Le Service canadien du renseignement de sécurité (SISC) a déclaré que cette initiative permettra à l'agence d'accumuler de grands volumes d'informations et de détecter des tendances encore inconnues. Le cadre de la pandémie pourrait être un scénario plausible pour tester les nouveaux pouvoirs que la stratégie apporte aux espions. (Photo : iStock/alexsl)

Un plan de surveillance amasserait des données privées sur les Canadiens

Une nouvelle stratégie de collecte et d’utilisation des données personnelles sur les Canadiens a été approuvée en 2019, mais le service d’espionnage canadien a déjà commencé à la mettre en œuvre, selon des documents récemment publiés et vérifiés par La Presse canadienne.

Le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) a déclaré que cette initiative permettra à l’agence d’accumuler de grands volumes d’informations et de détecter des tendances encore inconnues. Le cadre de la pandémie de la COVID-19 pourrait être un scénario possible pour tester les nouveaux pouvoirs que la stratégie apporte aux espions.

Est-ce une atteinte aux libertés civiles des Canadiens?

(Photo : iStock/ArtistGNDphotography)

Ce nouveau pouvoir de collecter, filtrer et conserver toutes ces données personnelles des citoyens préoccupe les défenseurs des libertés civiles.

Sean McDonald, du Centre pour l’innovation dans la gouvernance internationale basé à Waterloo, en Ontario, estime que chaque intervention en cas de catastrophe mobilise des acteurs pleins d’espoir et de bonnes intentions qui cherchent à mettre à profit leurs compétences professionnelles dans le cadre de l’effort, et parmi eux, il n’y a pas d’industrie dont le travail est plus possiblement envahissant ou dangereux lors d’une catastrophe que la technologie.

Il est indéniable que nous devons utiliser la technologie dans le cadre de la réponse aux catastrophes, mais l’immaturité réglementaire de l’industrie a fait des entreprises technologiques des alliées risquées, même dans les meilleures circonstances. Et ce ne sont pas les meilleures circonstances : plus de 200 gouvernements sont confrontés à des cas actifs de COVID-19 et utilisent tout le pouvoir, les ressources et les arguments à leur disposition pour promouvoir leurs intérêts, dont certains seulement sont directement liés à COVID-19.Sean McDonald du CIGI

Sean McDonald est un membre principal du CIGI et cofondateur de Digital Public, une organisation qui crée des trusts légaux pour protéger et gouverner les biens numériques.

Sean McDonald est un membre principal du CIGI et cofondateur de Digital Public, une organisation qui crée des trusts légaux pour protéger et gouverner les biens numériques. (Photo : Site internet du CIGI)

Selon cet expert, alors qu’un éventail extraordinaire de propositions et d’idées basées sur la technologie émergent dans le cadre de COVID-19, il existe des projets axés sur la surveillance biomédicale et sociale qui nécessitent de grandes quantités de données de localisation.

Il existe aussi quelques grandes catégories de problèmes que les experts cherchent à résoudre, comme le repérage des contacts, l’alerte précoce en cas d’urgence, la surveillance, le contrôle social en contexte de quarantaine et, bien sûr, la recherche scientifique autour du coronavirus, entre autres. Parmi ces catégories, deux sont particulièrement sensibles :

1. Quarantaine et contrôle social

(Photo : iStock/AlenaPaulus)

Parmi les éléments importants de l’aspect humain de la réponse à une pandémie, il y a essentiellement la manière dont les institutions de santé publique tentent de contenir, de limiter et d’arrêter la propagation d’un agent pathogène en contrôlant les mouvements des personnes.

Plus inquiétant encore, nous voyons également les forces de l’ordre et les militaires faire respecter les exigences du blocus avec violence, ce qui a déjà entraîné la mort d’un homme qui cherchait de la nourriture en Inde. Ils constituent également un élément extrêmement sensible dans la relation entre une population et son gouvernement, à tel point que la plupart des gouvernements exigent des autorisations exceptionnelles pour imposer ce type de contrôle social.Sean McDonald du CIGI

La plupart de ces protections sont antérieures à l’avènement de la technologie moderne et constituaient la norme de soins à une époque où l’on n’imaginait même pas l’étendue ou la granularité du contrôle social numérique qui est possible aujourd’hui, selon cet expert.

2. Repérage des contacts

(Photo : ©iStock-D3Damon)

Il s’agit du processus de suivi de la propagation d’une épidémie. Et, dans presque tous les cas, la nécessité de suivre la propagation d’une infection est la raison la plus souvent invoquée pour augmenter la quantité de données partagées lors d’une urgence de santé publique.

Cependant, rappelle Sean McDonald, aussi important que soit le repérage des contacts, elle a un impact énorme sur la vie des gens, tout comme la présomption de maladie.

Les approches institutionnelles de la recherche des contacts sont basées sur des preuves médicalement approuvées, non seulement parce que les institutions de santé publique sont réactives en raison de leur conception, mais aussi parce que les impacts ne sont acceptables que s’ils sont basés sur des faits. Toutes les approches décrites ci-dessus comportent des risques sérieux pour la société. L’utilisation des données du réseau de téléphonie mobile, par exemple, crée des possibilités de localisation très granulaires et en temps réel, ce qui est dangereux pour plusieurs raisons. Par exemple, en Israël, le gouvernement a déclaré qu’il utiliserait les données de localisation pour imposer une quarantaine comme « exigence » que le gouvernement appliquera « sans compromis ». De même, les communautés manquent largement de sensibilisation ou d’outils pour gérer correctement une réponse et peuvent souvent céder à la peur et à la discrimination.
Sean McDonald du CIGI

Que signifierait concrètement la nouvelle stratégie de collecte de données personnelles auprès des Canadiens?

(Photo : ©iStock/hidesy)

Les notes de service envoyées à La Presse canadienne en vertu de la loi sur l’accès à l’information montrent que le Service canadien de renseignement indique que depuis juillet dernier, le service d’espionnage a demandé au ministre de la Sécurité publique de l’époque, Ralph Goodale, d’approuver les différents types de données qu’il voulait pouvoir recueillir sur les Canadiens.

L’analyse des données est un outil de recherche essentiel pour le service, qui permet au SCRS d’établir des liens et d’identifier des tendances qu’il ne serait pas possible d’observer autrement par les méthodes de recherche traditionnelles.David Vigneault, directeur du Service canadien de renseignement, dans une lettre au ministre Goodale

En vertu de cette loi, le ministre de la Sécurité publique peut approuver une catégorie d’ensembles de données qui peuvent être recueillis par le SCRS s’ils sont jugés pertinents pour les enquêtes du Service. Le commissaire fédéral au renseignement Jean-Pierre Plouffe examine les conclusions du ministre pour déterminer si elles sont raisonnables, selon La Presse canadienne.

Une fois que le Service canadien du renseignement recueille un ensemble de données, un employé désigné doit déterminer si celui-ci répond à l’approbation du ministre. Pendant cette période d’évaluation, l’utilisation opérationnelle des données est interdite.

En outre, le SCRS doit s’adresser à la Cour fédérale s’il souhaite conserver un ensemble de données sur les Canadiens.

Dans une autre note écrite par des fonctionnaires pour l’ancien ministre Goodale, les fonctionnaires l’ont averti que la première année de mise en œuvre de la nouvelle loi est « un processus d’apprentissage ».

Les détails sur les types de données que le SCRS souhaitait recueillir, y compris les raisons de chacune, ont été rédigés pour des raisons de sécurité.

Selon Tim McSorley de la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles, les données dont la collecte est autorisée doivent être limitées aux informations dont il est prouvé qu’elles sont liées à une menace pour la sécurité du Canada.

La pandémie COVID-19 est-elle une menace pour la sécurité nationale?

(Photo : ©iStock/aydinynr)

C’est la grande question. Dans des pays comme l’Italie, l’Allemagne et l’Autriche, les sociétés de télécommunications partagent déjà les données agrégées des téléphones intelligents avec les autorités sanitaires afin de vérifier si les gens répondent aux demandes d’auto-isolation pour arrêter la propagation de la COVID-19.

Lors d’une conférence de presse le 24 mars dernier, le premier ministre canadien Justin Trudeau a ajouté ceci :

Comme je l’ai dit, toutes les options sont sur la table pour faire ce qui est nécessaire pour assurer la sécurité des Canadiens en ces temps exceptionnels. Justin Trudeau, premier ministre du Canada

La directrice de la santé publique du Canada, la Dre Theresa Tam, a dit pour sa part qu’aucune option ne devrait être écartée pour aplatir la courbe de la pandémie, le meilleur moyen d’éviter que les hôpitaux du pays ne soient débordés.

Je pense qu’il existe de nombreuses approches innovantes et qu’elles doivent toutes être examinées, évidemment dans le respect de la vie privée, de l’éthique et de toutes ces considérations. Dre Theresa Tham

Lundi, le premier ministre du Québec, François Legault, a présenté publiquement l’idée de suivre les déplacements passés des personnes ayant été déclarées positives à la COVID-19 par le biais de leur téléphone.

La plus grande compagnie de téléphone du pays, Bell Canada, a déclaré qu’elle était prête à partager des informations personnelles avec les gouvernements si on le lui demandait.

Trudeau n’exclut aucune option

Le premier ministre canadien n’a pas exclu d’utiliser les données des téléphones intelligents pour vérifier si les gens respectent les dispositions de santé publique pour rester chez eux afin d’arrêter la propagation de la pandémie de COVID-19.

Cette notion pose certains dilemmes éthiques concernant la santé publique et le droit à la vie privée pour certains organismes de défense des libertés civiles.

Repérer les endroits où le coronavirus va attaquer et convaincre les gens de s’isoler et d’éviter les réunions s’est avéré être un défi pour les responsables de la santé publique du monde entier. Cela a conduit certains gouvernements à s’appuyer sur les données des téléphones portables pour contrôler les infections, notamment pour prédire le comportement du virus.

Justin Trudeau (Photo : REUTERS/Patrick Doyle)

Lors de la même séance d’information quotidienne du 24 mars, un journaliste a demandé à M. Trudeau si le Canada suivrait l’exemple de certains gouvernements qui utilisent des données provenant d’appareils de télécommunication pour contrôler le respect par le Canada des mesures de lutte contre la pandémie.

Je pense que nous reconnaissons que dans une situation d’urgence, nous devons prendre certaines mesures qui ne seraient pas prises dans des situations non urgentes, mais pour autant que je sache, ce n’est pas une situation que nous voyons actuellement.Justin Trudeau, premier ministre du Canada

Toutefois, comme l’a rapporté La Presse canadienne, la nouvelle stratégie utiliserait déjà ses pouvoirs à cet égard.

Pour en savoir plus : 


RCI avec des informations de La Presse canadienne, Centre pour l'innovation dans la gouvernance internationale, Service canadien du renseignement. 
Catégories : Internet, sciences et technologies, Santé, Société
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