Vue d'une cellule d'isolement en 2017 avec du papier toilette jonchant le sol et publié par un agent correctionnel canadien dénonçant l'utilisation de ce genre de cellule. Photo : Chris Jackel/Twitter

Jugé inhumain, l’isolement préventif extrême dans les prisons canadiennes sera éliminé

Le gouvernement du premier ministre canadien Justin Trudeau vient de déposer un projet de loi qui remplacerait la pratique de l’isolement préventif dans les établissements correctionnels fédéraux par une pratique moins restrictive. Un détenu conserverait son accès à des programmes de réadaptation ou à des soins de santé mentale.

Le ministre fédéral de la Sécurité publique, Ralph Goodale Photo : Jacques Boissinot La Presse canadienne

Si la nouvelle loi C-83 est adoptée comme telle, un détenu aux comportements problématiques pourrait donc toujours être séparé du reste de la population carcérale.

Ce détenu pourrait tout de même passer un minimum de quatre heures par jour à l’extérieur de sa cellule, dont deux heures en compagnie d’autres personnes.

Le ministre de la Sécurité publique Ralph Goodale indique que le projet de loi résulte de décisions judiciaires récentes dénonçant l’isolement préventif, communément appelé « le trou » en langage familier carcéral.

L'isolement pénitencier préventif à l'heure actuelle au Canada
– Les détenus qui présentent un risque pour eux-mêmes ou pour la population carcérale peuvent être placés en isolement cellulaire préventif pour une période indéfinie, soit « le temps qu’il faut ».
– Ils ne peuvent sortir de leur cellule que deux heures par jour, et ils n’ont pas accès à des interactions significatives avec d’autres humains.
– Ils ne bénéficient pas non plus des programmes offerts aux détenus ou de soutien en santé mentale.

La cour d’exercice de l’unité d’isolement au pénitencier de Kingston, en Ontario, en 2016. Photo : PC/Lars Hagberg

Traitement inhumain selon deux jugements

Le juge Peter Leask Photo : PC

En janvier dernier, un juge de la Cour suprême de la Colombie-Britannique, dans l’Ouest, avait déclaré inconstitutionnelle la loi encadrant la pratique de l’isolement préventif dans les pénitenciers du pays.

Les prisons canadiennes ne doivent plus envoyer leurs détenus en isolement préventif indéfiniment, tranchait le juge Peter Leask dans sa décision. Il affirmait que cet isolement allait à l’encontre de la Charte canadienne des droits et libertés, car elle « autorise et permet dans les faits un isolement administratif prolongé et indéfini ».

Ces lois sont d’autant plus pernicieuses, estimait-il, pour les personnes atteintes de maladies mentales. L’isolement préventif pendant une période indéterminée « expose les détenus fédéraux canadiens qui y sont soumis à un risque important de sévices psychologiques, y compris des souffrances mentales, et à un risque accru de suicide », écrivait-il dans son jugement.

Le gouvernement canadien a aussi pris en compte dans son projet de réforme l’enquête d’un coroner ontarien sur le décès d’Ashley Smith, une jeune femme de 19 ans qui s’était étranglée dans sa cellule en 2007 après avoir passé plus de 1000 jours en isolement préventif dans divers établissements.

Ashley Smith Photo : La Presse canadienne

La réforme proposée

Le projet de loi C-83, déposé mardi à la Chambre des communes, prévoit notamment de remplacer l’isolement cellulaire préventif par des « unités d’intervention structurées », créées au sein même des établissements.

Les détenus logés au sein de ces nouvelles unités d’intervention structurées recevraient quotidiennement la visite d’un professionnel de la santé agréé, et ils pourraient avoir accès à des « défenseurs des droits des patients », une recommandation du coroner dans l’enquête sur la mort d’Ashley Smith.

Le Service correctionnel du Canada serait d’autre part tenu de veiller à ce que « les facteurs systémiques et historiques exclusifs aux délinquants autochtones soient pris en considération dans toutes les décisions ».

Réactions

Anne Kelly Photo : Service correctionnel du Canada

La commissaire du Service correctionnel du Canada, Anne Kelly, a estimé dans un communiqué que « ces modifications législatives transformeront le système correctionnel fédéral, en plus de faire en sorte que les établissements fournissent un environnement sûr et sécuritaire qui favorise la réhabilitation des délinquants, la sécurité du personnel et la protection du public ».

Le Syndicat des agents correctionnels du Canada accueille pour sa part avec prudence le projet de loi C-83.

« Si on souhaite que la loi C-83 fonctionne, une consultation sérieuse et des ressources seront nécessaires », précise Jason Godin, président national du syndicat UCCO-SACC-CSN.

Selon lui, la nouvelle loi ne doit pas sacrifier l’isolement préventif, puisqu’il réussit à dissuader les détenus d’adopter les comportements violents.

« Nous devons trouver des sanctions disciplinaires alternatives à l’isolement en nous assurant que les détenus qui adoptent des comportements dangereux et violents assumeront les conséquences de leurs actes. »

Nous assistons à une hausse des assauts sur les agents et les détenus depuis que Service correctionnel Canada a limité le recours à l’isolement.

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Crédit photo : Michelle Shephard

RCI avec La Presse canadienne et la contribution de Radio-Canada

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