Le 20 mars est la journée internationale sans viande. Depuis plus de 30 ans, le groupe militant FARM exhorte la population à limiter sa consommation de produits d’origine animale. Sa motivation émane de sa volonté de protéger le droit des animaux, de préserver la planète et de sensibiliser les consommateurs à une saine alimentation. À l’origine, ce mouvement était tout au plus marginal. Mais aujourd’hui, une diète sans viande est un concept dont on discute de plus en plus.
La diminution de la consommation de viande a été remarquable ces dernières années. Le Canadien moyen consommait 30,3 kg de bœuf par année en 2005. Dix ans plus tard, cette quantité annuelle totalise à peine 24 kg. Autrement dit, il se consomme environ 220 millions de kilos de bœuf par année de moins au Canada comparativement à 2005. C’est énorme. Ce n’est donc pas un hasard si la filière bovine canadienne souhaite ardemment l’ouverture de nouveaux marchés à l’international par le biais de traités commerciaux. Pour la protéine blanche, c’est différent. La consommation de poulet et de dinde a augmenté d’environ 5 % depuis dix ans; celle du porc se maintient aussi à un niveau respectable depuis une dizaine d’années.
Les études en médecine et en nutrition qui dissuadent les gens de consommer de la viande rouge s’accumulent depuis plusieurs années, et il semble que le public en tient compte. Les consommateurs prêtent aussi attention à leur portefeuille. Le prix de la viande rouge dans certains cas a pratiquement doublé depuis 5 ans, et les consommateurs réagissent. D’ailleurs, une étude publiée récemment par l’Université Dalhousie démontrait que 41 % des Canadiens étaient à la recherche d’alternatives aux viandes en raison de la flambée récente des prix. Selon la même étude, les Canadiens continuent tout de même de manger du bœuf, mais ils réduisent considérablement la fréquence hebdomadaire de leur consommation de cette viande, et cette tendance risque de se maintenir.
De plus en plus nombreux sont ceux qui mettent en doute la viabilité de la production animale à long terme, même au sein de l’industrie. En 2015, préoccupée par le traitement éthique des animaux, la chaîne McDonalds’ faisait connaître son intention de renoncer aux œufs pondus en cage d’ici 2025. Un véritable coup de tonnerre dans l’industrie. Depuis, plusieurs autres franchises en restauration rapide ont emboîté le pas à la chaîne en annonçant une politique similaire. L’automne dernier, le géant Tyson, un symbole de la suprématie en transformation bovine des États-Unis, achetait des actions de Beyond Meat, une entreprise produisant des substituts de protéines animales. Même chez nous, l’un des plus grands transformateurs canadiens de protéines animales, Maple Leaf Foods, expérimente quelques ingrédients pour remplacer la viande dans certains de ses produits vedettes. Légumineuses, tofu, tout y passe. Tout comme Tyson, Maple Leaf Foods achetait l’automne dernier une entreprise de transformation utilisant des protéines végétales. Ces décisions qui semblaient farfelues il y a quelques années seulement ne surprennent plus aujourd’hui. Les entreprises de transformation et de restauration sont visiblement en quête d’une protéine sans compromis pour le consommateur. C’est le signe que les temps changent.
Pour la viande rouge surtout, la production conventionnelle montre plus que jamais qu’elle a ses limites. D’abord, les changements climatiques donnent lieu à une précarité qui perturbe l’ensemble du système. En 2014 et 2015, les sécheresses aux États-Unis ont forcé plusieurs producteurs à réduire leurs inventaires, augmentant ainsi le prix du bouvillon d’abattage. Malgré les avancées dans le domaine de la science animale depuis quelques années, la production d’un seul kilo de bœuf requiert presque 11 kilos de farine et 8 litres d’eau. Étant donné que plusieurs consommateurs savent compter et valorisent de plus en plus des modèles de production durable, ces ratios dérangent.
Nous ne vivrons vraisemblablement jamais dans un monde sans viande, et la production conventionnelle de bœuf existera encore bien longtemps. Il n’y a pas de substitut à un barbecue, point. Par contre, la filière bovine va devoir s’interroger sur ses pratiques de production. Pendant trop longtemps, les producteurs bovins accusaient les consommateurs de vouloir un bœuf qui coûterait trop cher à produire, un bœuf canadien qui respecterait des principes d’élevage durable. Pendant que l’industrie campe sur ses principes, les consommateurs se mobilisent et changent leurs habitudes. L’industrie doit redéfinir sa proposition de valeur en comprenant mieux les consommateurs, surtout ceux de la Génération Y qui prennent de plus en plus de place. Pendant que la production bovine canadienne demeure pratiquement homogène, la demande pour le bœuf se fragmente et c’est pour cela que plusieurs optent pour autre chose.
La filière bovine canadienne va devoir se moderniser avant qu’il ne soit trop tard et que la seule viande rouge disponible provienne d’un laboratoire.
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