[CHRONIQUE] Les Rangers canadiens : une réponse communautaire à la COVID-19 en régions isolées

Les Rangers canadiens sont habituellement appelés à intervenir lors d’opérations de sauvetage ou de désastres naturels. (Sgt Peter Moon)
Fin mars, les images d’un train traversant Montréal chargé de véhicules militaires ont déferlé sur les réseaux sociaux, suscitant la crainte chez certains internautes d’assister à un éventuel déploiement de l’armée dans les rues de la ville pour faire face à la pandémie.
Par : Peter Kikkert (St Francis-Xavier University), P. Whitney Lackenbauer (Trent University), et Stéphane Roussel (École nationale d’administration publique).

L’information s’est naturellement révélée fausse, mais sa diffusion trahit une vieille méfiance, au Québec, face aux Forces armées. Le souvenir de l’aide apportée par ces dernières au cours de la crise du verglas de 1998 n’a visiblement pas chassé celui des soldats patrouillant dans le centre-ville de Montréal en octobre 1970.

L’intervention des Forces canadiennes a pris une forme inattendue, bien loin du rôle de « gardien de l’ordre public ». À la demande des gouvernements du Québec et de l’Ontario, plusieurs centaines de militaires sont maintenant en phase de déploiement dans les foyers pour aînés, dont une vingtaine de centres d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD) durement touchés par la COVID-19. Pourtant, la première opération militaire pour faire face à la crise s’est faite loin des grands centres et est le fait d’une composante de l’armée fort peu connue, et pourtant très proche de sa communauté : les Rangers.

Les Rangers à la rescousse

Le 30 mars, le ministre de la Défense, Harjit Sajjan, a annoncé que 24 000 militaires se préparaient à offrir un soutien aux autorités civiles, et en particulier dans le Nord et dans les communautés autochtones. Cette mesure est liée à l’activation de l’opération Laser, qui consiste à préparer les Forces canadiennes à affronter la crise et à fournir un appui aux autres agences gouvernementales, fédérales ou provinciales, engagées dans la lutte contre la pandémie.

Le 3 avril, le premier ministre Trudeau a déclaré que le 2e Groupe de patrouilles des Rangers canadiens (2e GPRC), qui couvre le territoire de la province, était mobilisé pour prêter assistance au gouvernement du Québec. La demande, qui émanait en fait du Comité consultatif régional sur la protection civile du Nunavik (un groupe mis sur pied pour gérer la crise dans cette région), a reçu l’aval du premier ministre Legault. Le Comité souhaitait notamment que les Rangers établissent des tentes dans les petites communautés isolées pour le dépistage et le triage des cas de COVID-19, auxquels se sont ajoutées des tâches telles que la distribution de nourriture et d’équipement et la diffusion de l’information concernant les mesures de distanciation sociale. Ainsi, à travers les régions nordiques et côtières peu peuplées du Québec et du Canada, des centaines de Rangers se préparent à faire face à la pandémie. Jamais cette institution n’a été mobilisée à une telle échelle.

Qui sont ces « Rangers canadiens »?

Souvent décrits comme étant les « yeux et les oreilles » des militaires dans les zones isolées, et tout particulièrement dans le Grand Nord, ils forment une composante, créée en 1947, de la Réserve des Forces canadiennes. Elle est en grande partie composée de membres des communautés autochtones, qui servent habituellement à temps partiel et en marge de leurs activités quotidiennes. Environ 5000 personnes servent dans ces unités, dont 750 dans le 2e GPRC, réparties en 28 patrouilles. Dix-neuf d’entre elles participent à la mission actuelle.

L’organisation, la structure et l’entraînement des Rangers les désignent comme chefs de file et premiers intervenants dans les situations de crise dans leur région immédiate, qu’il s’agisse d’opération de recherche et sauvetage, ou de prestation de service lors d’inondation, d’incendie de forêt, d’avalanche, de tempêtes sévères, ou encore de rupture de l’approvisionnement en eau ou en électricité. Ils peuvent ainsi assumer plusieurs rôles, allant d’assurer l’interface entre leur communauté et le gouvernement et de diffuser des consignes et des informations, jusqu’à l’application de mesure d’évacuation, en passant par la distribution de l’aide médicale et alimentaire d’urgence. Les Rangers ont ainsi contribué aux efforts destinés à limiter la pandémie de H1N1 en menant des campagnes de vaccination dans le Nord.

Une institution solidement ancrée dans la communauté

Comme le souligne Josée Lévesque, du Conseil régional de santé du Nunavik, « l’avantage est que les Rangers sont déjà là, dans leurs communautés ». À ce titre, leur efficacité découle largement de cette proximité, de leur imbrication dans les autres réseaux communautaires, dans le fait qu’ils soient porteurs de la culture et de la langue de leur communauté, et dans le sentiment de confiance qui en découle naturellement. S’ils ne sont pas entraînés à dispenser des soins médicaux, ils connaissent la société dont ils sont issus et au sein de laquelle ils agissent, ce qui les place en meilleure position pour offrir une vaste gamme de services. Il y a d’ailleurs peu de chance que ces réservistes soient placés en contact avec des patients infectés par le virus (auquel cas les Forces canadiennes doivent s’assurer qu’ils reçoivent l’équipement de protection individuelle nécessaire), l’isolement demeurant encore la meilleure garantie de sécurité de ces communautés.

Au-delà des services immédiats et essentiels que pourra rendre cette organisation, le recours aux Rangers pour lutter contre la pandémie a ceci de particulier qu’il illustre un phénomène rare dans une société aussi peu militarisée que celle du Québec, voire du Canada, soit une intervention des Forces armées fortement imbriquée dans les communautés locales. De telles conditions ne se retrouveront pas ailleurs, même dans les CHSLD.

Les leçons qui en découleront seront donc d’autant plus précieuses.

Radio-Canada

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