Apprendre le chinois: l’expérience de trois Canadiens

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Photo: John Thys/AFP/Getty Images

« C’est du chinois! » Cette langue a la réputation d’être extrêmement difficile. S’ils n’y sont pas poussés par leurs parents, la plupart des enfants chinois nés au Canada ne s’aventurent pas à l’apprendre. Pourtant, certains Canadiens ont décidé de relever le défi. Ils se lèvent à 5 heures du matin pour apprendre de nouveaux caractères, ou, après une longue journée de travail, consacrent leurs soirées à ces fameux « quatre tons » quasi inapprivoisables. Pour quelle raison se portent-ils volontaires pour une telle épreuve de patience et de résilience?

Nous avons interviewé trois d’entre eux : un professeur linguistique, un PDG et une mère adoptive de deux filles chinoises.

Un reportage de Wei Wu, 4 janvier 2019

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Brenden Gillon, professeur du Département de linguistique de l’Université McGill. (McGill University)

Brendan Gillon, linguiste de l’Université de McGill

C’est dans les années 60 que le professeur Brendan Gillon a commencé son apprentissage du chinois, qui n’était pas aussi populaire qu’aujourd’hui comme langue étrangère. À l’époque, il était encore étudiant de l’Université de Michigan. Son intérêt pour la philosophie et la culture orientales l’a mené vers le chinois et le sanskrit.

Après avoir suivi pendant deux ou trois ans des cours de base à l’Université de Michigan, il est allé apprendre le chinois classique à Taipei, avec le plan de le maîtriser après quelques années d’études. « Je ne savais pas encore que c’était pour toute ma vie, » soupire-t-il.

Il a passé 18 mois à Taiwan. Puis a délaissé le chinois classique pendant de longues années pour  une maîtrise en langue sanskrit et un doctorat en philosophie, avant de devenir professeur au Département de linguistique de l’Université McGill à Montréal.

Brendan Gillon a recommencé à étudier le chinois il y a dix ans. Quand il pense à son premier séjour à Taiwan, il se reproche de ne pas en avoir profité pleinement et travaillé plus fort.

Beaucoup de Chinois croient qu’une base classique rehausserait leur niveau de langue moderne, mais le professeur Gillon pense l’inverse. Il regrette de ne pas avoir consacré plus de temps au chinois moderne. Car « le chinois classique d’après la dynastie Han est étroitement lié au chinois moderne, explique-t-il, je passais mon temps à lire Les quatre livres, Hsün-Tseu, Lao-Tseu et Tchouang-Tseu. C’est très important bien entendu, vu mon intérêt pour la philosophie. Mais du point de vue de l’apprentissage de la langue, c’est une grande erreur de ne pas avoir mis plus d’efforts dans le chinois moderne. »

Au début de 2018, Professeur Gillon a donné des séminaires à l’Université politique de Taipei, Taiwan. (Photo offerte par Brendan Gillon)

Jusqu’à aujourd’hui, il considère toujours que son niveau de chinois moderne est à améliorer. Il a passé le premier semestre de 2018 à Taipei. À part ses projets de traduction et de séminaires, il continuait à étudier le chinois moderne en engageant un de ses étudiants taiwanais pour l’aider à se corriger.

Brendan Gillon avec ses collègues et étudiants de l’Université politique de Taiwan. (Photo offerte par Brendan Gillon)

Avec la collaboration d’un professeur de l’Université politique de Taipei, le professeur Gillon est en train de traduire une œuvre ancienne de la logique du bouddhisme indienne. Le texte original en sanskrit est perdu depuis longtemps. Heureusement, sa traduction en chinois classique est préservée jusqu’à nos jours. Il s’agit donc de traduire en anglais une œuvre de l’Inde antique, mais à partir du chinois classique.

Ce n’est pas la première fois que Professeur Gillon se lance dans une telle aventure culturelle et linguistique. Il a déjà fini la traduction d’une autre œuvre dans le même domaine, toujours du chinois classique à l’anglais avec la collaboration de Shoryu Katsura, un chercheur japonais.

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Brian Sinnott, PDG de Forensic Technology Canada

Brian Sinnott, PDG de Forensic Technology Canada. Photo: Wei Wu)

Si vous êtes le patron d’une entreprise prête à s’implanter en Chine, vous allez probablement engager un représentant à la vente qui parle chinois. Mais Brian Sinnott, ce grand-père de deux petites-filles, PDG d’une compagnie montréalaise spécialisée dans l’identification balistique automatisée, a décidé d’apprendre le chinois lui-même, il y a six ans. « Je voulais aider mon vice-président de marketing, » explique-t-il dans une entrevue accordée à RCI.

Aujourd’hui, il est déjà capable de communiquer couramment avec les Chinois dans leur langue.

À part des cours de chinois à l’école, Brian Sinnott engage aussi une instructrice privée qui vient une fois par semaine à son bureau. En même temps, il s’abonne à plusieurs balados pédagogiques et se sert de manuels en ligne pour pratiquer. La compagnie qu’il dirige, Forensic Technology, est active dans plusieurs pays, il voyage donc régulièrement, ce qui ne lui permet pas de suivre très régulièrement son cours mais, il limite cet inconvénient en écoutant ses balados chinois et en faisant ses exercices dans l’avion.

Remerciements de policiers des quatre coins du monde. L’identification balistique automatisée les a aidés dans leurs enquêtes liées à des crimes par armes à feu. (Photo: Wei Wu)

Nous avons fait l’entrevue entre deux de ses voyages. Il arrivait ce matin-là des États-Unis, et devait partir pour Europe deux jours après. Son institutrice allait arriver après l’entrevue. « Elle va se fâcher quand elle verra que je n’ai pas fini les devoirs qu’elle m’a donnés, » dit-il d’un air un peu penaud.

Les quatre tons du mandarin découragent beaucoup d’étudiants occidentaux. Certains abandonnent très vite l’espoir de les maîtriser un jour. Pas M. Sinnott, même s’il n’est pas satisfait de sa performance. Ses interlocuteurs chinois le comprennent en général. Le problème, c’est que tous les Chinois ne parlent pas parfaitement le mandarin. Les accents de certains dialectes peuvent massacrer complètement les quatre tons standards. Il lui est arrivé de tomber dans une incompréhension mutuelle et totale quand il voyageait hors de Pékin.

Dans ce cas-là, il essaie toujours d’obtenir l’aide de jeunes aux alentours. Ils parlent mieux mandarin que leurs parents, certains parlent même un peu l’anglais et peuvent donc s’improviser interprètes.

Il a commencé à apprendre le chinois pour pénétrer un nouveau marché, mais une langue offre bien plus. Il a trouvé de nouveaux amis, découvert une nouvelle culture et les différents styles de la cuisine chinoise. Toujours trop occupé pour faire des  visites pendant ses séjours en Chine, il envisage d’y retourner comme touriste avec son épouse. Un projet pour la retraite.

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Claire Bonfils, mère de deux filles chinoises

Claire Bonfils, mère de deux filles chinoises. (Photo: Wei Wu)

Biologiste moléculaire et chercheuse pharmaceutique, Claire Bonfils pratique aussi le karaté, joue du violon et lit des romans en allemand. Difficile d’imaginer qu’on trouve encore le temps et l’énergie pour apprendre le chinois avec une vie si occupée. Mais en 2000, Mme Bonfils et son mari ont décidé d’adopter une petite fille chinoise.

Elle a commencé à apprendre la langue maternelle de sa future enfant avec Assimil en janvier. Huit mois après, avec six cents caractères mémorisés, elle est partie la chercher avec son mari, et Ils sont allés à Changde, une ville au centre de la Chine, dans la province de Hunan.

Claire Bonfils, son mari et ses deux filles. C’est sa photo préférée, prise il y a plusieurs années. (Photo offerte par Claire Bonfils)

C’était sa première tentative mais, avec un nouveau membre dans la famille et son travail,  il n’était pas facile de trouver du temps pour étudier. Les caractères appris sont oubliés peu à peu.

Quand sa fille a eu 3 ans, le couple lui a donné une petite sœur en adoptant une deuxième petite fille chinoise, cette fois à Chongqing dans la province de Sichuan. La sérieuse maman a repris l’apprentissage de la langue un an avant le voyage. Cette fois, elle a suivi un cours et acquis  plus de neuf cents caractères, qui allaient se perdre aussi dans le tourbillon du quotidien après qu’ils soient revenus de Chine.

La troisième fois que Claire Bonfils a sorti son manuel chinois, c’était pour préparer un voyage touristique de toute la famille en 2011. Elle constate alors que les exercices d’auparavant n’ont pas été inutiles : cette langue est devenue plus accessible pour elle.

Les livres chinois de Claire Bonfils. (Photo offerte par Claire Bonfils)

Le chinois s’est installé définitivement dans sa vie. Les efforts qu’elle avait mis sur les caractères commencent à porter fruit. C’est comme rouler une boule de neige, explique-t-elle. Les vingt premiers caractères sont les plus durs, il lui a fallu presque un mois pour les apprendre. Mais en ayant des centaines dans la tête, elle en accumulait des nouveaux plus vite et plus facilement.
Frustrés par le nombre et la structure compliquée des caractères, beaucoup de débutants  choisissent d’apprendre seulement leurs prononciations (pinyin). Calire Bonfils croit que c’est une erreur. Car le chinois est une langue monosyllabique. De nombreux caractères partagent la même – et leur seule – syllabe. Sans apprendre à connaître leur forme, on trébuchera vite sur les homonymes.
D’ailleurs ils ne sont pas si compliqués que ça, d’après Claire Bonfils. Les caractères sont composés par des radicaux dotés en général d’une signification qui aide à comprendre et à mémoriser les caractères qu’ils forment.
Elle est fascinée par leurs combinaisons différentes. Par exemple, quand le radical qui symbolise « le toit » couvre celui de « femme », le caractère qu’ils composent est « paix ». Si c’est le cochon qui se trouve sous le toit, le caractère est « famille », tandis qu’un feu sous le toit signifie le désastre. « C’est très intéressant. »

Maintenant, Claire Bonfils est déjà capable de lire des romans classiques en chinois (mais du texte simplifié, précise-t-elle). Elle compte poursuivre son étude parce qu’elle est persuadée que la langue et son évolution constituent une partie très importante d’une culture. « Si vous aimez une culture, il faut connaître sa langue. »

Une autre raison, c’est bien sûr ses deux filles, qui ont respectivement 18 et 16 ans cette année. Elle ne les forcera pas à apprendre le chinois, dit-elle, mais elle veut leur montrer que, si leur mère en est capable comme adulte, elles pourraient faire mieux.

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