à suspendre tout permis ou à annuler tout permis lorsqu’il y a une allégation ou une preuve que l’équipement en question serait utilisé contrairement au droit canadien. »

François-Philippe Champagne, ministre des Affaires étrangères canadien

Mais une remarque spontanée de M. Champagne qui a dit qu’il était important de comprendre que « nous parlons de quelques caméras » fait craindre à Project Ploughshares et à la communauté arménienne du Canada que le gouvernement fédéral cherche un moyen de reprendre les exportations de ces appareils dans un avenir proche.

Selon M. Gallagher, les capteurs électro-optiques WESCAM sont plus que de simples caméras.

« Sans ces capteurs, la Turquie ne serait pas en mesure de mener des frappes aériennes modernes telles que nous les connaissons », a expliqué le chercheur de Project Ploughshares. « Et toute armée qui reçoit des drones turcs sans ces capteurs ne serait pas non plus capable de mener des frappes aériennes modernes telles que nous les connaissons. »

La communauté arménienne du Canada a également contesté une partie des commentaires de M. Champagne.

« On ne parle pas de quelques caméras. Nous parlons du sang arménien sur les mains des Canadiens », a déclaré le Comité national arménien du Canada (ANCC).

Adaptation française: Mathiew Leiser.

Catégories : International, Politique
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