La communauté arménienne du Canada rejoint l'ONG de désarmement Project Ploughshares dans sa demande au gouvernement fédéral d'interdire l'exportation vers la Turquie de capteurs et de systèmes de ciblage WESCAM fabriqués au Canada. Un drone turc Bayraktar TB2 est photographié avec son capteur WESCAM MX-15D et son système de ciblage placés sous son ventre. (Birol Bebek/AFP/Getty Images)

Ottawa cessera la vente d’armes à la Turquie s’il y a violation de droits de l’homme

Le Canada serait prêt à suspendre les permis d’exportation militaires accordés à la Turquie si une enquête vient à confirmer que la technologie d’armement canadienne entraîne des violations des droits de la personne.

L’annonce a été faite par le ministre des Affaires étrangères François-Philippe Champagne dans une entrevue avec La Presse canadienne. M. Champagne répondait ainsi aux appels d’organismes, d’associations de Canadiens arméniens et de néo-démocrates.

Ils demandent la suspension des exportations de capteurs électro-optiques fabriqués par une société de Burlington, en Ontario, qui seraient utilisés dans des drones d’attaque turcs.

La Turquie, membre de l’OTAN avec le Canada, serait impliquée dans les combats de cette semaine opposant l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Les Turcs ont déclaré soutenir l’Azerbaïdjan dans le conflit qui a repris dimanche dans le Haut-Karabakh, une région séparatiste du Caucase du Sud.

Le Haut-Karabakh, majoritairement peuplé d’Arméniens, faisait partie de la République socialiste soviétique d’Azerbaïdjan. Depuis la dislocation du bloc soviétique, le territoire lutte pour son indépendance ou son rattachement à l’Arménie. Il a officiellement déclaré son indépendance en 1991, mais cette dernière n’est reconnue par aucun membre de l’ONU.

Des hostilités entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan ont suivi et cessé en mai 1994. Le conflit a repris temporairement en avril 2016 et depuis la fin de septembre 2020.

L’Arménie et l’Azerbaïdjan échangent des tirs dans la région du Haut-Karabakh. (Radio-Canada/Google)

Dans les combats de ces deniers jours, l’Arménie a accusé la Turquie de redéployer ses forces engagées en Syrie pour soutenir l’armée azerbaïdjanaise. Des accusations que la Russie a réfutées, disant n’avoir envoyé ni armes ni personnel.

La communauté internationale appelle les deux forces en conflit à mettre fin à ces combats particulièrement meurtriers et à négocier un cessez-le-feu sous l’égide de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE).

Dans la matinée de vendredi, pour la première fois depuis le début des hostilités, l’Arménie s’est dite favorable à la reprise des négociations pour un cessez-le-feu.

L’implication canadienne

Selon un rapport de l’ONG canadienne pour le désarmement Project Ploughshares, la Turquie utiliserait de plus en plus un capteur électro-optique fabriqué par L3Harris WESCAM, une filiale canadienne de la société américaine L3Harris.

L’ONG avancerait aussi que cette utilisation présente un risque substantiel de violations des droits de la personne.

Dans son rapport publié en septembre, elle avance que la Turquie utiliserait les capteurs canadiens depuis 2017 dans diverses opérations militaires en Syrie, en Irak, en Libye ainsi que dans le sud-est turc pour y arrêter une insurrection.

« L’exportation par le Canada de capteurs WESCAM vers la Turquie pose un risque important dans la mesure où elle contribue à la souffrance humaine, notamment aux violations des droits de l’homme et du droit humanitaire international », indique le rapport.

En ce qui a trait au conflit dans le Haut-Karabakh, malgré que la Turquie dit n’avoir envoyé aucune arme ni personnel, un groupe d’expert en armement contacté par la branche anglophone de Radio Canada International avance que selon des vidéos de drones diffusées par le gouvernement azerbaïdjanais, il s’agit bien de drones équipés de capteurs et systèmes de ciblage au laser canadiens.

Capture d’écran tirée d’une vidéo de drone diffusée par le ministère de la défense azerbaïdjanais, qui prétend montrer un drone de combat azerbaïdjanais visant une unité de défense aérienne arménienne. Selon les experts consultés par RCI English, les marques distinctives sur la vidéo sont identiques à l’interface graphique des systèmes de ciblage optique et laser WESCAM produits au Canada et déployés sur les drones turcs. (Azerbaïdjan MOD/YouTube)

À cela, le ministre Champagne a précisé qu’il était prêt à « suspendre ou à annuler tout permis » qui aurait été mal utilisé, rapporte La Presse canadienne.

« J’ai immédiatement ordonné à nos fonctionnaires d’enquêter sur les allégations. » François-Philippe Champagne, ministre canadien des Affaires étrangères

François-Philippe Champagne a ajouté qu’il s’était engagé à « respecter les normes les plus élevées » lors de l’examen des demandes de permis d’exportation des entreprises, et cela en suivant l’engagement du Canada envers le Traité sur le commerce des armes des Nations unies.

Le gouvernement libéral sous pression

Cette semaine, de nombreuses personnes ont appelé le gouvernement de Justin Trudeau à se prononcer sur ce conflit.

Mardi, le Comité national arménien du Canada (CNAC) a lancé une pétition appelant le ministre des Affaires étrangères canadien à « condamner cette agression pure et simple » de l’Azerbaïdjan et à interrompre immédiatement les exportations d’armes vers la Turquie.

« Le Canada devient de fait complice des crimes commis par l’Azerbaïdjan et la Turquie. C’est odieux et tout simplement inacceptable, et la communauté canado-arménienne exige des explications claires », peut-on lire dans la lettre adressée à M. Champagne.

Le ministre des Affaires étrangères François-Philippe Champagne a ouvert une enquête pour établir si la technologie militaire canadienne participait à la violation des droits de l’homme. (Adrian Wyld/The Canadian Press)

Aux demandes du CNAC ce sont ajoutées celles du porte-parole du NPD pour les affaires étrangères, Jack Harris.

Il demande à ce que le gouvernement libéral fasse tout « ce qu’il peut pour favoriser une désescalade et relancer les efforts visant à parvenir à un accord négocié pacifiquement entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan ».

Le député néo-démocrate se dit aussi inquiet de l’implication du Canada dans ces combats et demande une enquête pour s’assurer que le pays n’est pas « complice de violations des droits de l’homme, de violation du traité sur le commerce des armes et de favoriser ce conflit ».

« Le gouvernement libéral doit se regarder dans le miroir pour réévaluer les exportations d’armes du Canada. »Jack Harris, porte-parole du NPD pour les affaires étrangères

Lors de l’entrevue avec La Presse canadienne, M. Champagne a indiqué qu’il prenait au sérieux les obligations juridiques du Canada en ce qui concerne les demandes de permis d’exportation.

Il a déclaré « s’assurer qu’ils s’inscrivent dans le système très robuste que nous avons », ajoutant que « les droits de l’homme sont désormais une composante essentielle ».

Pour ce qui est des délais de l’enquête menée par le gouvernement, le ministre a refusé d’en indiquer la durée, mais a dit travailler avec l’OTAN et d’autres alliés pour obtenir des informations de qualité.

Avec les informations du Comité national arménien du Canada, du NPD, de La Presse canadienne et Levon Sevunts de Radio Canada International English.

Catégories : International, Politique
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