Les chefs d'État et de gouvernement présents au XVIe sommet de la Francophonie d'Antananarivo, à Madagascar. Photo : Getty Images/STEPHANE DE SAKUTIN

Le maire de Québec a-t-il raison de croire que le Sommet de la Francophonie est « le party de dignitaires »?

À l’occasion d’un congrès d’organisations franco-québécoises au Centre des congrès de Québec, le maire de Régis Labeaume a lancé un appel au renouvellement de l’équipe dirigeante de l’Organisation internationale de la Francophonie. Il a aussi souligné la nécessité d’œuvrer à un recentrage des objectifs de l’organisation qui devrait cesser d’être « un party de dignitaires ».

Comprendre la notion de « party de dignitaires »

« Party » est un mot anglais couramment utilisé dans le français au Québec pour désigner des célébrations, des rencontres festives entre amis, autour d’alcool et de nourriture, un moment de joie et de réjouissances pour souligner dans la détente un événement.

Lorsque ce sont des dignitaires qui sont réunis en « party », cela peut prendre une tout autre dimension, étant donné qu’il s’agit d’officiels, de responsables à un haut niveau, d’autorités représentant un État ou une organisation quelconque.

Pour que le « party » soit digne de l’honneur et de la gloire qui reviennent naturellement à des autorités en fête, il faut un budget à la hauteur des attentes souvent élevées, en ce qui a trait notamment à la qualité des lieux de la fête, des menus, des invités, etc.

À propos d’invités et de participants, le maire de Québec s’offusque du fait que les personnes au secrétariat général de la Francophonie ont tendance à se prendre pour des « chefs d’État », ce qui les éloigne de la mission première de l’organisation qui est celle de promouvoir la culture et la langue française.

M. Labeaume estime qu’au cours des 10 années qu’il a passées à la mairie de Québec, il n’a vu aucune manifestation concrète d’intérêt de la part de ceux qui dirigent l’OIF pour la minorité francophone en Amérique.

Régis Labeaume

Régis Labeaume réclame des mesures pour la défense du français au Québec. Photo : Radio-Canada

Qui se prend en réalité pour un chef d’État à l’OIF?

Le poste de secrétaire général de la Francophonie a été créé en 1997, à Hanoï, au Vietnam. Depuis, ce poste a été occupé respectivement par :

Boutros Boutros Ghali, ancien diplomate ayant une longue expérience dans les affaires internationales. Il a été secrétaire général de la Francophonie de 1998 à 2002. Son bilan controversé a fait l’objet de critiques lors du Sommet de la Francophonie de Moncton, au Nouveau-Brunswick (Canada), du 3 au 5 septembre 1999. Si son entourage, le président français de l’époque Jacques Chirac et certains chefs d’État africains estimaient que M. Boutros Boutros Ghali avait « redonné à la francophonie le rayonnement et la notoriété internationale qui lui manquaient cruellement », en « jouant notamment de son formidable carnet d’adresses » d’ancien diplomate, le Canada se montrait plus critique.

Le premier ministre canadien Jean Chrétien et le premier ministre du Québec Lucien Bouchard lui reprochaient une vision « trop diplomatique de sa mission ». Selon les officiels Canadiens, il se croyait toujours secrétaire général de l’ONU, ce qui contribuait à détourner l’OIF de ses missions premières pour la faire empiéter sur les domaines de compétence des Nations unies. Les Canadiens soulignaient alors que le secrétaire général de la francophonie devrait se contenter de remplir les missions techniques de l’organisation qui sont : la coopération linguistique, scientifique et culturelle.

S’il fallait extrapoler aux questions politiques, le secrétaire général devrait se tourner davantage vers la résolution des conflits et la poursuite des idéaux de paix, de démocratie et de droits de l’homme, avec la possibilité de suspendre les États membres qui ne respectaient pas ces droits. Le Canada avait reproché à Boutros Boutros Ghali d’avoir abordé ces questions avec « trop de timidité » et dénoncé sa mauvaise gestion des organismes francophones, l’accusant d’avoir négligé son rôle de coordination et de contrôle de certains opérateurs francophones.

Boutros Boutros-Ghali, à Genève, en 1994

Boutros Boutros-Ghali, à Genève, en 1994. Il est mort en 2016 à l’âge de 93 ans.  Photo : Reuters/Pascal Volery

Abdou Diouf, l’ancien président du Sénégal, a occupé le poste de 2003 à 2014. De lui, l’organisation et la communauté francophone retiennent l’image d’un « grand homme » au propre comme au figuré, qui a su mettre son expérience de chef d’État et de diplomate aguerri au service de l’avancement de la cause francophone.

Abdou Diouf

Abdou Diouf Photo : AFP/Joel Saget

Michaëlle Jean, ancienne journaliste et gouverneure générale du Canada, est en poste depuis 2015.

Le sommet qui s’ouvre le 11 octobre en Arménie retient l’attention. La candidate du Canada rêve d’un second mandat. Pourtant, son bilan est loin de satisfaire la France, poids lourd de cette organisation, l’Afrique, qui reste soudée derrière sa candidate, la ministre rwandaise des Affaires étrangères, Louise Mushikiwabo, mais aussi le Canada.

Le bilan de Mme Jean achoppe sur deux enjeux d’une importance avérée :

  • L’enrichissement de la langue et de la culture françaises qui semblent avoir été éclipsées au profit d’enjeux politiques.
  • Les dépenses jugées « exhorbitantes » de l’ancienne journaliste, qui ont fait l’objet de dénonciations de la part de plusieurs journaux au Québec.
Gros plan de Michaëlle Jean devant le drapeau de l'Organisation internationale de la francophonie.

Le règne de Michaëlle Jean à la tête de l’Organisation internationale de la Francophonie a notamment été marqué par des controverses sur ses dépenses. Photo : La Presse canadienne/Sean Kilpatrick

Selon M. Labeaume, l’OIF « devrait être confiée à des gens représentatifs de la francophonie de demain » et ne devrait pas être une piste d’atterrissage pour des politiciens en fin de carrière ».

Alors que les pays membres de la francophonie seront en conclave dans le but de désigner un nouveau secrétaire général, cet appel du maire de Québec, capitale de la province considérée comme le creuset de la francophonie en Amérique du Nord, résonne comme une mise en garde aux participants. Les trois personnalités qui ont dirigé l’organisation jusqu’à maintenant sont issues de l’univers politique : Abdou Diouf est un ancien chef d’État. En tant que 27e gouverneure générale du Canada, Michaëlle Jean a été la représentante de la reine du Royaume-Uni au pays, ce qui lui a conféré un statut de chef d’État, à titre honorifique, de 2005 à 2010.

Aujourd’hui, celle qui est pressentie pour remplacer la Canadienne est ministre des Affaires étrangères de son pays, ce qui lui permet de servir l’État tout près du sommet.

En clair, M. Labeaume souhaite un réel changement pour les quatre prochaines années et il déclare en substance : « Ce qui m’intéresse ce n’est pas qui va diriger l’OIF, c’est qu’est-ce qu’elle va faire? »

Il faut souligner que les différents sommets de l’OIF ont aussi et surtout été décriés par le passé du fait qu’ils ont souvent servi d’occasion de réseautage aussi bien sur le plan politique, économique que diplomatique pour les États en quête de nouveaux partenaires en totale déconnexion avec les objectifs initiaux de l’organisation.

Le premier ministre désigné Francois Legault

 François Legault, premier ministre du Québec Photo : La Presse canadienne/Paul Chiasson

Le nouveau premier ministre du Québec, François Legault, qui s’envole pour l’Arménie aux côtés du premier ministre du Canada Justin Trudeau, ne s’est pas montré particulièrement tendre envers la secrétaire générale sortante de l’OIF. Il l’a toujours vivement critiquée pour ses dépenses.

Si le maire Labeaume ne s’est pas clairement prononcé pour ou contre la réélection de Mme Jean, il a tout de même remis en question son bilan, tout comme celui de ses prédécesseurs. Il a souligné qu’à l’OIF, « les dirigeants ont tendance à se prendre pour des chefs d’État », pourtant ils ne le sont pas, et ils « doivent être des activistes de la culture française », d’où la nécessité d’un « leadership rajeuni là-bas ».

Par ailleurs, il convient de mentionner que la candidature du Rwanda, pays où le français semble en perte de vitesse, au profit de l’anglais, suscite quelques interrogations en ce qui a trait à sa représentativité à l’OIF. Certains s’interrogent également sur la représentativité de l’Arménie qui accueille le sommet, malgré son faible poids au sein de la francophonie mondiale, soit une population de 2,9 millions d’habitants sur 274 millions de francophones dans le monde.

RCI avec Radio-Canada, le Journal de Montréal, l'OIF et le Journal Les Échos

En complément :

L’organisation internationale de la francophonie ne doit pas être « party de dignitaires », selon La Beaume

Le français victime d’un « laisser-aller dangereux » au Québec, selon Régis Labeaume

Catégories : International, Politique
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