Les ablutions rituelles obligatoires dans les traditions juive et musulmane qui accompagnent la toilette du corps sont aussi interdites, à cause des risques de contagion (Photo : Enes Evren / iStock)

La mort d’un être aimé en temps de pandémie

Les périodes de pandémie seraient un moment de remise en question des rites mortuaires, donnant lieu à plusieurs nouvelles configurations. C‘est ce que nous a expliqué Joseph Josy Lévy, anthropologue, chercheur au Laboratoire de recherche en relations interculturelles de l’Université du Québec à Montréal.

Citant un autre anthropologue, le Français Grégory Delaplace, M. Lévy note aussi, à propos des épidémies passées, des réponses contrastées des différentes civilisations, cultures et religions. 

Dans certains cas, comme dans celui de la « peste d’Athènes » survenue au 5e siècle avant notre ère, Thucydite rapporte le bris des normes entourant les enterrements qui s’effectuent alors dans le désordre, chacun tenant à se débarrasser de ses morts le plus rapidement possible et par n’importe quel moyen, des conduites que l’on retrouve rapportées en Italie au moment de la Renaissance. Dans d’autres cas, au contraire, à la même époque, des études archéologiques suggèrent le maintien des normes de respect vis-à-vis des morts emportés par une épidémie. Dans l’histoire, des populations s’opposaient même aux pratiques mortuaires édictées par les autorités lorsqu’elles allaient à l’encontre des normes habituelles, une situation rapportée à propos de l’épidémie d’Ebola dans les années 2010.Joseph Josy Lévy

La pandémie de COVID et les rites mortuaires de diverses cultures

Les modalités de traitement du cadavre, incinération, embaumement, enterrement nécessitent des interventions spécifiques imposées par les autorités de santé publique du Canada. Cela risque d’avoir une incidente dans la manière de réaliser les rites mortuaires pratiqués par les membres des différentes dénominations religieuses et culturelles. (Photo : Des Green /iStock)

L’épidémie de la COVID-19 a entraîné, tant au Canada que dans les autres pays, des pratiques strictes entourant la disposition du corps.

Les instances de santé publique du Canada insistent sur les règles à suivre dans la gestion de la dépouille d’une personne décédée de COVID-19, dont l’enveloppement du corps, par une housse ou un sac mortuaire ou par une étoffe la plus hermétique possible, et la protection individuelle des intervenants responsables du déplacement du corps jusqu’au salon funéraire dans les délais les plus rapides possible.

Ces modalités de traitement du cadavre (incinération, embaumement, enterrement) nécessitent des interventions spécifiques qui peuvent avoir une incidence sur les rites mortuaires pratiqués par les membres des différentes dénominations religieuses et culturelles, nous dit Joseph Josy Lévy, qui est aussi membre du comité de rédaction de la revue Frontières sur la mort et le deuil.

« On peut noter ici l’impact de l’épidémie sur les modalités telles que celles qui entourent le traitement thanatopraxique du corps qui doivent être alors délaissées. Le corps ne peut pas être touché ou embrassé par les membres de la famille. Il est déposé dans un cercueil totalement étanche, ce qui rend impossible son exposition dans le salon.

Les ablutions rituelles obligatoires dans les traditions juive et musulmane qui accompagnent la toilette du corps sont aussi interdites, à cause des risques de contagion. En raison des contraintes sur le transport terrestre ou aérien, le rapatriement de la dépouille dans le pays d’origine ou pour les Juifs religieux, l’inhumation en Israël, sont alors remis en question ou encore retardés.

Plusieurs modalités de rapatriement des dépouilles de Canadiens morts à l’étranger sont possibles, suite à une incinération ou transport dans un contenant scellé hermétiquement. »Joseph Josy Lévy

(Photo : azerberber / iStock)

La pandémie et le deuil

En 2017, RCI avait fait une entrevue avec la chercheuse Lilyane Rachédi, autrice d’un livre avec Béatrice Halsouet sur les phénomènes du deuil et de la mort de différents groupes d’immigrants.

L’ouvrage Quand la mort frappe l’immigrant : défis et adaptations présente plusieurs témoignages d’immigrants (musulmans, bouddhistes, chrétiens) qui ont perdu un membre de la famille, un ami ou un collègue cher. Aussi, l’ouvrage explore l’expérience des travailleurs sociaux qui soutiennent ces personnes d’origines diverses dans ces moments difficiles.

L’anthropologue Joseph Josy Lévy croit que le deuil en contexte de pandémie, comme celui de la COVID-19, présente des caractéristiques particulières. Les personnes endeuillées sont le plus souvent confrontées à une perte brutale, non planifiée, dit-il.

« Elles ne peuvent pas accompagner leur parent en fin de vie, à cause de l’isolation des malades et de leur propre confinement. Dans ces conditions elles ont du mal à accepter que leur proche soit mort dans des conditions d’isolement extrême, sans pouvoir leur faire leurs adieux, d’où un sentiment de ne pas avoir fermé un cycle particulièrement accentué.

La culpabilité, la colère ou l’impuissance peuvent alors être vécues. Le deuil devient aussi difficile à cause des contraintes imposées sur les cérémonies funéraires, le réseau personnel pouvant assister aux obsèques étant réduit à son strict minimum. La cérémonie peut être certes suivie au moyen des téléphones ou d’autres appareils, mais il reste que la distanciation sociale demeure un obstacle à la transmission des gestes d’affection et de soutien essentiels à ce moment. »Joseph Josy Lévy

(Photo : Tomas Ragina /iStock)

La période rituelle de deuil, que l’on retrouve dans la tradition juive où les endeuillés restent confinés à la maison pour 7 jours et reçoivent l’appui de leur entourage, se voit aussi affectée, nous a expliqué Joseph Josy Lévy.

Les visites étant limitées, les individus vivent leur deuil souvent dans une grande solitude, même si les outils comme Zoom, Facebook ou Facetime permettent de maintenir le contact entre les membres de la famille en particulier s’ils résident dans plusieurs pays.

« Le confinement lié à la pandémie peut aussi amplifier les répercussions du décès d’un proche, puisque le retour à la vie normale (travail, rencontres, etc.) est retardé.

Il se peut que dans le cas des juifs et musulmans très attachés à la tradition, le fait de ne pas avoir accompli les rites religieux dans leur plénitude puisse contribuer à leur malaise face à la mort de leurs proches. » Joseph Josy Lévy

M. Josy Lévy croit enfin que les consignes entourant la disposition des corps et le déroulement des rites mortuaires se maintiendront sans doute tant que les contraintes entourant le contrôle de la pandémie seront en place. Par la suite, on peut s’attendre au retour aux normes.

Il se peut toutefois que l’on assiste à la création de modalités de commémoration des décès liés à la pandémie. On va devoir déjà mettre en place des hommages aux intervenants en santé ou aux lanceurs d’alerte morts en accomplissant leur tâche.

Pour cet anthropologue, la constitution d’un patrimoine matériel et immatériel sur le « Grand Confinement » pourra permettre de garder la mémoire de cette période dont l’histoire sera sans doute écrite.

La recherche de M. Josy Lévy a été faite en collaboration avec Maude Arsenault, doctorante au département d’anthropologie de l’Université de Montréal. 

Catégories : Santé, Société
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