Ryad Assani Razaki – Ses histoires, son parcours.

Ryad Assani-Razaki est un mopaya; un étranger… Originaire du Bénin, il y naît et y grandit avant de le quitter pour aller continuer ses études en Amérique du Nord. Il passe en Caroline du Nord, au Québec, y termine son cursus, puis va s’installer en Ontario où il exerce la profession d’informaticien. En 2009 il publie Deux Cercles, un recueil de nouvelles. Ce sont onze histoires inspirées des rencontres, conversations et expériences de Ryad Assani-Razaki. Il y est question des épreuves et difficultés que vivent des personnes qui tentent de s’intégrer alors qu’elles sont en perte de repères dans un environnement qui n’a rien de connu… Lorsque le projet Mopaya est né j’ai immédiatement pensé à lui: à sa plume et à son intérêt pour les autres. Lorsque je lui en ai parlé,il était tout aussi enthousiaste que moi et, l’homme de lettres qu’il est, a immédiatement mis sur papier quelques histoires qui lui sont venues en tête, inspirées par Mopaya, les enfants, l’étranger.

Lisez les histoires qu’il nous a écrites et faites connaissances avec lui  grâce à la petite conversation que nous avons eue au sujet de sa propre expérience en tant qu’étranger.

Que raconter à Jean?

C’était il y a quelques mois. L’institutrice à l’école nous avait annoncé ce que serait l’activité culturelle de cette année: il fallait que chacun de nous écrive une lettre à un élève de la même classe mais dans un autre pays, au Canada ! Lorsque j’ai décidé de composer ma lettre, ma main s’est mise à trembler. Que pouvais-je raconter à Jean Robitaille sur le Bénin ? Lui parler du soleil, du sable ? Il devait connaître déjà. Lui par contre pouvait me parler de la neige qu’il n’y avait pas ici !

Lui parler de mes jeux de foot avec mes amis ? Il devait y jouer aussi. Cependant, il pouvait aussi jouer au hockey sur glace et pas moi. Il pouvait aller faire du ski et pas moi.

J’ai pensé à parler d’animaux, inventer des histoires de lions, de zèbres, mais j’ai hésité. Je vis en Afrique, mais dans une ville, et je n’ai jamais vu d’animaux sauvages. Alors que Jean avait peut-être été au zoo et saurait si je mentais…

Je me suis souvenu de ce robot que mon oncle qui s’habillait toujours bien avait rapporté d’un de ses nombreux voyages. Il avait ouvert sa valise sur mon lit et à l’intérieur tout était frais et sentait bon, comme j’imaginais que devait l’être l’air du du pays d’où il venait. Puis il m’avait tendu le robot. J’étais si fier parce que de tous mes amis, j’étais le seul à avoir ce genre de robot. Sous l’une des jambes du robot, c’était écrit: “Fabriqué au Canada”. Cela voulait dire que chez Jean Robitaille, tout le monde avait ce robot ! Et d’autres encore. Je me suis rendu compte que Jean avait tout ce que j’avais et plus encore. Il savait tout ce que je savais et plus encore. Jean était Canadien après tout, qu’est ce que je pouvais lui apprendre ?

Et si je n’avais rien à écrire ? Alors j’ai eu très très peur ! Puis j’ai réfléchis et j’ai repensé à ma joie de recevoir ce jouet venu d’ailleurs et qu’ici j’étais le seul à avoir. Et à mon excitation à chaque fois que mon oncle revenait d’un nouveau voyage avec de nouveaux cadeaux. J’ai repensé à mon émerveillement à chaque fois que je regardais la neige tomber dans un film à la télévision, puis que je courrais ouvrir la porte du congélateur en m’imaginant devenir tout petit, de la taille d’un doigt, et pouvoir marcher à l’intérieur, sur la surface des parois recouvertes de glace. Oui, j’allais lui parler de ca ! De ma joie de vivre, de mes rêves, de mes parents et de mes amis formidables, parce que ça, c’est certain, il ne pourrait jamais l’imaginer !

Tout pour Aurélie

Mon premier voyage au Canada. Je ne voulais pas y aller, je voulais rester à Cotonou et passer les vacances avec mon frère à jouer au foot dans le quartier. Mais mon Papa avait insisté. Il voulait m’emmener rendre visite à son ami québecois. Et l’année prochaine, ce serait au tour de mon frère. Il m’avait pris par la main, m’avait accroché au cou une sacoche qui contenait plein de documents et mon passeport puis allez, hop, dans l’avion!

Après avoir avalé, mâché, toussé, bref fait tout ce que Papa me conseillait pour me déboucher mes oreilles à chaque fois que l’avion changeait d’altitude, nous avons atterri. J’étais fâché et fatigué. L’aéroport était le plus grand bâtiment que j’avais vu de toute ma vie. Le plafond était tout en haut avec de grosses ampoules à l’intérieur. A cause de la climatisation dont je n’avais pas l’habitude, je me suis mis à éternuer. J’étais content d’éternuer parce qu’ainsi, mon papa verrait qu’il avait eu tort de me forcer à venir, puisque je tombais malade. J’espérais que ma toux s’aggraverait et que je passerais toutes les vacances aux lit avec de la fièvre. A mon premier pas sur l’escalier roulant j’ai trébuché et me suis étalé sur le sol. Mon papa m’a regardé avec un sourire. Il n’avait pas l’air de s’en vouloir du tout !

Ensuite, nous avons rencontré Thomas, son ami blanc avec un long nez. Il parlait français et pourtant je ne comprenais rien à ce qu’il disait. Son accent était très bizarre. Il m’a donné des chocolats “Smarties”. C’était tellement bon ! J’espère qu’il ne m’a pas vu me lécher les doigts une fois que le chocolat était fini. Nous sommes rentrés dans sa voiture et pendant qu’on allait chez lui j’ai regardé les route s’étendre à l’infini. Tout était si bien entretenu. C’était comme si plein d’hommes étaient passé la veille au soir et avaient balayé tout le sable qui aurait dû se trouver sur les voies. J’ai quand même eu le mal de voiture parce qu’ici tout le monde roulait si vite ! J’ai essayé de vomir dans la voiture mais ca n’a pas marché.

Au bout d’une éternité, nous sommes arrives chez Thomas. Il habitait à l’intérieur d’un immeuble. J’ai commencé à tousser d’un air essoufflé en montant escaliers. Il fallait que je prépare ma maladie fictive. Tout marchait bien jusqu’à ce que la femme de Thomas ouvre la porte. A côté d’elle, dans l’entrée j’ai vu Aurélie, la fille de Thomas. J’ai vu ses long cheveux noirs, ses yeux clairs, son sourire radiant. Wow ! Mon papa m’a secoué par l’épaule en me disant “Tu toussais, tu es en train de tomber malade ?”. J’ai répondu avec toute la vigueur que j’ai pu “ Non, non, je vais très bien, très, très, très bien!” Ah, je ne regrettais plus ni mon frère, ni les parties de foot. Ce qui se trouvait devant moi était bien plus intéressant. Non, c’était décidé, je ne voulais plus tomber malade.