Des jeunes de Sagkeeng observent les photos de quelques-unes des femmes et filles autochtones disparues érigées sur un mur, à l’occasion de la présentation d’un rapport spécial, le 12 mars 2019, sur la mort de Tina Fontaine, une jeune fille de 15 ans, au Sagkeeng Mino Pimatiziwin Family Treatment Center, dans la communauté des Premières Nations Man de Sagkeeng. Crédit : La Presse canadienne/John Woods

« Pas plus de larmes, pas plus de rapports, mais plus d’action » – G. Picard

Le chef de l’Assemblée des Premières Nations du Québec-Labrador, Ghislain Picard, s’est exprimé à la suite de plusieurs autres chefs d’organisations autochtones qui ont pris la parole durant la conférence de presse samedi. Celle-ci s’est tenue à la veille de la 11e vigile pour les femmes et filles autochtones disparues et assassinées.

« Cela fait trop longtemps que les rapports ramassent la poussière sur les tablettes, je n’en dirai pas plus. Il est grand temps de poser les gestes attendus. »Ghislain Picard

Cette vigile, qui se déroule le 14 février, jour de la Saint-Valentin, revêt une signification toute particulière pour les membres de la communauté autochtone. C’est du moins ce qu’a souligné Michèle Audette, l’ex-commissaire de l’Enquête nationale sur les femmes et filles autochtones disparues et assassinées (ENFFADA).

C’est une manière de se souvenir d’une journée en particulier de l’année 1992 où le corps de Cheryl Ann Joe a été retrouvé. C’était dans un stationnement, près du quai de chargement d’un entrepôt, à Vancouver. Depuis, cette vigile est devenue nationale afin qu’aucune membre des communautés manquant à l’appel ne soit oubliée.

Comme l’a relevé Mme Audette, il y a eu des rapports d’enquête et des appels à l’action et à la justice, pourtant des femmes et filles continuent d’être victimes d’atrocité au Canada et ailleurs dans le monde. Les dirigeants, à quelque niveau que ce soit, doivent répondre à l’appel, a-t-elle dit, en plus de saluer les efforts des médias et de tous ceux et celles qui œuvrent afin de faire avancer la société.

Le nom de Joyce Echaquan est revenu à maintes reprises au cours de cette conférence. Il s’agit d’une femme autochtone qui a récemment perdu la vie, dans des circonstances troubles, dans un hôpital de Joliette au Québec. Ce nom, comme bien d’autres, retentira une fois de plus à l’Assemblée nationale dimanche. Le conjoint de Mme Echaquan se joindra aux autres leaders autochtones, dont Michèle Audette, qui marcheront vers le parlement pour faire entendre leur cause.

« Pour l’amour de Joyce et de nos sœurs d’esprit, j’invite les personnes et les gouvernements à honorer la vérité des femmes et filles autochtones. Nous avons la responsabilité de donner vie aux appels à la justice. » Michèle Audette

Des gens avaient manifesté l’année dernière pour demander justice, après la mort de Joyce Echaquan, à l’hôpital de Joliette. (Archives, Photo : Ivanoh Demers/Radio-Canada)

Appel aux actions concertées

C’est en groupe que les organisations autochtones pourront mieux faire valoir leurs doléances. C’est pourquoi elles misent sur la collaboration et le partenariat. Elles demandent aux gouvernements de faire preuve de transparence. Ces derniers sont invités à inclure les structures autochtones dans les cercles décisionnels. Il s’agit de faire en sorte que les mesures prises soient en adéquation avec les enjeux et défis des Autochtones.

Dans le même sens, Viviane Michel, présidente des Femmes autochtones du Québec, souligne l’importance d’impliquer davantage les femmes. Elles auront ainsi l’occasion d’exprimer leurs besoins. Ceux-ci seront pris en compte dans le plan d’action national sur les femmes disparues et assassinées. Ce plan est en cours de préparation, en concertation avec l’Organisation nationale des femmes autochtones du Canada.

Il est avant tout question de rechercher des solutions aux multiples violations des droits des Autochtones. Ces violations persistent et peuvent prendre plusieurs formes : accès insuffisant aux services sociaux de base (santé, éducation, logement, entre autres), discriminations, chômage, criminalisation accentuée, violences contre les femmes, filles et personnes LGBTTIQQ2SA, assassinats et disparitions, entre autres.

« Le phénomène n’est malheureusement pas encore un fait du passé. Le nombre effarant de disparitions qui continue d’augmenter témoigne du racisme systémique qui afflige encore aujourd’hui les Autochtones au Canada et au Québec. Si un tel nombre de personnes disparaissent, comment les autorités réagiraient-elles? » Viviane Michel

Selon les différentes interventions, les principales victimes, les femmes, sont « des gardiennes du savoir, des valeurs et des coutumes », et leur disparition représente une perte énorme pour les communautés. Il faut une action concertée pour y mettre un terme.

Cet appel est réitéré par Jessica Quijano, du Foyer pour les femmes autochtones, coordonnatrice du projet Iskweu. Cette dernière fait part du combat des femmes bafouées en raison des clivages sociaux, de celles victimes de crimes sexuels, discriminées et en errance du fait du manque d’infrastructures d’accueil et de logements. Elle souligne la mémoire des femmes qui meurent tous les jours en raison de surdoses de drogue. Mme Quijano mentionne que les changements doivent viser également les relations qui demeurent tendues avec certains corps policiers au pays.

Durant la pandémie de COVID-19, les femmes autochtones dans la rue ont été davantage exposées aux drogues et ont connu plus de crimes sexuels. Crédit : iStock

Maintenir le cap, malgré la pandémie

La pandémie de COVID-19 est venue compliquer davantage la situation pour les organismes qui viennent en aide aux Autochtones, déplore Emy Edward du Centre de justice des premiers peuples. Les organismes ont connu une diminution de leurs ressources qui sont cruciales pour les interventions.

Malgré les aides gouvernementales, les besoins demeurent importants, surtout en ce qui a trait aux logements de courte ou de longue durée pour les femmes, ainsi qu’à l’accès aux soins en santé. En ce qui concerne ce dernier point spécifiquement, Mme Edward espère que les efforts visent à soutenir la mise en place d’infrastructures pour des soins en santé par les Autochtones, pour les Autochtones, où règne un climat de confiance, où les soins sont reçus sans peur, où il y a plus de compréhension sur le plan culturel.

Amanda LaBillois, navigatrice autochtone à Médecin du monde, souligne l’importance de poursuivre l’action malgré la crise sanitaire afin de répondre aux multiples besoins des communautés.

Au-delà de l’appel à l’action, deux ans après le dépôt des rapports de l’ENFFADA et de l’enquête sur la violence contre les femmes et filles autochtones au Québec, Ghislain Picard salue les aides gouvernementales sans lesquelles il aurait été difficile pour les communautés de bien gérer la crise sanitaire actuelle.

« Il y a eu beaucoup de volonté politique sans laquelle on n’aurait pas eu les résultats actuels. Les cas de COVID-19 ont été sous contrôle assez rapidement au sein des communautés. Elles ont bien géré la COVID-19 comparativement au H1N1 », a-t-il souligné.

Malgré tout, des frustrations demeurent, car les disparitions des femmes et filles autochtones sont loin de connaître une accalmie. Dayna Danger, coordonnatrice de Missing Justice, centre de lutte centre les discriminations des genres, estime que depuis les 30 dernières années, il y a eu beaucoup de commissions d’enquête et de rapports, pourtant les gouvernements ne démontrent pas un empressement à mettre en place les plans d’action tant souhaités, au grand désarroi des sœurs, des frères, oncles, tantes, pères, mères et familles des disparues.

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