Le premier ministre du Canada, Justin Trudeau (centre) en compagnie de deux de ses ministres importants en matière de politique internationale : la ministre des Affaires étrangères Chrystia Freeland (gauche), et le ministre de la Défense Harjit Sajjan (droite) (REUTERS/Darrin Zammit Lupi )

Ottawa va défendre les droits et libertés, n’en déplaise à Riyad

L’expulsion de l’ambassadeur du Canada en raison des critiques d’Ottawa sur les violations des droits et libertés en Arabie saoudite inquiète sérieusement le gouvernement de Justin Trudeau. Mais il réitère sa détermination à promouvoir des valeurs qu’il juge importantes. Va-t-il assez loin pour autant?

Tout est parti d’un communiqué publié par l’ambassade canadienne à Riyad faisant état de la grave préoccupation d’Ottawa à propos de la nouvelle vague d’arrestations de militants des droits de l’homme dans le royaume.

« Nous appelons les autorités saoudiennes à les libérer immédiatement ainsi que tous les autres activistes pacifiques des droits de l’homme », pouvait-on lire dans le texte canadien diffusé vendredi sur Twitter. L’Arabie saoudite n’a pas du tout apprécié la formulation de ce communiqué. « Il est très regrettable que les mots « libération immédiate » figurent dans le communiqué canadien », a déclaré le département saoudien des Affaires étrangères, ajoutant que « c’est inacceptable dans les relations entre deux pays ».

Rachad Antonius - RCI
Rachad Antonius

Mais le Canada est-il vraiment allé loin dans sa critique de l’Arabie saoudite? Comment expliquer la réaction aussi rapide que disproportionnée de l’Arabie saoudite? Rachad Antonius, professeur  de sociologie à l’Université du Québec à Montréal et spécialiste du monde arabe, répond à ces questions et à bien d’autres.

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Le 2 août déjà, la ministre canadienne des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, était « très alarmée d’apprendre l’emprisonnement de Samar Badawi », une militante de l’égalité entre hommes et femmes, lauréate du prix international du courage féminin 2012 décerné par le département d’État.

Avec sa collègue Nassima al-Sadah, elle a été arrêtée la semaine dernière. Samar Badawi se bat pour la libération de son frère, le blogueur dissident Raif Badawi, et de Walid Abou al-Khair, son ex-mari.

Le Canada inquiet, mais persiste et signe

En réaction aux critiques d’Ottawa sur la répression des opposants, l’Arabie saoudite a donné à l’ambassadeur canadien Dennis Horak 24 heures pour quitter le royaume.

L’Arabie saoudite a aussi rappelé son ambassadeur du Canada « pour consultations » et décidé de « geler toutes nouvelles transactions concernant le commerce et les investissements » avec le Canada.

Le Royaume d’Arabie saoudite dit qu’il « n’acceptera d’aucun pays une ingérence dans ses affaires intérieures ou des diktats ». Des propos qui reflètent la fermeté du prince héritier Mohammed ben Salmane Al-Saoud en matière de politique étrangère.

Le ministre saoudien des Affaires étrangères Adel bin Ahmed Al-Jubeir considère que le Canada s’ingère dans des affaires internes du Royaume.

Après la réponse saoudienne, la ministre Freeland s’est dite « sérieusement inquiète » et a réitéré l’engagement du Canada à défendre « toujours la protection des droits de l’homme, notamment des droits des femmes et de la liberté d’expression partout dans le monde ».

« Notre gouvernement n’hésitera jamais à promouvoir ces valeurs et nous croyons que ce dialogue est crucial pour la diplomatie internationale », réaffirme Ottawa.

Des soutiens à la position canadienne

De son côté, Amnistie internationale a salué l’attitude d’Ottawa et a appelé d’autres gouvernements à lui emboîter le pas pour obtenir « la libération inconditionnelle et immédiate de tous les prisonniers de conscience ».

Pour Amnistie, « le reste du monde ne peut pas se voiler la face alors que la lutte acharnée contre les défenseurs des droits de l’homme se poursuit en Arabie saoudite ».

Mme Bessma Momani, spécialiste des affaires du Moyen-Orient et professeure à l’Université de Waterloo, estime de son côté que la prise de position d’Ottawa aura une résonance positive tant en Arabie saoudite que dans d’autres pays de la région.

Bessma Momani Photo : (Université Waterloo)

Selon elle, il est plus facile de rompre les liens avec le Canada qu’avec les autres. Les relations commerciales entre les deux pays ne sont pas solides et s’en prendre au gouvernement Trudeau peut avoir un certain retentissement auprès des alliés régionaux va-t-en-guerre. Les milliers d’étudiants saoudiens au Canada risquent, eux, d’en pâtir.

Thomas Juneau, professeur à l’Université d’Ottawa, est du même avis. Il considère le Canada comme une cible « assez facile » pour l’Arabie saoudite. Riyad s’en sert pour envoyer un message clair à d’autres pays qu’il n’acceptera pas de critiques de leur part.

Raif Badawi, le grand perdant

L’affaire Badawi est l’une des raisons du coup de froid entre Ottawa et Riyad. M. Badawi, citoyen saoudien, est emprisonné depuis 2012 en raison de propos tenus sur son blogue.

Il a été condamné en novembre 2014 à 10 ans de prison et à 1000 coups de fouet pour « insulte à l’islam ». Son épouse, Ensaf Haidar, est installée au Québec depuis l’automne 2013 avec ses trois enfants.

Le prince Mohammed ben Salmane Al-Saoud a entrepris des réformes dans son pays tout en empêchant toute opposition à son pouvoir. (Bandar Algaloud/Courtesy of Saudi Royal Court/Handout via Reuters)

Le premier ministre Trudeau, en avril dernier, avait fait part au prince saoudien de « ses préoccupations importantes et constantes » à l’égard du blogueur emprisonné.

M. ben Salmane Al-Saoud, perçu comme un réformateur, a récemment autorisé aux femmes de son pays de conduire des automobiles. Une décision destinée à redorer l’image souvent négative du royaume. Mais il a verrouillé le paysage politique et muselle toute forme d’opposition afin d’asseoir son pouvoir.

Dans le même temps, le prince hériter de 32 ans mène une politique étrangère agressive. Il a notamment appelé à l’isolement du Qatar dont il reproche la proximité avec l’Iran. La rivalité avec l’Iran explique aussi en partie l’implication de l’Arabie saoudite dans la crise politique au Yémen. Elle bombarde les positions des rebelles houthis, soutenus justement par l’Iran.

Les relations commerciales entre le Canada et l’Arabie saoudite sont marginales pour les deux pays (Source: Gouvernement du Canada)

(Avec l’AFP,, La Presse Canadienne, Reuters, Affaires mondiales Canada)

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