Amnistie internationale estime que le gouvernement canadien n’a toujours pas mis en place, 10 ans après l’affaire Arar, les recommandations clés qui étaient au coeur du problème.
En 2002, Maher Arar, Canadien d’origine syrienne, est en escale à New York avant de revenir au pays, après un séjour en Tunisie. Les autorités américaines le soupçonnent d’avoir des liens avec l’organisation terroriste Al-Qaïda.
Douze jours plus tard, il est transporté en catimini en Syrie, où il vivra un véritable « cauchemar », selon le rapport du juge Dennis O’Connor, chargé d’enquêter sur le dossier. M. Arar sera incarcéré pendant près d’un an dans son pays d’origine et y sera torturé pendant plusieurs jours, même si « rien n’indique que M. Arar ait commis une infraction ou que ses activités aient représenté une menace à l’égard de la sécurité du Canada », a alors noté le juge O’Connor. D’ailleurs, aucune accusation ne sera portée contre lui.

Après le dépôt du rapport du juge ontarien, le premier ministre de l’époque, Stephen Harper, présentait officiellement ses excuses au nom du gouvernement canadien à M. Arar. Celui-ci recevra d’Ottawa une compensation de 10,5 millions de dollars, plus 1 million pour payer les frais de cour.
C’est que, le Canada a eu son rôle à jouer dans le cauchemar de M. Arar, selon le juge O’Connor. La Gendarmerie royale du Canada (GRC) avait par exemple transmis des informations inexactes aux autorités américaines. Et la communication entre les organismes canadiens sur ce dossier était pleine de lacunes, selon le juge.
Le Canada maintiendrait le partage d’informations avec d’autres pays
Pour Amnistie internationale, Ottawa n’a pas tiré de leçons de cet événement. Il serait possible qu’un tel cas se reproduise de nos jours.
Neve ne pense pas que toutes les mesures ont été prises pour éviter une répétition d’un cas similaire. Or, Dennis O’Connor avait clairement demandé au Canada de ne plus partager des informations avec un pays « où il y a un risque crédible qu’elles entraînent un recours à la torture ou qu’elles y contribuent ».
Mais, selon Alex Neve, le Canada a plutôt « formalisé par écrit cette pratique ». Une directive ministérielle rédigée en 2010 permet aux responsables de demander et de partager de l’information avec des partenaires étrangers, même lorsque cela risque de placer quelqu’un en danger de traitement brutal, s’il y a une préoccupation en matière de sécurité nationale.
Reste que « le juge O’Connor a été très clair. Ce n’était pas une recommandation qui a des exceptions», observe M. Neve.

Le juge avait aussi suggéré l’implantation d’un mécanisme d’examen indépendant des activités de la GRC relatives à la sécurité nationale, ce qui n’a pas été fait. « Le gouvernement actuel propose de mettre en place un comité parlementaire pour la sécurité nationale, mais Dennis O’Connor voulait que ce soit des experts indépendants », a souligné M. Neve.
D’ailleurs, trois autres Canadiens, Abdullah Almalki, Ahmad Abou-Elmaati et Muayyed Nureddin, ont vu leurs droits être violés pendant la même période. Le juge Frank Iacobucci a constaté au terme d’une enquête, en 2008, qu’il y avait eu des problèmes de communication entre les agences qui ont mené parfois à des sévices. Ces trois individus n’ont reçu aucune excuse ni compensation.
« Pour moi, c’est un signe que cet enjeu n’est pas pris au sérieux et que nous n’avons pas vu une réelle volonté d’améliorer les choses dans ce domaine. Si c’était le cas, ces hommes ne seraient pas pris dans une poursuite pour essayer d’avoir des excuses et une compensation », a affirmé M. Neve.
Ottawa se défend d’être inactif
Dans une déclaration transmise par courriel, le bureau du ministre de la Sécurité publique du Canada, Ralph Goodale, a assuré que le gouvernement avait mis en place les recommandations du juge O’Connor.
Il a rappelé que le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) n’était jamais autorisé à partager des informations qui pourraient mener à un mauvais traitement sauf « s’il y a un risque sérieux de perte de vie, de blessures, de dommages substantiels ou de destruction de biens ».

Selon le gouvernement, le comité de parlementaires qu’il propose permettra de mieux surveiller les agences de sécurité. « Cela permettra aux membres du Parlement et aux sénateurs de tous les partis d’avoir un accès spécial à des informations classifiées pour examiner les enjeux de sécurité nationale dans tous les ministères et agence, contrairement aux comités de surveillance déjà en place », est-il écrit dans le courriel.
Quant aux trois Canadiens qui sont toujours en attente de recevoir des excuses, le bureau du ministre Goodale a dit qu’il serait « prématuré de commenter sur ces dossiers », qui sont en processus de médiation.
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