Il paraît que certains adeptes de pêche sportive au Québec ressentent aux poignets un genre d’agitation lorsqu’à la fin d’avril, une fois les eaux complètement dégarnies de leur couvert de glace, la saison de la truite ouvre enfin. La fébrilité serait encore plus marquée lorsque le pêcheur vit en milieu urbain, à Montréal par exemple, loin des lacs translucides où frétille l’appétissante mouchetée.
« Quand pourrai-je me libérer pour aller taquiner la truite ou le doré », se demande notre hypothétique mordu de pêche, assis dans le métro bondé en regardant, découragé, son calendrier bien rempli. Alors germe une idée farfelue. « Et si je pêchais en ville, dans le fleuve Saint-Laurent, sous le pont Jacques-Cartier dans le Vieux-Port? Après tout, Montréal est une île dans un fleuve majestueux où grouille le poisson! »
Trois mots : pollution, pollution, pollution
Toute sorte de rumeurs circulent à propos de l’eau du Saint-Laurent – ô combien polluée, certains diront – et de la faune qui l’habite. Depuis belle lurette, des histoires de créatures à deux têtes déformées par les contaminants qui nagent autour de la métropole refroidissent les ardeurs des pêcheurs les plus passionnés. Certains jurent qu’ils s’affameraient plutôt que de manger un poisson sorti de ces eaux!
Et la réputation du fleuve ne s’est pas améliorée depuis le déversement de 8 milliards de litres d’eaux usées par la Ville de Montréal en 2015…
D’autre part, la pêche urbaine est de plus en plus populaire au Québec. Plusieurs organismes, gouvernementaux ou non, encouragent cette activité. Certains parcs de la ville de Montréal situés près de l’eau en font la promotion, comme le parc Dieppe. Cet endroit situé sur la péninsule de la Cité du Havre offrant une vue magnifique sur le centre-ville et le Vieux-Port attire de nombreux pêcheurs qui rapportent fièrement leurs prises à la maison.
Peut-on manger le poisson?
Alors que les histoires de pêche parlant de monstres à deux têtes sont difficiles à prouver, la toxicité des poissons est certainement mesurable et les scientifiques qui s’en occupent savent très bien quoi répondre quand on leur demande si on peut manger les poissons du fleuve dans la région métropolitaine.
Nous sommes allés pêcher au parc Dieppe. Regardez notre vidéo!
M. Laliberté est responsable du réseau de surveillance des substances toxiques dans le milieu aquatique concernant la chair des poissons. Son équipe, en collaboration avec le ministère de la Santé et le ministère de la Faune, est à l’origine du Guide de consommation du poisson de pêche sportive en eau douce.
Quiconque se pose des questions sur la toxicité des poissons peut consulter en ligne ce guide avant de lancer sa ligne à l’eau. Les analyses sont faites dans plus de 1200 sites de la province et visent une quarantaine d’espèces.
Huit repas par mois
Selon le guide, les principaux poissons que l’on retrouve dans le fleuve près de Montréal – achigan, doré jaune, grand brochet, perchaude et barbue de rivière – de grandeur moyenne peuvent être consommés sans risque à raison de huit repas par mois. Il s’agit de la fréquence la plus élevée dans le guide! La portion recommandée par repas est de 230 g. Si vous avez un petit appétit, vous pouvez en manger plus souvent.
Non seulement ils sont bons à manger, ils sont, dans certains cas, meilleurs que des poissons d’une même espèce vivant dans des régions plus sauvages de la province, éloignées de la pollution urbaine.
Comment est-ce possible?
Les recommandations du guide sont basées sur la teneur en mercure trouvée dans la chair des poissons. Or, les poissons de la région métropolitaine ne sont pas plus contaminés par ce polluant que les autres.
Le chimiste explique que la source principale du mercure est atmosphérique. C’est avec la pluie qu’il se retrouve dans les cours d’eau. Aucune région n’est à l’abri de ce phénomène.
« Les gens croient que parce qu’ils sont dans un milieu complètement vierge, que le poisson est très propre à la consommation. Mais le mercure vient principalement par voie atmosphérique… Un très gros doré du nord est souvent beaucoup plus contaminé que celui du Saint-Laurent. » – Denis Laliberté
L’âge et la grosseur du poisson sont déterminants
De plus, en raison de la chaleur, les poissons d’une même espèce grandissent beaucoup plus vite et vivent moins longtemps à Montréal que dans les lacs et rivières plus nordiques. Ainsi, la toxicité est aussi relative à l’âge et à la grosseur du poisson.
« Un doré peut vivre environ 6 ou 7 ans dans le Saint-Laurent près de Montréal. Mais dans le nord à Chibougamau, il peut vivre 20 ans ou plus », explique-t-il. Ainsi, les poissons du sud près de Montréal sont exposés pendant beaucoup moins longtemps au mercure.
Plusieurs autres métaux sont mesurés (nickel, cobalt, plomb, etc.), mais c’est de loin le mercure qui se retrouve en plus grandes quantités dans la chair, dans des concentrations susceptibles de représenter un risque toxicologique pour les consommateurs.
« Les concentrations en mercure qu’on a mesurées (à la station de Boucherville, tout près de Montréal) sont inférieures à la norme de commercialisation et de mise en marché des produits de la pêche de Santé Canada, qui est de 0,5 mg/kg. »
Et les égouts?
Bien sûr, il n’y a pas que le mercure qui inquiète certains consommateurs. La pollution causée par les déversements d’égouts, d’eaux usées de toute sorte et de déchets multiples est aussi préoccupante. Mais selon le spécialiste, ce genre de contaminants ne se retrouvent pas dans la chair, la partie comestible du poisson.
« Les contaminants organiques qu’on peut retrouver dans des rejets ponctuels de la ville de Montréal, par exemple, sont des composés qui aiment beaucoup le gras », dit-il.
Mais les dorés, achigans et brochets du fleuve ne sont pas gras. Il y a moins de 1 % de gras dans leur chair. Donc les contaminants organiques iront se loger dans la cavité abdominale, dans le gras viscéral.
« On ne recommande pas aux gens de manger les organes (foie) ou le gras viscéral. On conseille aux pêcheurs de faire des filets sans la peau. »
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