The Canadian Rangers at 75: The eyes and ears of the North

« Vous œuvrez pour la sûreté et la sécurité de votre pays, c’est pour cela que je m’implique », explique le commandant Oswald Allen (à gauche), photographié ici avec le sous-commandant, le caporal-chef Levi Wolfrey (à droite), de la patrouille de Rigolet des Rangers canadiens, dans la province de Terre-Neuve-et-Labrador. (Eilis Quinn/Regard sur l’Arctique)

Par Eilís Quinn

Mise en page et adaptation : Mathiew Leiser

RIGOLET, Terre-Neuve-et-Labrador - Oswald Allen et Levi Wolfrey se souviennent du jour, il y a plus de vingt ans, où ils ont entendu que les Rangers canadiens étaient à la recherche de membres et ont décidé d'aller voir.

« Ils voulaient des gens qui connaissaient le terrain, qui savaient où aller et où ne pas aller, alors quand [l'armée] est venue ici pour recruter, nous y sommes allés tous les deux », raconte Wolfrey.

Allen, quant à lui, dit avoir été immédiatement intrigué.

« Ça avait l'air cool à faire et je me suis engagé pour voir ce que ça donnait », ajoute-t-il.

Aujourd'hui commandant en charge d'une patrouille de 18 Rangers canadiens à Rigolet, la communauté inuit la plus méridionale du monde, Allen prend un ton sérieux lorsqu'on lui demande ce qui l'a retenu chez les Rangers ces 23 dernières années.

« Vous apprenez tellement de choses différentes dans les Rangers », explique Allen. « Vous œuvrez pour la sûreté et la sécurité de votre pays, c'est pour cela que je m'implique. »

Les Rangers célèbrent leur 75e anniversaire

Les Rangers canadiens sont des réservistes à mi-temps au sein des Forces armées canadiennes. Ils ne sont pas des soldats de combat entraînés, mais grâce à leur connaissance de l'environnement local et à leur capacité à se déplacer facilement dans les régions les plus difficiles du pays, ils assurent la présence de l'armée.

Il y a environ 5000 Rangers répartis dans 200 des communautés les plus éloignées et les plus isolées du Canada. La majorité de ces communautés, situées dans le Nord et sur les côtes est et ouest du pays, sont autochtones. Fondés en mai 1947, les Rangers célèbrent cette année leur 75e anniversaire et, selon les experts, c'est un événement important qui incite à réfléchir à leur rôle au Canada.

Une carte montrant les cinq groupes de patrouille des Rangers canadiens. (Ministère de la Défense)

« Les Rangers sont une forme de service très distincte dans la mesure où ils sont considérés comme formés dès leur enrôlement », explique Whitney Lackenbauer, titulaire de la chaire de recherche du Canada sur l'étude du Nord canadien et professeur à la School for the Study of Canada de l'Université Trent. « C'est leur capacité à exploiter toutes leurs connaissances, leurs compétences et leur expertise locales et traditionnelles qui leur permet de contribuer si merveilleusement, non seulement à la sécurité canadienne, mais aussi à la résilience des communautés. »

Les Rangers canadiens ont été créés pendant la Seconde Guerre mondiale, en partie sur le modèle de la Home Guard, la milice civile bénévole du Royaume-Uni constituée en renfort des forces régulières si l'Allemagne nazie venait à tenter d'envahir le pays.

Après l'entrée en guerre du Japon en 1941, la vulnérabilité de la côte canadienne du Pacifique, accidentée et peu peuplée, a suscité des inquiétudes. Les Pacific Coast Militia Rangers (PCMR) ont été créés en 1942 pour patrouiller dans les régions isolées et pour les protéger. Ils étaient composés de locaux, comme des bûcherons ou des trappeurs, qui avaient une bonne connaissance intime du terrain éloigné et accidenté. À son apogée, elle comptait quelque 15 000 membres en Colombie-Britannique et au Yukon. Le PCMR a été dissous après la guerre, mais son modèle a été utilisé pour créer les Rangers canadiens, permettant ainsi aux militaires d'être présents sur toutes les côtes du Canada.

Paul Atagoota, du 1er Groupe de patrouilles des Rangers canadiens, partage ses connaissances sur les Inukshuks avec les soldats de la 32e Brigade à Resolute Bay, au Nunavut, pendant l'opération Nanook de 2010, une opération régulière des Forces canadiennes qui se déroule dans le nord du Canada. (Sgt Marco Comisso/Forces armées canadiennes)

« Qui mieux que les personnes vivant dans une région, qui connaissent intimement leur territoire, peut être capable de détecter une anomalie quand quelque chose ne va pas? », souligne Lackenbauer, également auteur de plusieurs ouvrages sur les Rangers canadiens et lieutenant-colonel honoraire du 1er Groupe de patrouilles des Rangers canadiens de 2014 à 2020.

« Les Rangers ont été créés en reconnaissance du fait que le Canada n’a pas, et n’a probablement pas besoin d’avoir une grande présence militaire conventionnelle comme le font certains pays ou certaines régions très peuplées, parce que très franchement, le contexte de menace dans notre Arctique, même aujourd’hui avec la guerre en Ukraine, ne justifie pas une accumulation massive de forces régulières ou d’une certaine infrastructure militaire régulière. »

Whitney Lackenbauer, titulaire de la chaire de recherche du Canada sur l'étude du Nord canadien

Travailler avec une expertise locale et militaire
« Le simple fait de revêtir cet uniforme me procure une grande fierté personnelle », déclare Cyril Lane, un Ranger canadien de la patrouille Makkovik, composée de 13 personnes, dans la province atlantique de Terre-Neuve-et-Labrador. (Eilis Quinn/Regard sur l'Arctique)

Cyril Lane, un Ranger qui a grandi à Postville, au Labrador, et qui vit désormais à une quarantaine de kilomètres au nord-est, dans la communauté de Makkovik, considère que la combinaison des connaissances locales et de l'expertise militaire des Rangers est enrichissante pour tous.

« En grandissant, j'ai appris à interpréter la météo et à survivre dans les terres grâce à mon père et à mes oncles », explique M. Lane.

« Si vous regardez dehors, vous ne verrez pas les mêmes choses que moi. Je peux repérer les routes traditionnelles où vous ne verrez qu'une forêt parce que vous ne savez pas ce qu'il faut chercher. Voilà ce que nous pouvons apporter à l'armée. Mais nous apprenons aussi d'eux des choses comme la navigation avec une boussole et un GPS. »

« Nous intégrons beaucoup de nos connaissances personnelles dans notre travail de Rangers, mais l’armée nous apprend aussi beaucoup de choses. »

Cyril Lane, Ranger

Allen, de Rigolet, partage cet avis et ajoute que les sessions d'entraînement régulières des Rangers avec les militaires permettent aux deux parties de se tenir à jour dans leurs différents domaines d'expertise, et c'est la raison pour laquelle il estime encore que faire partie des Rangers est si important.

« J'ai appris par mon père que si vous allez juste au nord d'ici et que vous entendez la glace grincer, vous feriez mieux de faire attention et de ne pas aller trop loin parce qu'elle pourrait se briser et vous pourriez vous retrouver coincé là-bas. Les militaires ne le savent pas, et c'est pour cela qu'ils nous ont recrutés. »

Rigolet, Terre-Neuve et Labrador, mars 2022. (Eilís Quinn/Regard sur l’Arctique)

Les Rangers ont pour mission de signaler tout ce qu'ils voient d'anormal dans les terres et les eaux qui entourent leur communauté. Leurs autres rôles vont de l'inspection des sites du Système d'alerte du Nord pour détecter les dommages causés par les tempêtes aux opérations de secours et d'intervention en cas de sinistre, en passant par les opérations de recherche et de sauvetage et la participation à des événements communautaires.

Ils participent également à l'encadrement des Rangers juniors, un programme pour les jeunes lancé au milieu des années 1990 qui vise à leurs enseigner les connaissances traditionnelles et à les initier au travail de Ranger.

Au cours des deux dernières années, ils ont également joué un rôle clé dans la lutte contre la COVID-19 dans le nord du Canada, qu'il s'agisse de monter des tentes et d'autres infrastructures de soins de santé au Nunavik, dans le nord du Québec, ou de livrer de la nourriture et des médicaments dans les Territoires du Nord-Ouest.

Peter Kikkert, professeur adjoint de politique publique et de gouvernance à l'Université St. Francis Xavier et titulaire de la chaire Irving Shipbuilding en politique arctique au Brian Mulroney Institute of Government, estime que la connaissance que les Rangers canadiens ont de leurs terres est reconnue, mais que leur rôle de liaison avec les personnes ou les organisations qui viennent dans le Nord pendant une crise est tout aussi important, mais souvent négligé.

« L'un des aspects fondamentaux de la capacité des communautés à faire face à une urgence ou à une catastrophe est le capital social ou les réseaux sociaux sur lesquels elles peuvent s'appuyer », précise M. Kikkert.

« Les Rangers sont un organisme de confiance au sein de leurs communautés et sont au point de convergence de toutes sortes de relations, ce qui les rend parfaitement qualifiés pour répondre aux catastrophes. Parce que si vous êtes une agence extérieure qui arrive pour apporter de l'aide et que vous parlez à un Ranger, il peut vous dire qui est responsable de quoi, où trouver ce dont vous avez besoin et qui pourrait être en danger et avoir besoin d'une aide immédiate.

Avec les changements climatiques qui multiplient les catastrophes environnementales, M. Kikkert souhaiterait voir davantage d'exercices entre les Rangers et d'autres organismes pour être mieux préparés.

« La formation et les exercices de préparation aux urgences et aux catastrophes continuent d'être une partie importante du travail des Rangers. Mais je pense qu'une formation accrue sur le rôle des Rangers dans des situations telles que les incendies de forêt, les inondations ou l'évacuation d'une communauté, qui pourrait être reprise par les cinq groupes de patrouilles de Rangers, serait très utile, d'autant plus que le nombre de catastrophes augmente dans tout le pays. »

« Ces exercices pourraient aider à définir les rôles et les responsabilités des Rangers, de la police locale, du bureau du hameau et du corps de pompiers local, et je suis convaincu que ce serait extrêmement bénéfique. »

Un modèle pour les autres régions du Nord ?

Selon M. Lackenbauer, le succès des Rangers attire également l'attention de la communauté internationale. En effet, d'autres régions nordiques s'intéressent de plus en plus à la possibilité de reproduire le modèle des Rangers canadiens sur leur propre territoire.

« J'ai rencontré des personnes originaires de l'Alaska à ce sujet, les militaires canadiens ont également rencontré leurs homologues qui ont exprimé leur intérêt pour l'intégration de quelque chose comme les Rangers dans leur dispositif de sécurité global. »

M. Lackenbauer ajoute que le Groenland a également été intéressé par les Rangers.

« Je participais à leur comité constitutionnel il y a quelques semaines et j'ai rejoint leur groupe de travail sur les Affaires étrangères et la sécurité et presque toute la conversation a porté sur les Rangers canadiens comme représentant un modèle potentiel si jamais ils venaient à faire quelque chose de ce genre au Groenland. »

À venir

Des commémorations régionales, locales et nationales pour marquer le 75e anniversaire des Rangers auront lieu dans tout le Canada cette année, avec un grand lancement à Victoria, en Colombie-Britannique, plus tard ce mois-ci.

Le Rendez-vous du 75e anniversaire des Rangers canadiens se déroulera du 20 au 23 mai et réunira 100 Rangers de tout le pays pour une série d'événements.

Le 23 mai, jour anniversaire de la création des Rangers, une cérémonie sera organisée. Le chef d'état-major des Forces armées canadiennes, le général Wayne Eyre, et la ministre de la Défense nationale, Anita Anand, entre autres dignitaires, devraient y assister.

Selon M. Lackenbauer, cet anniversaire est une occasion privilégiée pour tous les Canadiens de reconnaître le travail et le rôle des Rangers dans le pays.

« Les Rangers canadiens sont une création typiquement canadienne, qui reflète la grande diversité de nombreuses régions éloignées », souligne-t-il.

« Ils sont très respectés pour tout ce qu'ils apportent et sont devenus un symbole unificateur qui a su exploiter toute cette diversité en tant qu'experts militaires, nous permettant de célébrer et de valoriser toutes ces merveilleuses compétences qui existent déjà. »

M. Lane rejoint cet avis et confie que, même après plus de deux décennies de service au sein des Rangers, il éprouve toujours une immense satisfaction à enfiler le pull à capuche rouge caractéristique des Rangers, que ce soit pour une intervention, un exercice de formation ou un événement communautaire.

« Être un Ranger n'est pas une promenade de santé", dit-il. "Il faut aimer les défis, les accepter et grandir avec eux. Mais j'apprécie la camaraderie, les opportunités et le sentiment de devoir accompli. Le simple fait de revêtir cet uniforme me procure une grande fierté personnelle. »


À propos

Eilís Quinn est journaliste et responsable du site Regard sur l’Arctique / Eye on the Arctic, une coproduction circumpolaire de Radio Canada International. En plus de nouvelles quotidiennes, Eilís produit des documentaires et des séries multimédias. Elle s’intéresse notamment aux problèmes auxquels font face les peuples autochtones dans l’Arctique. Son documentaire Bridging the Divide a été finaliste aux Webby Awards 2012.

Son travail en tant que journaliste au Canada et aux États-Unis, et comme animatrice pour la série de Worldwide Discovery/BBC intitulée Best in China, l’a menée dans certaines des régions les plus froides du monde, telles que les montagnes tibétaines, le Groenland et l’Alaska; et les régions arctiques du Canada, de la Russie, de la Norvège et de l’Islande.

Twitter : @Arctic_EQ
Courriel : Eilís Quinn