Le gouvernement du Québec appelé à agir rapidement dans le dossier de la crise qui secoue le secteur des médias, à la suite du dépôt du rapport de la Commission sur l'avenir des médias au Québec. Crédit : Istock

Québec limitera-t-il ses investissements publicitaires pour les géants du web?

La Commission sur l’avenir des médias d’information a déposé son rapport. Selon les grandes orientations, des mesures incitatives fiscales doivent être mises en place pour soutenir les médias durant la crise sanitaire. Par ailleurs, il faut baliser les investissements publicitaires du gouvernement en fixant un objectif minimum. Les géants du secteur des nouvelles technologies, Facebook, Google, Apple et Microsoft, devraient connaître les limites de leurs investissements.

Démarche participative

La Commission sur l’avenir des médias d’information a été mise en place pour éclairer le gouvernement québécois sur la façon de répondre à la crise des médias. Ses travaux d’un an constituent l’aboutissement d’une démarche inclusive.

Elle a permis de recueillir de nombreux avis, notamment auprès des personnes qui sont directement touchées ou qui disposent d’une certaine expertise dans ce secteur. Trente-six groupes composés d’observateurs des différents médias (radio, télévision, presse écrite, numérique) ont témoigné à l’Assemblée nationale, l’année dernière.

D’autres personnes ont été écoutées sur le terrain, loin des grandes métropoles, notamment au Bas-Saint-Laurent, en Gaspésie et en Abitibi-Témiscamingue.

Dans ce dernier cas, 25 groupes représentant les médias locaux, des élus et des membres des communautés visitées ont fait part de leur vision de la situation. C’est cette démarche qui a permis de dresser un portrait de la situation des médias locaux, régionaux et nationaux dans la province. Ils ont proposé des solutions.

Parmi les éléments visibles de la crise, on note par exemple, en ce qui concerne la presse écrite, que la survie de certains quotidiens a été menacée.

Les six journaux du Groupe Capital Médias ont été profondément secoués. L’entreprise avait entamé des procédures pour se placer sous la protection de la loi sur les faillites.

C’est grâce à un prêt gouvernemental de 5 millions de dollars qu’elle a pu tenir le coup en attendant de trouver un repreneur.

La crise a entraîné la fermeture de certains journaux hebdomadaires et bihebdomadaires, tandis que d’autres ont dû revoir leurs stratégies et s’orienter vers le numérique. Leur nombre a considérablement décru en sept ans, passant de 200 à 132 titres.

La commission fait état d’un déclin et de la disparition qui frappe les journaux quotidiens et les hebdomadaires. Les répercussions se font sentir sur d’autres organisations médiatiques, dont La Presse canadienne.

Cette dernière emploie une quarantaine de journalistes. Elle est menacée parce que certains journaux n’ont plus recours à ses services en tant qu’agence de presse.

En raison de la crise dans les médias, plusieurs journaux régionaux ont disparu, d’autres ont réorienté leurs activités, passant à un média à 100 % numérique. Photo : iStock

Déserts médiatiques

Les travaux de la commission mettent en évidence le fait que le Québec n’est pas à l’abri de la menace qui plane sur les journaux partout dans le monde.

Mentionnant le cas des États-Unis, elle observe que cette menace s’est concrétisée par la création de déserts médiatiques, car plus d’une centaine de journaux d’information ont disparu au fil du présent millénaire. C’est une situation qui ne manque pas de nuire aux affaires municipales et à la participation civique.

Au Québec, 82 médias ont cessé leurs activités entre 2011 et 2018. Parmi ceux-ci, 57 journaux hebdomadaires, dont 15 dans la seule région de la Montérégie.

C’est ce qui ressort d’un portrait de la situation de l’information régionale mené par le Centre d’études sur les médias de l’Université Laval, publié en 2019 et cité par la commission. Il est mentionné que les déserts médiatiques couvrent essentiellement les régions éloignées et les périphéries des grands centres urbains.

Ses observations portent aussi sur la radio, la télévision, les médias communautaires et le numérique. On note aussi que la marge de manoeuvre de Québec est limitée en ce qui a trait aux grands médias d’information, car ils sont réglementés par le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC).

Le ministère québécois de la Culture et des Communications du Québec peut toutefois s’adresser à Ottawa pour proposer des changements.

Télé-Québec est placée sous la supervision directe du Québec qui contribue également au financement de TV5 et soutient un programme d’aide au fonctionnement de plus de 150 médias communautaires.

Pas moins de 186 services canadiens de radios existent sur le sol québécois, soit 104 privés et 82 publics ou communautaires. De ce nombre, 154 sont de langue française. Il faut ajouter les stations de Radio-Canada/CBC, des stations universitaires et autochtones et des radios religieuses.

Plusieurs pertes d’emploi ont été enregistrées dans le secteur de la radio et de la télévision au Québec, en 2020, en raison de la pandémie. Photo: iStock

Effritement du modèle d’affaires traditionnel des médias

La commission note que le mode de consommation de l’information centré davantage sur le numérique est l’un des grands défis du secteur. Elle mentionne que le modèle d’affaires traditionnel des médias québécois s’est effrité avec la venue des plateformes numériques étrangères, les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) et les applications qu’ils chapeautent.

L’accès libre à leurs contenus attire un nombre toujours plus important d’utilisateurs et d’annonceurs. Cela plombe les finances des médias traditionnels qui ont vu leurs revenus publicitaires chuter de façon considérable.

À eux seuls, Google et Facebook ont raflé les trois quarts des revenus publicitaires chiffrés à 6,8 milliards de dollars en 2017, contre les deux tiers en 2016.

Cela représente la moitié des dépenses publicitaires, tous médias confondus, au Canada en 2017. Au Québec, les recettes publicitaires dans les journaux quotidiens, de 2003 à 2017, ont diminué de 507 millions de dollars à 255 millions.

Les pertes d’emploi sont tout aussi importantes. On parle d’une chute de 43 % des effectifs de 2009 à 2015.

La pandémie a en quelque sorte porté le coup de grâce à un secteur déjà à terre. Le mois de confinement et la période qui a suivi ont été difficiles pour l’industrie de l’édition, de la radio et de la télévision. Les pertes d’emploi importantes ont aggravé la crise des médias.

La commission a souligné l’importance de continuer à soutenir le secteur de l’information parce qu’il a montré son utilité, particulièrement durant la crise sanitaire. Il a su éclairer la population, aussi bien dans les grandes métropoles que dans les régions.

La commission a formulé les recommandations suivantes :

– Pour faire face à la chute des revenus publicitaires des médias, le gouvernement du Québec est invité à augmenter ses dépenses publicitaires, notamment dans les médias locaux, régionaux et nationaux. Il doit leur réserver un pourcentage significatif.

– Par ailleurs, il doit assujettir les sociétés d’État à ce même pourcentage. Le gouvernement devrait atteindre un objectif minimum de 4 % de placement publicitaire dans les médias communautaires, avec une évaluation tous les trois ans.

– Québec doit limiter les investissements publicitaires des ministères et organismes publics dans les géants du web.

– Le gouvernement doit penser à revoir les avantages fiscaux des entreprises privées en fonction du type de placement publicitaire, poursuivre et intensifier ses actions pour appuyer financièrement les médias.

Les consommateurs doivent faire partie de la solution, en acceptant de payer pour des contenus d’information offerts en baladodiffusion.

L’Association des agences de communication créative (A2C) et le Conseil des directeurs médias du Québec (CDMQ) ont salué les recommandations. Par contre, ils ont mentionné qu’elles auraient aimé que la commission aille plus loin, avec des mesures ciblées.

Ainsi, la révision fiscale pour les investissements publicitaires privés devrait être revue rapidement pour pousser les investisseurs à prendre en considération les intérêts des médias québécois dans leur plan.

Dominique Villeneuve, présidente-directrice générale de l’A2C, considère qu’il « faut créer des mesures incitatives pour les entreprises qui achètent du média d’ici afin de stimuler les investissements et ainsi contribuer à l’objectif du Mouvement médias d’ici, soit celui de doubler la part de budgets numériques allant aux médias locaux dans les trois prochaines années. Cette mesure injecterait plus de 200 millions de dollars annuellement aux médias ».

Les deux partenaires s’engagent à lancer sous peu un Guide du média responsable et un indice média d’ici.

« L’indice pourra être intégré à tous les plans média d’annonceurs pour les sensibiliser aux pourcentages investis dans les médias locaux et les inciter à l’augmenter tout en assurant la performance de leur investissement », a relevé, pour sa part, Véronik L’Heureux, présidente du CDMQ.

Le manifeste pour des pratiques responsables a été lancé dans le cadre du Mouvement médias d’ici.

Avec des informations du gouvernement du Québec, d’A2C et du CDMQ

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