Le président vénézuélien lors de son allocution hebdomadaire « Les dimanches avec Maduro », à la télévision d’État Photo : Reuters

Venezuela : et si les sanctions occidentales aidaient plutôt la cause du président Maduro?

Mardi, le Canada a annoncé de nouvelles sanctions contre le régime de Nicolas Maduro. Cette quatrième série de sanctions contre des personnalités clés du régime de Caracas s’additionne aux 70 autres déjà imposées par Ottawa. Et si on y ajoute la horde de représailles d’autres pays occidentaux contre le Venezuela, on se demande par quel miracle le régime de Maduro tient toujours. À moins que ces sanctions ne soient au mieux un coup d’épée dans l’eau, et au pire, une aubaine pour le président Maduro qui peut s’en servir pour consolider son pouvoir.

La ministre des Affaires étrangères du Canada, Chrystia Freeland, a annoncé mardi des sanctions ciblées contre 43 personnalités vénézuéliennes, jugées responsables de la détérioration de la situation dans le pays. Parmi ces personnalités figurent de hauts représentants du régime Maduro, des gouverneurs régionaux ou encore des personnes « directement impliquées dans des activités portant atteinte aux institutions démocratiques ».

Le gouvernement canadien dit avoir pris ces mesures en réaction aux « actions antidémocratiques du régime Maduro, notamment en ce qui concerne la répression et la persécution des membres du gouvernement intérimaire, la censure et le recours excessif à la force contre la société civile, qui compromettent l’indépendance du pouvoir judiciaire et des autres institutions démocratiques ».

Concrètement, ces personnes subiront un gel de leurs avoirs au Canada. Il leur est notamment interdit d’effectuer des transactions avec toute personne vivant au Canada et avec tout Canadien à l’étranger. Elles ne peuvent donc ni faire le commerce des biens ni recevoir des services financiers ou connexes du Canada.

C’est la ministre canadienne des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, qui a annoncé la nouvelle série de sanctions contre le régime de Maduro. JACQUELYN MARTIN – AP

Ce que le Canada reproche au régime de Naduro

Après la victoire de l’opposition aux élections législatives de décembre 2015, l’exécutif vénézuélien a pris des mesures destinées à supprimer les pouvoirs de l’Assemblée nationale. En janvier 2016, le président Maduro a déclaré l’état d’urgence et a commencé à gouverner par décret, empêchant ainsi les députés de se prononcer sur ses projets et actions. L’année suivante, il a créé l’Assemblée nationale constituante (ANC) afin de court-circuiter le parlement dûment élu, mais dirigé par l’opposition. La légitimité de l’Assemblée nationale constituante est contestée par Ottawa et par de nombreuses autres capitales.

Pour coordonner leurs actions contre le régime de Maduro, le Canada et les États-Unis ont créé le 5 septembre 2017 une association qui préconisait des représailles économiques contre Venezuela et les personnes responsables de l’érosion systématique des institutions démocratiques du pays ainsi que de « graves violations des droits de la personne par le régime de Maduro ».

Dès le 22 septembre 2017, le Canada a épinglé 40 personnalités du régime de Maduro pour leurs actions contre la sécurité, la stabilité et l’intégrité des institutions démocratiques au Venezuela. Le lendemain, Ottawa a annoncé des sanctions ciblées contre 19 fonctionnaires « responsables ou complices de graves violations des droits de la personne reconnus à l’échelle internationale, et pour avoir commis des actes de corruption à grande échelle, ou les deux ». D’autres sanctions canadiennes ont suivi. Au point qu’au 16 avril 2019, ce sont en tout 113 personnalités vénézuéliennes qui font l’objet d’une mesure quelconque décrétée par le Canada.

L’artillerie lourde américaine

Côté américain, à la mi-mars 2019, le département du Trésor avait imposé des sanctions financières à 111 Vénézuéliens, tandis que le département d’État avait révoqué les visas à plus de 250 personnalités proches du pouvoir de Maduro. Le 28 janvier 2019, l’administration Trump a annoncé des sanctions à l’encontre de la compagnie pétrolière d’État Petróleos de Venezuela. Quelques jours auparavant, les États-Unis ont fait un coup d’éclat en reconnaissant Juan Guaido, le président de l’Assemblée nationale du Venezuela, comme chef d’État par intérim du pays.

Du coup, Nicolas Maduro n’était plus, aux yeux de Washington, le président légitime du pays. Le Canada et d’autres puissances occidentales ont emboîté le pas aux États-Unis. Les jours de Maduro à la tête du Venezuela semblaient alors comptés. Mais presque trois mois plus tard, l’avalanche toujours plus intense de sanctions ne l’a pas emporté.

En faisant front commun avec le président Donald Trump, le premier ministre canadien Justin Trudeau a jeté son masque de défenseur des droits de l’homme, selon Caracas. (Radio-Canada)

Caracas accuse Trudeau d’être à la remorque de Donald Trump

En réaction au nouveau train de sanctions canadiennes, le gouvernement de Maduro a accusé le Canada de suivre l’« aventure belliciste » du président américain Donald Trump. Dans un communiqué, le ministère des Affaires étrangères affirme que le premier ministre canadien a retiré à son pays « sa nature d’acteur fiable dans le dialogue » en choisissant d’accompagner « l’aventure belliciste et criminelle de Donald Trump contre le Venezuela ».

Pour le Venezuela, il est désormais clair que le gouvernement canadien qui prétend se préoccuper des droits de l’homme est hypocrite. Il a « jeté le masque » en s’alliant avec « des criminels de guerre qui ont déclaré leur intention de détruire l’économie vénézuélienne afin d’infliger des souffrances au peuple et de piller les richesses du pays ».

Les sanctions consistent en un gel des avoirs des personnes visées et une interdiction d’effectuer des transactions avec le Canada. Elles s’ajoutent à des mesures déjà prises par Ottawa à l’encontre de 70 autres responsables vénézuéliens. Le Canada, tout comme les États-Unis et une cinquantaine de pays, a reconnu le chef de file de l’opposition Juan Guaido comme président par intérim du pays latino-américain. Le gouvernement de Nicolas Maduro voit dans le geste de Guaido une tentative de coup d’État soutenue par Washington.

Rappelons que le Canada fait partie du Groupe de Lima qui comprend 13 pays latino-américains et dont la mission est de promouvoir une issue à la crise au Venezuela. Ces pays ne reconnaissent pas le deuxième mandat de Maduro entamé le 10 janvier. Lors d’une rencontre lundi, le Groupe de Lima a appelé les Nations unies à prendre des mesures pour éviter une escalade de la crise et garantir une aide humanitaire aux migrants.

Le baiser de la mort pour Guaido?

Pour l’heure, le cas Maduro semble conforter les nombreuses études universitaires qui relativisent l’efficacité des sanctions économiques comme outil de renversement de régime. Surtout dans un cas comme celui du Venezuela où ces sanctions sont fétichisées. On semble leur conférer des pouvoirs miraculeux. Nicolas Maduro, qui peut compter sur des alliés de poids comme la Russie et la Chine, ne va pas se contenter de plier l’échine.

Soutenu par quelques puissances occidentales, le président autoproclamé Juan Guaido peine à rallier l’armée vénézuélienne à sa cause. PHOTO AFP

Certes le Venezuela traverse une grave crise politique et économique depuis trois ans. Les pénuries en tout genre, aggravées par des pannes d’électricité à répétition ont fait fuir plus de 2,7 millions de Vénézuéliens. Le régime de Maduro est accusé d’incompétence, de mauvaise gestion et de corruption. Le Fonds monétaire international (FMI) prévoit une chute du PIB de 25 % cette année au Venezuela, ainsi qu’une hyperinflation de 10 000 000 % et un taux de chômage de 44,3 %. Des données qui sont suffisamment désastreuses pour mettre à mal le régime de Caracas.

Mais seulement voilà, le forcing occidental actuel semble plutôt changer les termes du débat et produire un effet boomerang. La gestion économique de Maduro est reléguée au second plan, éclipsée par le débat sur la souveraineté nationale. Nicolas Maduro a maintenant beau jeu de se servir des sanctions canadiennes et américaines pour s’ériger en rempart contre l’impérialisme occidental et présenter Juan Guaido, le président autoproclamé, comme la marionnette des Occidentaux. Avec un tel discours, tant l’armée que bien des Vénézuéliens divisés peuvent être tentés de faire bloc avec le président pour sauvegarder la souveraineté du pays.

Depuis les années de pouvoir d’Hugo Chavez, le grand ennemi a toujours été Washington. Et pour bien des Vénézuéliens, le président Donald Trump, champion de l’« America First » est loin d’être perçu comme le sauveur dont leur pays a besoin. Sa reconnaissance hâtive de Juan Guaido comme président par intérim est d’ailleurs, aux yeux de plusieurs observateurs, exactement ce qu’il ne fallait pas faire. Ce geste prend de plus en plus des allures de baiser de la mort pour le président autoproclamé et d’aubaine inespérée pour Maduro.

Plus de 2,7 millions de Vénézuéliens ont quitté leur pays depuis 2015 d’après l’ONU. Photo : Getty Images/LUIS ACOSTA

Règlement sur les mesures économiques spéciales visant le Venezuela :

• interdiction d’effectuer une opération portant sur un bien où qu’il soit, appartenant à une personne dont le nom figure sur la liste, ou détenu ou contrôlé par elle ou pour son compte;
• interdiction de conclure une transaction liée à une opération interdite décrite ci-dessus ou d’en faciliter la conclusion;
• interdiction de fournir des services financiers ou connexes à l’égard de toutes opérations décrites ci-dessus;
• interdiction de mettre toutes marchandises où qu’elles soient, à la disposition d’une personne dont le nom figure sur la liste ou une personne agissant pour son compte;
• interdiction de fournir des services financiers ou connexes à une personne dont le nom figure sur la liste ou à son bénéfice.
.

(Sources : Affaires mondiales Canada, AFP)

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Catégories : Économie, International, Politique
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