Le monde entier suit avec appréhension le ping-pong des sanctions commerciales entre Américains et Chinois. Plusieurs se demandent jusqu’où cette escalade de sanctions et de ripostes va nous mener et quelles en seront les conséquences sur les échanges internationaux. D’où la grande interrogation : s’achemine-t-on vers une guerre commerciale mondiale?
La Chine et les États-Unis sont deux mastodontes de l’économie mondiale. À eux deux, ils représentent environ un tiers du PIB de la planète. Comme dit le proverbe, «Quand deux éléphants se battent, ce sont les fourmis qui meurent». Dans une économie mondiale plus intégrée que jamais, un affrontement entre Américains et Chinois aurait de nombreux effets collatéraux ailleurs dans le monde.
Prenons le cas d’un produit qui fait la fierté des Américains : l’Iphone de Apple. L’appareil est conçu aux États-Unis. Il est assemblé en Chine avec la contribution de nombreux fournisseurs de la chaîne Foxconn. Des fournisseurs qui, eux, importent des pièces (écrans, mémoires, circuits imprimés…) de la Corée du Sud ou du Japon.
D’autres composants comme les condensateurs se font avec du coltan, les batteries avec cobalt, des produits qui viennent majoritairement de la République démocratique du Congo. Le «contenu» chinois proprement dit de l’Iphone est donc minime.
Cette décentralisation de la fabrication s’applique aussi à d’autres produits informatiques, à l’automobile, à l’aviation, et j’en passe. Donc, sanctionner lourdement un pays adversaire, c’est parfois, punir indirectement des pays fournisseurs ou sous-traitants, et qui, dans bien des cas, peuvent être des alliés du punisseur.
La croisade de Donald Trump contre la Chine
Pendant sa campagne électorale de novembre 2016, Donald Trump répétait à satiété que les États-Unis étaient exploités par leurs partenaires commerciaux et qu’il corrigerait la situation s’il accédait à la Maison-Blanche. Une fois élu, M. Trump est passé de la parole aux actes.
Le 22 janvier 2018, il impose des taxes douanières sur les machines à laver et les panneaux solaires pour une période de 4 ans. Principale visée : la Chine, premier producteur mondial de panneaux solaires. Certes, ces taxes sont dégressives. C’est-à-dire qu’elles passeraient de 30 % la première année à 15 % la quatrième année pour les panneaux solaires, et de 20 % la première année, à 16 % la troisième pour certaines machines à laver. Mais le ton est donné. La surenchère est déclenchée.
En février 2018, la Chine, qui importe à elle seule environ 1 milliard de dollars de sorgho américain, lance une enquête antidumping, sous le prétexte que Washington subventionne la culture de cette céréale.
Le mois suivant, M. Trump revient à la charge. Il impose des droits de douane de 25 % sur les importations d’aluminium et de 10 % sur celles d’acier. Certains partenaires commerciaux des États-Unis comme le Canada, l’Union européenne, la Corée du Sud, le Brésil, le Mexique et l’Argentine en sont temporairement exemptés. Pas la Chine et le Japon.
Toujours au mois de mars, le 23 pour être précis, la Chine riposte. Elle annonce une hausse des droits de douane sur 128 produits américains. Pour 120 produits comme le vin ou les fruits, la hausse est de 15 %. Pour 8 autres, dont la viande de porc, elle est de 25%. Montant de tous ces droits de douane : 3 milliards de dollars.
Après une série d’autres sanctions, en septembre 2018, l’administration Trump sort l’artillerie lourde. Des taxes punitives sont imposées sur 200 milliards d’importations chinoises. Ces taxes initiales de 10 %, devraient passer à 25 % au 1er janvier 2019. En guise de représailles, la Chine inflige aussi des droits de douane de 5 à 10 % sur un volume de 60 milliards d’importations américaines.
Washington souffle le chaud et le froid
Même si en décembre 2018, Washington a reporté de 90 jours la hausse des droits de douane de 10 % à 25 % prévue le 1er janvier 2019, la nervosité des marchés et des analystes n’a pas été dissipée.
Lors d’un échange téléphonique le 29 décembre, le président américain Donald Trump et son homologue chinois Xi Jinping ont réaffirmé leur intention de trouver une solution négociée à leur désaccord commercial, près d’un mois après s’être entendus sur une trêve.
Dans un tweet après leur conversation, Donald Trump a fait état d’«un long et très bon coup de fil» avec son homologue chinois. «On avance bien vers un accord, a-t-il écrit. Si on y arrive, il sera très large et couvrira tous les domaines et tous les contentieux. On fait de grands progrès».
De son côté, le président Xi Jinping a parlé «des progrès continus» dans les relations bilatérales sino-américaines. Il a aussi exhorté chaque camp à faire des concessions pour parvenir «aussi vite que possible» à un accord bénéfique tant pour les deux pays que pour le monde entier.
Mais, parvenir à un accord dans les 90 jours avant la hausse des droits de douane de certains produits chinois aux États-Unis risque d’être difficile. Et tant qu’un accord formel n’est pas signé, le spectre d’une vraie guerre commerciale sino-américaine va continuer de planer sur les marchés.
Dans son édition d’octobre-novembre, la revue Diplomatie se pose d’ailleurs la question : « Vers une guerre commerciale mondiale?». Michèle Rioux, professeure au Département de science politique de l’Université du Québec à Montréal et directrice du Centre d’études sur l’intégration et la mondialisation a coordonné ce dossier. Elle nous en parle.
Écoutez- Pékin impose des droits de douane de 25% sur les voitures neuves américaines, alors que Washington n’en impose que de 2,5% sur les voitures importées de Chine.
- La Chine oblige les géants américains de la technologie, comme Apple, offrant des services d’infonuagique (Cloud computing) sur son territoire de conserver les données de ses citoyens dans des serveurs exploités par des Chinois. Washington n’a aucune exigence de ce type.
- En 2010, le constructeur américain Ford a vendu Volvo au groupe chinois Geely Holding. Mais les sociétés automobiles étrangères ne peuvent acheter des constructeurs chinois. Elles doivent plutôt créer des coentreprises pour fabriquer des voitures en Chine.
- Facebook, Twitter et Google ne peuvent opérer en Chine.
- Des secteurs importants de l’économie chinoise (automobile, télécommunications, TI et santé) sont soit partiellement soit totalement fermés à toute acquisition par des sociétés étrangères.
Au-delà des enjeux commerciaux
Les déficits commerciaux des États-Unis avec d’autres pays ne sont pas une nouveauté. Ils en ont accumulé dans le passé et pendant longtemps avec des pays comme l’Allemagne, la Corée du Sud ou encore le Japon. Mais cette situation n’a jamais suscité des tensions aussi intenses que celles qui agitent les relations sino-américaines en ce moment.
La raison? Les premiers pays sont de proches alliés des États-Unis. Alors que la Chine est perçue comme une rivale autoritaire qui veut réduire l’influence géopolitique et économique mondiale des États-Unis.
Une étude de la Banque Nationale du Canada (BNC) affirme que les États-Unis auraient offert des exemptions des droits de douane sur l’acier à certains pays. En retour, ces pays s’assureraient d’empêcher l’entrée aux États-Unis d’acier étranger, (comprenez : acier chinois). Ces pays sont aussi tenus de coopérer avec Washington contre ce qu’il considère comme abus commerciaux chinois.
Ainsi, selon la BNC, le Canada a renforcé les pouvoirs de l’Agence des services frontaliers, lui permettant désormais de « freiner l’entrée d’acier et d’aluminium bon marché provenant de pays qui essaieraient d’éviter les droits de douane en vendant leurs produits à un pays tiers non assujetti à ces droits».
En théorie, dans son affrontement avec Pékin, Washington devrait pouvoir compter sur l’appui de ses partenaires commerciaux traditionnels (Canada, Japon, UE et Corée du Sud). Mais dans les faits, l’imprévisible Donald Trump, mû par son «America First» (l’Amérique d’abord) et son peu de considération pour les alliés des États-Unis, s’emploie plutôt à coaliser tout le monde contre son administration.
(Avec BNC-Marchés finaniers, AFP et Reuters)
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